Clément Rosset, Le Réel et son double : Essai sur l'illusion Résumé Curieux pet

Clément Rosset, Le Réel et son double : Essai sur l'illusion Résumé Curieux petit livre de Clément Rosset qui nous dit en somme que le réel se suffit à lui-même à travers une théorie du « double » interprétant surtout des figures mythiques, littéraires et philosophiques classiques. Ce qui est plutôt une de ses limites. Clément Rosset, Le réel et son double : Essai sur l'illusion, coll. « Folio/Essais », n° 220, éd. Gallimard, Paris, 1984 (1979), 134 p. Mots clés : Clément Rosset, Le Réel et son double, fiction, illusion, mythe, philosophie, Œdipe, oracle, réalité, particulier, bêtise, phénoménologie, Hegel, Lacan, Popper, Platon, Courteline Keywords : Clément Rosset, Le Réel et son double, fiction, illusion, myth, philosophy, Oedipus, oracle, reality, particular, idiotic, phenomenology, Hegel, Lacan, Popper, Plato, Courteline * * * Rosset critique ainsi le refus du réel dont il mentionne plusieurs possibilités : suicide, folie, refoulement, aveuglement, inconséquence (p. 8). Il étudie plus particulièrement la situation où le réel est scindé en deux (p. 16) : « Descartes dirait que l'illusion consiste à prendre une 'distinction formelle' pour une 'distinction réelle' » (pp. 16-17). Pour Rosset, la duplication du réel chez les philosophes idéalistes, qui considèrent que les idées sont plus réelles que le monde (p. 20), est interprétée d'abord par le modèle littéraire des personnages de Boubouroche et de Swann chez Courteline et Proust avec leurs dénégations de leurs cocufiages (p. 18). Oracles Rosset parle ensuite d'« illusion oraculaire » (p. 21) qui constituerait un double du réel, avec des exemples mythologiques d'Ésope sur le destin, de la prophétie concernant Œdipe, ou du conte arabe sur la mort qui attend le vizir à Samarcande où il va se réfugier (p. 28). Le défaut de cette interprétation est de croire que la tentative de l'esquive provoque le destin (pp. 25- 26). C'est bien ce que disent les contes, mais c'est surtout l'intention du conteur qui connaît l'avenir parce qu'il l'écrit lui-même. L'idée qu'on n'échappe pas à son destin est simplement l'idéologie antique. Le conte l'illustre, mais ne la prouve pas. Rosset, lui aussi, laisse la proie pour l'ombre. Par ailleurs, quand Rosset mentionne qu'Œdipe pourrait plutôt tuer son père adoptif (pp. 33- 37), il pense à l'interprétation freudienne (complexe d'Œdipe) qui n'est pas le sens originel antique parlant bien de la force du destin (voire d'une simple pub pour les oracles). Rosset fournit des explications compliquées qui se réduisent à une paraphrase du conte, en jouant sur les mots : « la surprise [...] consiste à réfuter l'événement réel au nom d'un événement qu'on n'imaginerait jamais. [...] Illusion d'être trompé, de croire qu'il y a 'quelque chose' dont la réalisation de l'événement aurait en somme pris la place. C'est donc le sentiment d'être trompé qui est ici trompeur » (pp. 38-39). Rosset parle de « double » de l'événement attendu qui est identique à la prédiction qu'on croyait éviter (p. 42) au lieu de prendre le texte comme un artifice littéraire sur le mode fantastique. La réalité est qu'il n'y a pas d'Œdipe. C'est simplement une mise en scène vraiment très gore de l'idée antique que le destin est plus fort que la volonté, avec la fatalité qui joue des tours. Le vrai modèle littéraire est celui des mythes classiques qui mettaient en scène les divinités grecques, mais transposé sur le monde humain. Pour justifier cette idée du double, Rosset mobilise Bergson qui interprète le déjà-vu comme destin dédoublant (p. 43-44) : « Bergson voit dans ces sortes d'illusions des 'souvenirs du présent' qui redoublent anormalement la perception actuelle » (pp. 64-65). Il est plutôt probable que l'antiquité pouvait voir dans des phénomènes de ce genre un mécanisme oraculaire. Vouloir tout expliquer est le propre de la pensée mythique. On peut se demander si Bergson et la philosophie en général ne reproduisent pas ce principe ou même n'interprètent pas seulement les textes anciens qui l'appliquent. La culture académique classique abusait de l'allusion et de la paraphrase. Double ou simple fiction ? J'ai déjà considéré la philosophie comme une simple théorie de la fiction. C'est une tautologie de considérer la fiction comme preuve de la fiction. Cette idée du double réel (p. 45) procède sans doute de ces anciennes conceptions suggérées par la lecture des mythes anciens, qui fait dire à Rosset : « c'est en ce sens que la vie est un songe » (p. 46). On pourrait plutôt y voir une réminiscence anthropologique d'un chamanisme originel qui confond le rêve, la vision, la pensée. On aboutit tout naturellement au biais philosophique de l'analyse du langage comme inconscient dans la lecture des expressions populaires « pas de jeu », « hors-jeu » (p. 46), ce qui fait régresser immédiatement Rosset à « toute réalité [...] est de toute façon de structure oraculaire » (p. 47). C'est le biais rhétorique de philosophes, beaucoup trop empathiques avec leurs sujets de dissertations. Cette idée d'oracle consiste à percevoir la connaissance comme anticipation, ce qui n'est pas faux. Mais il faut éviter les pièges discursifs qui aboutissent à des contradictions. La célèbre citation shakespearienne de Macbeth : « la vie est une histoire pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien » (p. 51) est interprétée en termes de destin plutôt que de non-sens, au terme d'une glose de Rosset où Macbeth espérerait échapper à son destin, mais « le réel qui n'est rien que le réel, et rien d'autre, est insignifiant et absurde », parce que non universel, au prétexte qu'« idiot » signifie en grec « simple, particulier, unique de son espèce » (p. 51-52). C'est un peu tiré par les cheveux. Métaphysique Pour Rosset, il s'agit notoirement de s'opposer aux « métaphysiciens qui répètent que le 'sens' du réel ne saurait se trouver ici, mais bien ailleurs » (p. 52). C'est bien un lien de la métaphysique avec le mythe. Malgré la critique du double dans Le Cratyle par Platon, Rosset pointe que la « dépréciation de l'objet sensible [...] l'impossibilité du double vient paradoxalement démontrer que ce monde-ci n'est qu'un double, une duplication falsifiée » (p. 59). Il en note la persistance de ce modèle chez « Marx [qui] s'efforce de repérer dans le réel apparent la loi Réelle qui en explique à la fois le sens et le devenir » (pp. 55-56). Mais on pourrait plutôt dire que la véritable duplication est la mauvaise méthode de la philosophie de commenter les commentaires sans référence au réel. La mention du mot de Talleyrand : « Il faut se méfier du premier mouvement, c'est souvent le bon » (p. 61) est un peu une facilité. Dire : « on ne le prend pas pour le 'bon', précisément parce qu'on se refuse à le prendre pour le 'premier' : n'est-ce pas déjà une 'élaboration secondaire' » relève de la glose mondaine. Rosset invoque le contact avec les choses mêmes, mais ce n'est pas le problème. On est au monde, mais la question est de le penser. C'est ça le double. La contrainte est effectivement que le langage manipule des généralités pour parler du particulier. Le principe de l'action opposée à la conceptualisation ne signifie pas forcément qu'on se méfie de ne pas utiliser son intelligence (p. 62). Il faudrait plutôt se méfier davantage de l'interprétation des références qu'on mobilise inconsidérément : « noli me tangere [ne me touche pas] interdit à l'homme le contact avec le réel de la première fois » (p. 62) selon ce qu'aurait dit Jésus à Marie-Madeleine après la résurrection. Cela me paraît correspondre plutôt au fait que Jésus est devenu Dieu, tabou, selon une conception hébraïque de sacralité (qu'a rappelé Les Aventuriers de l'Arche perdue). La même question d'interprétation correcte se pose pour « La vie est un songe de Calderon, qui est la tragédie du refus de l'immédiat » et autres références littéraires ou idiomatiques. Selon Rosset, la synthèse philosophique apparaîtrait donc avec Hegel : « il faut donc distinguer non pas deux mondes, mais bien trois, en premier lieu le monde des apparences sensibles, en deuxième lieu le monde suprasensible, [...] en troisième et dernier lieu ce monde suprasensible mais considéré cette fois en tant qu'il coïncide finalement avec le monde premier des apparences [qui] annule différence » (p. 71). Mais cela me semble ici une référence a posteriori à la prétention de Marx d'avoir remis la dialectique idéaliste sur des pieds matérialistes. Les érudits apprécient toujours ce genre d'allusions. Phénoménologie Outre ces effets de manche salonards, la solution de Rosset est donc celle de la phénoménologie : « le phénomène est son essence » (p. 71). On est bien avancé ! On reste dans la métaphysique verbale. Mais on peut quand même noter ici la mise au jour (et en pratique) d'une généalogie de la phénoménologie. Sa tendance connue est d'être essentialiste au lieu d'être empiriste. Le marxisme lui-même, quoique matérialiste, préférait la dialectique hégélienne (Phénoménologie de l'esprit) au « matérialisme vulgaire ». On a donc droit à un festival tautologique sur le mode phénoménologique : « le monde intelligible [est] uploads/Philosophie/clement-rosset-le-reel-et-son-double-ess-pdf.pdf

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