Collection dirigée par Gilles A. Tiberghien avec Olivia Barbet-Massin Walter BE
Collection dirigée par Gilles A. Tiberghien avec Olivia Barbet-Massin Walter BENJAMIN Sur l'art et la photographie Conception graphique : Atalante Réalisation : Lawrence Bitterly Document de couverture : Eugène Atget, Hôtel, 50 rue de Turenne (détail), vers 1913 © 1972, 1974, 1977, 1978, 1985, 1989, Suhrkamp Verlag, Francfort-sur-le-Main - tous droits réservés © 1979, Les Cahiers du Musée national d'Art moderne pour la traduction de « Malerei und Photographie » (Peinture et photographie) © 1997, Editions Gallimard pour les droits français de « Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit » (L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique) © 1997, Editions Carré, pour la présente traduction de « Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit » et de « Neues von Blumen » (Du nouveau sur les fleurs) Imprimé en France par Aubin Imprimeur (Ligugé-Poitiers) P 53866 ISBN : 2-908393-48-4 F7 4502 Présentation de Christophe Jouanlanne Arts&esthétique Cet ouvrage reprend trois textes : « L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique », tra- duit par Christophe Jouanlanne. Titre original : « Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit », Gesammelte Schriften, t.I, 2, p.471-508. Nous remercions les Editions Gallimard qui détiennent les droits français de ce texte de nous avoir aimablement autorisé la publi- cation d'une nouvelle traduction. « Du nouveau sur les fleurs », traduit par Christophe Jouanlanne. Titre original : « Neues von Blumen », Gesammelte Schriften, t. III, p. 151-153. « Peinture et photographie », traduit par Marc B. de Launay, paru dans Les Cahiers du Musée national d'Art moderne, n° 1, 1979. Titre original : « Malerei und Photographie », Gesammelte Schriften, t. III, p. 495-507. sommaire Présentation page 7 L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique page 17 Du nouveau sur les fleurs page 69 Peinture et photographie page 75 Présentation Pour Benjamin, quatre opérations définissent la technique photographique : deux opérations princi- pales, le gros plan ou le grossissement et le ralenti, deux opérations secondaires, la réduction et l'accéléré. Le choix de ces quatre opérations semble extrêmement clair : l'oeil en est de lui-même incapable, sans le secours de certains instruments. Mais si des instruments exis- tent (loupe, microscope) qui permettent à l'oeil de voir les choses agrandies (ou réduites), il n'en existe aucun qui lui permette de ralentir ou d'accélérer un mouve- ment que nous voyons ; dans ce dernier cas, la média- tion de l'image est nécessaire. Aucun appareil ne permet à l'oeil de voir un mouvement au ralenti ou en accéléré sinon le projecteur de cinéma, mais dont l'opération est inconcevable sans l'opération préalable de l'enregistrement qui est celle de la caméra. Lorsque, dans « L'oeuvre d'art », il associe le gros plan et le ralenti, ce rapprochement est d'autant moins surprenant qu'il y est question de cinéma autant que de photographie et que le terme allemand qui désigne le ralenti est Zeitlupe, « loupe temporelle ». « Le gros plan étire l'espace, le ralenti étire le temps. » Mais l'appareil photographique est capable, lui aussi, à condition que le temps de pose soit extrêmement bref, d'arrêter et de saisir dans un mouvement une figure que l'oeil est inca- pable de voir ; un terme désigne cette image aussi bien 7 Présentation que la brièveté du temps de pose qui la caractérise : c'est l'instantanés. Cela n'empêche nullement Benjamin, dans la « Petite histoire de la photographie », d'asso- cier, de façon infiniment plus problématique, l'agran- dissement au ralenti. Si Benjamin choisit néanmoins le terme de Zeitlupe, c'est qu'à ses yeux le caractère analogique n'est pas le caractère premier de l'image photographique. L'objectif s'approche des choses pour les fixer en gros plan, avance la coupe de l'image sur l'axe du proche et du lointain qui nous sépare des choses et nous relie à elles. Ou bien encore, puisque l'objectif n'est pas seulement mobile, mais réglable, et que diverses lentilles peuvent y être adaptées, le grossisse- ment prolonge l'axe du proche et du lointain au-delà de ce que l'oeil peut voir. Les fleurs de Blossfeldt sont plus grandes que nature. Ce changement d'échelle fait qu'on ne sait plus très bien si on est devant, ou dans, ou derrière les choses, comme on dit derrière le miroir. Nous nous promenons sous ces fleurs et, dans ce royaume, « de nouveaux mondes d'images jaillis-sent, comme des geysers » (« Du nouveau sur les fleurs»). Le grossissement n'est pas du tout une technique qui permet de voir mieux, et plus distincte-ment, des aspects de la chose que nous ne distingue-rions sans lui que de manière confuse. Il permet de voir, comme le ralenti ou l'accéléré, ce que nous n'avons jamais vu, ce qu'il est inconcevable que nous voyions sans le secours de l'appareil capable de cette opéra- 8 Sur l'art et la photographie tion. « Aussi devient-il évident que la nature qui parle à la caméra est une autre nature que celle qui parle à l'oeil » (« L'oeuvre d'art » ). Que sont ces « nouveaux mondes d'images » que ces photographies font surgir sous nos yeux ? Des Formes originaires de l'art ? Le titre de l'album nous rappelle la visée pédagogique que Blossfeldt se fixait ; il s'agissait pour lui de fournir des modèles aux étu- diants des écoles d'arts décoratifs en Allemagne. Il ne faut pas sous-estimer la complexité des débats qui trou- vent leur expression dans un tel projet, mais on ne peut aborder ici les arguments que Benjamin aurait pu for- muler dans une telle discussion. En opposant au titre du livre que ces images montrent bien plutôt des « formes originaires de la nature », il évite d'aborder la question de l'imitation dans les termes que Blossfeldt suggère. Pourtant, lorsqu'il identifie la loi qui régit ces images à « l'une des formes les plus profondes et les plus insondables de la création, la variante » (« Du nouveau sur les fleurs »), il déplace de manière très significative le moment de l'imitation dans l'image. La photographie est indissolublement scientifique et artis- tique, mais si elle a davantage de parenté avec les tis- sus cellulaires qu'avec « un paysage évocateur ou un portrait inspiré », écrira-t-il à propos de Blossfeldt dans la « Petite histoire...2 », elle découvre, dans les tissus et les structures de la matière, des physionomies et des ressemblances. D'une part, donc, ces ressemblances que la photographie découvre obéissent à la loi natu- 9 Présentation relie de la « variante » (l«< autre nature » ne parle qu'à la caméra), mais d'autre part la ressemblance est un événement (les images « jaillissent ») ou une opération propre à ce que, dans la « Théorie de la ressemblance », Benjamin nommera notre « faculté mimétique ». Si la photographie est analogique, ce ne saurait être qu'au titre de cette ressemblance dont la « perception a tou- jours la fugacité de l'éclair. Elle passe en un clin d'oeil, reviendra peut-être, mais ne saurait être fixée comme le sont d'autres perceptions3 ». Ce n'est pas le référent de l'image qui importe, pour le dire d'une autre manière, mais « quelque chose qu'on ne réduira pas au silence, qui réclame insolemment le nom » de la « marchande de poisson de New Haven4 ». Cette voix qui réclame le nom de celle qui a eu « une vie », une « vie minuscule » – pour évoquer en hom- mage les oeuvres de deux écrivains qui l'entendent aujourd'hui, François Bon et Pierre Michon–, ne s'élève qu'à la faveur d'une distorsion du temps par laquelle c'est la photographie la plus contemporaine qui, au plus fort de la crise de 29, rappelle à la vie les photo- graphies anciennes. L'anonymat, entendu comme voix qui demande le nom, est exactement de même nature que « le besoin irrésistible de chercher dans l'image la plus petite étincelle de hasard, d'ici et de maintenant, grâce à quoi la réalité a brûlé le caractère d'image – le besoin de trouver l'endroit invisible où, dans l'appa- rence de cette minute depuis lontemps écoulée, niche encore l'avenir et si éloquemment que, regardant en 10 Sur l'art et la photographie arrière, nous pouvons le découvrira ». C'est à la faveur du même entrelacs du temps6 que « la réalité a brûlé le caractère d'image ». L'image est cet arc électrique tendu entre nous et 1«< autre nature » et lorsque la réalité brûle le caractère d'image, c'est l'image même qui provoque l'incendie, ou mieux : l'image est cet incendie même. Elle ne s'efface nullement devant la dignité ontologique supérieure de la réalité. L'aura des anciennes photographies, « si belles et inapprochables? », résulte de ce que, « pour la première et la dernière fois avant longtemps », le photographe de 1850 est à la hauteur de sa technique. Avec l'ex- tinction rapide des potentialités dont la photographie était riche à l'époque de ses commencements, l'aura réapparaît, dans la phase de l'industrialisation, avec la retouche, le décor des portraits, comme un mélange d'art et de commerce dont l'impureté manifeste le divorce de cette génération et de sa uploads/Philosophie/ walter-benjamin-l-x27-oeuvre-d-x27-art-a-l-x27-epoque-de-sa-reproductibilite-technique.pdf
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- Publié le Fev 09, 2022
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