Clinique et théorie de l’hypnose ericksonienne Approche non-classique de la con

Clinique et théorie de l’hypnose ericksonienne Approche non-classique de la conscience et de ses états modifés Olivier Penelaud∗ Introduction « L’émotion n’est pas un état purement intérieur, mais un mouvement de l’âme et du corps qui fait sortir de soi le sujet qui l’éprouve. » René Char L’histoire de mon appréhension de l’hypnose thérapeutique selon Erickson, est à la fois le che- minement d’une appropriation progressive, réalisée au rythme des enseignements de l’Arepta 1 et de leur application dans mon exercice professionnel; ainsi que la rencontre singulière entre mes interrogations sur la conscience, les émotions, la relation à soi et au Monde, et une appro- che du soin dont la première fondation, si ce n’est la bienveillance dans laquelle elle s’exerce, est son efcacité. Car aujourd’hui, c’est bien sous cet aspect qu’elle tend à reconquérir le monde de la pratique. Heuristique orpheline d’un cadre scientifque rigoureux – en tout cas selon les principes aca- démiques occurrents –, elle se voit repoussée telles l’acupuncture et la méditation, non pas plus ∗Psychologue cogniticien (Ph.D) – Thérapeute comportementaliste (44) : olivier.penelaud@laposte.net 1. ARePTA–IMHENA : Association Régionale Pour une Thérapie Active – Institut Milton H. Erickson de Nantes. PLASTIR 52, 12/2018 1 par insufsance épistémologique 2 que par une piquante remise en question de nos certitudes, aux frontières instables des « bonnes pratiques » enseignées à l’Université. L’hypnose fait peur, drapée de mysticisme, de soumission excessive ou de manipulation, elle navigue clandestine- ment depuis son rejet freudien « à fond de cale » de la thérapeutique clinique (Roustang, 2003). L’hypnose est incompréhensible – ou presque –, elle crée un espace fondé sur la relation de laquelle ni le corps, ni le verbe ne peuvent indépendamment faire la démonstration (Chertok, 2006). Malgré tout, elle donne de bons résultats dans tout un ensemble de domaines 3, elle ne peut donc être ignorée ou rejetée : « Chaque patient, chaque groupe humain est l’expert de ce qui est bon pour lui, n’en déplaise aux idéologues. » (Vallée, 2017, p. 16). De plus, non seulement Erickson lui ofre un cadre d’exercice cohérent fondé sur l’empathie, le respect et la bienveillance, garant d’une bonne pratique; mais plus encore, on assiste aujour- d’hui dans les sciences à une révolution lente et encore discrète, où l’on s’autorise à sortir du cadre limitant de la pensée linéaire et ce, avec des résultats positifs. Au sein de ces diférentes approches 4, les sciences de l’Homme, d’une manière générale, et le cadre psycho-pathologique plus particulier de l’hypnose thérapeutique 5, peuvent s’en saisir d’au moins deux (présentées à la section 2) quant-à leur capacité à ofrir le cadre conceptuel dynamique et complexe – c.-à- d. en fait : relationnelle – requis par leur expression. L’entreprise est non-triviale : elle impose de centrer l’attention sur la dynamique de la relation plus que sur ses objets et d’adopter une ontologie plus souple, où les notions usitées sont moins déterminées; le gain est néanmoins conséquent car concepts, modèles et théories sont contextualisés et acquièrent ainsi une di- mension temporelle – au sens de temporaires 6 – permettant de faire coexister aux cotés de nos axiomes les plus pérennes, des représentations, des pensées et rêves, conçus pour un temps : le temps du projet 7 – celui de son invention, de son élaboration et initiation concrète – mais aussi de ses étapes : le temps de l’action ou des actions du projet. Penser la dynamique plus que les états (qui nous enferment dans la fxité des catégories), permet d’accéder à la simulation mentale propre au projet, c.-à-d. à une expérience virtuelle signifante. A partir de quoi, il est possible de considérer l’hypnose comme un état psychique 8 fondé sur une relation dialectique (i.e. double relation réciproque), lieu de la co-constitution d’une expé- rience où réel et imaginaire s’entrelacent sur deux temporalités indissociables : celle de l’en- trée du thérapeute et du patient dans une re-création quasi-commune à partir de laquelle il est possible d’agir, et celle de l’intimité progressive qu’elle crée entre-eux jusqu’à la fn de leur 2. A condition toutefois de bien vouloir considérer l’existence d’une autre possibilité que celle du natura- lisme quinien dominant (i.e. Réalisme interne), on pourra se référer pour cela aux épistémologies constructivistes (Le Moigne, 1995), aux principes de la pensée complexe (Morin, 1990) en s’inscrivant d’emblée dans une transdis- ciplinarité (Nicolescu, 1996) et en s’inspirant de diférentes Manières de faire des mondes (Goodman, 2006). 3. Traitement de la dépression, des phobies, des addictions...; recouvrement de fonction après un accident de la voie publique ou un A.V.C.; préparation mentale pour les compétitions sportives; répétitions des scénarios de vols de la Patrouille de France; anesthésie non-médicamenteuse au bloc opératoire — pour les plus relatés. 4. Cf. les cadres épistémiques de la Cosmologie relativiste : Physique des trous noirs et du Big-Bang, théories infationnaires de l’Univers...; les cadres d’application de la Mécanique Quantique à la Chimie des matériaux, la Biochimie, la micro-Biologie...; ou encore, l’utilisation quasi-exclusive des dynamiques non-linéaires dans la modélisation des phénomènes complexes, où l’entropie est la règle. 5. Prolongeant, sur le plan théorique, l’approche développée par Rossi et Rossi (2008). 6. S’inscrire dans une temporalité, c’est de fait se soumettre au principe historique d’avoir un début, un dé- roulement et une fn. 7. En référence au concept des trois temps développé par Le Moigne (1997). 8. La distinction avec l’état « mental » est importante car ce dernier ne suft pas à recouvrir les dimensions sensorielles, émotionnelles et situationnelles de l’induction hypnotique, ce qui le rend d’ailleurs impropre à toute tentative d’explicitation, sinon que dans une perspective dénaturée de l’expérience. PLASTIR 52, 12/2018 2 interaction, c.-à-d. du projet commun (même si pour l’un, la motivation est professionnelle et pour l’autre, personnelle) d’obtenir un « mieux-être ». On le voit, le « rêve de l’expérience » et le « transfert/contre-transfert » 9 d’une certaine ma- nière, sont saufs; oui mais insufsants, achoppant de concert sur la dynamique de la relation corps-conscience/ émotion-esprit, que seule l’approche des Thérapies Cognitivo-Comportemen- tales et Émotionnelles 10 considère 11. Il n’est pas question de dire qu’elle-seule proposerait une version authentique du processus, mais plus simplement de faire le constat qu’elle-seule ofre un véritable statut aux émotions et à l’expérience de leur sensorialité 12, moteur permanent (elles ne le quittent jamais) de la structuration et du devenir de l’individu (Van Hoorebeke, 2008); et c’est présentement la valeur ajoutée nécessaire à son explicitation, car « vivre » ou « revivre » une expérience – que celle-ci soit réelle ou virtuelle –, c’est vivre ou revivre les émo- tions qui lui sont associées. On a là, la clef d’une psychothérapie expérientielle fondée sur un paradigme émotionnel au sens de Philippot, Douilliez, Baeyens, Francart et Nef (2002) 13. Dans cette perspective, toute considération d’une efectivité de l’hypnose thérapeutique implique de croiser « biographie émotionnelle » et histoire factuelle de l’individu sur le plan complexe 14 de sa compréhension. On comprend alors, que le projet de naturalisation de l’hypnose thérapeutique est rendu ca- duque du fait même que les outils pour le faire se heurtent aux limites de nos conceptions classiques, dans leur capacité à évaluer une intervention lorsque la subjectivité du patient contribue à l’amélioration de son état. Pour accéder à une conception dynamique de la pra- tique, à la relation qui la fonde sans la fger, il est essentiel de l’inscrire dans sa téléologie, c.-à-d. dans son but. Pour se faire, il est nécessaire d’adjoindre à l’ontologie classique du sujet et de l’objet, le projet : marqueur de la double temporalité (i.e. celle de la réalité et celle de la projec- tion), son épistémologie est relationnelle et on peut même lui attribuer pour vecteur directeur, l’émotion. Nous verrons d’ailleurs dans un premier temps avec les cas cliniques exposés, que l’émotion tient une place prépondérante dans l’efcience de la transe hypnotique du patient; à l’interface de sa sensorialité et de sa conceptualisation du symptôme, c’est par elle – par sa confronta- tion pour son acceptation 15 – qu’il travaille à l’amélioration de son état, le rôle du thérapeute est alors circonscrit à celui d’« accompagnateur ». Nous aborderons dans un second temps, deux cadres épistémiques (inspirés de la Biologie et de la Physique) dont la complexité in- trinsèque permet d’accueillir le cadre dynamique et relationnelle de l’exercice de l’hypnose ericksonienne. Enfn en conclusion, nous ouvrirons quelques pistes de convergences possibles des diférents points abordés. 9. Notions au cœur de la pratique psychanalytique selon Odgen (2012). 10. T.C.C.E. ou T.C.C. dîtes de troisième génération. 11. En comparaison, les T.C.C. de seconde génération seraient limitées par le cadre binaire de la relation corps- esprit, tandis-que la Psychanalyse par celui d’une relation esprit-esprit, symbolisant aussi bien le rapport d’intros- pection que l’alliance thérapeutique. 12. La Psychanalyse ne se référant aux émotions que sous le prisme de l’angoisse (Claudon & Weber, 2009). 13. Les travaux de Phillipot et al. sont plutôt référencés par rapport à une pratique thérapeutique de la mé- ditation, mais dès-lors que l’on tient compte du pont fondé par ses nombreuses similitudes avec l’hypnose uploads/Philosophie/clinique-et-theorie-de-lhypnose-erickson.pdf

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