Testament philosophique Revue de Métaphysique et de Morale, 1901, pp. 31 à 32 F
Testament philosophique Revue de Métaphysique et de Morale, 1901, pp. 31 à 32 Félix Ravaisson Alain.Blachair@ac-nancy-metz.fr Cliquez sur le lien ci-dessus pour signaler des erreurs. Félix Ravaisson – Testament philosophique 1 Note : En publiant le « testament philosophique » de F. Ravaisson, nous devons au lecteur un mot d'explication. Ce « testament » n'a pas été écrit par F. Ravaisson tel qu'on le présente aujourd'hui au public. La mort l'avait empêché de terminer son œuvre. Dans ses papiers, recueillis pieusement par les soins de ses enfants et que ceux-ci ont bien voulu nous confier, nous n'avons trouvé que des fragments épars. La longueur de ces fragments variait de quelques lignes à plusieurs pages : c'était comme des ébauches successives et partielles de l'œuvre inachevée, ébauches incomplètes sans doute et parfois trop brèves, mais toujours intéressantes et suggestives. Si précieuses cependant que fussent de pareilles ébauches comme témoignage de la méthode de travail de F. Ravaisson, il nous a semblé, après un examen attentif, qu'il y avait mieux à faire que de publier ces fragments dans le désordre où ils se trouvaient, d'autant qu'une telle publication, légitime pour d'autres, eût été une espèce de trahison envers la pensée de celui qui voyait dans la synthèse la forme même, la forme nécessaire de la vérité comme de la beauté. Nous avons donc cherché dans ces ébauches partielles le fil conducteur et pour ainsi dire le vivant esprit de l'ouvrage, nous avons cherché, conformément à la méthode du penseur, à reconstituer la synthèse créatrice. Nous l'avons pu tenter sans trop de hardiesse, parce que le plan de l'ouvrage se trouvait indiqué dans les fragments par l'auteur lui-même, parce qu'à maintes reprises et sous différentes formes, chacune des parties de ce plan avait fait l'objet de ses réflexions, de réflexions mises par écrit. Sans doute la difficulté était grande de relier ces fragments épars, de rétablir entre eux la continuité de la synthèse ; cependant, après une lecture approfondie de tous les textes, après un long et minutieux travail de collation et de rapprochement des fragments, nous avons cru pouvoir réussir à rétablir dans ses grandes lignes la pensée tout entière de F. Ravaisson. Nous l'avons fait en nous servant uniquement des documents que nous avions sous les yeux, sans y ajouter une ligne, nous bornant à emprunter aux fragments mêmes les liens et les transitions qui devaient réunir les fragments ; nous avons mis en note certains passages que nous n'avons pu insérer dans la trame de l'exposition et qu'il eût paru néanmoins regrettable d'omettre. Nous espérons avoir ainsi rendu aussi exactement que possible la pensée de l'auteur, nous espérons l'avoir rendue d'une manière qui ne soit pas indigne de son nom. Nous serons heureux d'avoir réussi dans cette tâche et d'avoir pu rendre ainsi un dernier hommage à une chère mémoire ; en tout cas, si l'œuvre paraissait à quelques-uns trop imparfaite encore, il n'en faudrait point accuser M. Ravaisson, la faute incomberait tout entière à l'inexpérience de celui qui a recueilli et rédigé ces fragments. Félix Ravaisson – Testament philosophique 2 Un mot encore. Le titre que nous avons choisi n'est pas inscrit en toutes lettres dans les papiers posthumes de F. Ravaisson ; il est cependant conforme à ses intentions : nous le tenons de sa propre bouche. C'est ainsi. en effet, qu'il appelait volontiers ce travail, composé presque tout entier dans les années 1899 et 1900, auquel il se consacra jusqu'à son dernier jour et qu'il considérait comme la dernière de ses œuvres philosophiques. Xavier Léon [1] Bossuet a dit : « Lorsque Dieu forma les entrailles de l'homme, il y mit premièrement la bonté. » Il n'en est pas moins vrai que dès [2] les temps les plus anciens le grand nombre dut céder aux tentations de l'égoïsme et se considérer, selon le dicton stoïcien, comme recommandé à lui-même par la nature bien plutôt que les autres et se prendre sinon uniquement, au moins principalement pour le centre de ses propres actions. Or c'est, dit Bacon, un pauvre centre pour les actions d'un homme que lui-même. Des mortels d'élite restèrent fidèles à l'impulsion originaire, sympathiques à tout ce qui les entourait, se croyant nés, suivant une autre parole stoïcienne, non pour eux, mais pour le monde entier. Ce furent ceux que les Grecs crurent enfants des dieux et qu'ils appelèrent des héros. La grandeur d'âme était le propre des héros. Le sort des autres les touchait comme le leur. Ils avaient conscience d'une force en eux qui les mettait en état de s'élever au-dessus des circonstances, qui les disposait à se porter au secours des faibles. Ils se croyaient appelés, par leur origine, à délivrer la terre des monstres qui l'infestaient. Tel avait été surtout le fils de Jupiter, Hercule, aussi vaillant que compatissant, toujours secourable aux opprimés, et qui finit, en montant à l'Olympe, sa glorieuse carrière. Hercule, touché de compassion pour un vieillard dont un lion redoutable avait dévoré le fils, allait combattre ce lion et de sa dépouille se revêtait pour toujours. [3] Une autre fois sa compassion pour Alceste le conduisait aux enfers afin de l'en tirer. Un autre, Thésée, l'Hercule athénien, après être descendu au Labyrinthe pour délivrer des captifs destinés à y devenir la proie d'un monstre, élevait au milieu d'Athènes un autel à la Pitié, honorant ainsi en elle une déesse. Cette cité dont il avait été le fondateur, il voulait que la Pitié fût comme son inspiration. Ajoutons que vraisemblablement la Pitié n'était ici qu'un autre nom de la grande déesse Vénus, la déesse de l'amour et de la paix, à laquelle parait avoir été consacrée originairement l'Acropole. Le héros de l'Iliade, Achille, après avoir vengé avec fureur sur Hector le meurtre de son ami, se laisse fléchir à la fin du poème par les prières du vieux Priam et lui rend les restes de son fils. Le grand poème hellénique ne chante pas tant la colère d'Achille que sa compassion pour le vieux père de celui qui lui a tué son ami et à qui lui-même il a tué son fils. A sa pitié surtout se fait Félix Ravaisson – Testament philosophique 3 reconnaître ce que son cœur a de grand. Magnanime, telle est l'épithète qui caractérise plus que toute autre le héros. Tel était le héros, tel il se figurait les dieux de qui il avait tout reçu. Homère, encore imbu des maximes héroïques, les appelle des donneurs de biens. Aphrodite, la reine du ciel, la déesse de la beauté et de l'amour, est nommée par excellence la donneuse (dwr…tij)1 ; en des temps où l'on croyait généralement que tout était sorti de la terre, même les astres, on se représentait le dieu qui y régnait comme à la fois opulent et libéral : Pluton, le Riche, était son nom chez les Grecs ; Dives, le Riche aussi, chez les Latins. Pluton, dans les anciens monuments, porte souvent une corne d'abondance débordant de fruits, et Sérapis, qui prend tardivement sa place, un boisseau. Pluton, souvent aussi, porte cette espèce de fourche qu'on a prise pour une arme mise par les peintres, Raphaël entre autres, à la main de Satan, mais qui, en réalité, était la houe avec laquelle on tirait de la terre les fruits qu'elle contenait, dont on croyait que vivaient les premiers hommes ; et c'est pourquoi l'Odyssée place dans les enfers une prairie d'asphodèles et non, comme l'a cru Welcker, à cause de l'aspect prétendu sinistre de cette plante. [4] Le dieu indien Pourousha partage ses membres entre ses adorateurs. Cérès, Bacchus dans les mystères d'Eleusis servent d'aliment aux initiés, car Cérès c'est le pain même, et Bacchus c'est le vin2. Partout donc, dans l'ancienne mythologie, la croyance à la bienfaisance divine. Bien loin qu'il ne régnât parmi les hommes et entre leurs familles que la défiance et la haine, comme l'a cru, après Pétrone et Hobbes, l'auteur de la Cité antique , rien n'y était plus en honneur que l'hospitalité. L'étranger, si rien n'annonçait en lui un ennemi, était accueilli comme un envoyé d'en haut. On sacrifiait pour le fêter ce qu'on avait de plus précieux. Tel, dit Tacite, après l'avoir reçu chez lui, était réduit pour le reste de ses jours à la mendicité. Les hommes du vulgaire, ne trouvant en eux-mêmes aucune force et aucune grandeur, ne voyaient aussi hors d'eux que faiblesse et petitesse. Petitesse est aussi à quoi se réduit toute leur philosophie et on lui ferait peu de tort en la qualifiant de nihilisme. Hommes de rien, les hommes du vulgaire ne faisaient pas difficulté d'admettre que tout s'était formé de rien. Dans la conscience de sa faiblesse, l'homme du vulgaire ne se croyait guère d'autre destinée que de maintenir parmi les assauts des circonstances, aussi 1 C'est le nom que le Christianisme donnera à l'Esprit qui éclaire et qui vivifie ; il l'appellera même non seulement ce qui donne, mais le don. 2 Et dans le Christianisme le Sauveur sur le point de mourir pour les siens uploads/Philosophie/ ravaisson-testament-philosophique.pdf
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- Publié le Nov 21, 2022
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