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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RMM&ID_NUMPUBLIE=RMM_084&ID_ARTICLE=RMM_084_0447 Une métaphysique des possessions. Puissances et sociétés chez Gabriel Tarde par Didier DEBAISE | Presses Universitaires de France | Revue de Mét aphysique et de Morale 2008/04 - n° 60 ISSN 0035-1571 | ISBN 978-2-1305-6795-0 | pages 447 à 460 Pour citer cet article : — Debaise D., Une métaphysique des possessions. Puissances et sociétés chez Gabriel Tarde, Revue de Métaphysique et de Morale 2008/04, n° 60, p. 447-460. Distribution électronique Cairn pour les Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Par quelles voies se transmettent les idées et les inventions dans une société donnée ? Sous l’apparente diversité de ces questions, il est possible de repérer des dynamiques communes. C’est la fonction de la « métaphysique » selon Tarde : rendre compte de principes génériques engagés tout au long de la chaîne des organisations sociales, des formes les plus primaires de l’association biologique aux formes les plus élaborées des sociétés. Notre hypothèse est que se met en place, à partir de Tarde, une « métaphysique empirique » qui définit un axe de pensée, resté longtemps minoritaire dans la philosophie française, dont ont hérité des philosophes aussi différents que H. Bergson, G. Simondon, R. Ruyer ou encore G. Deleuze et F. Guattari, et qui trouve aujourd’hui une nouvelle actualité. ABSTRACT. — This article aims at following the construction of a “metaphysics of possession” which finds its origin in G. Tarde’s philosophy. This metaphysics is cha- racterized by a substitution : to the analysis of the foundations of power it opposes completely different kinds of questions that are more immaterial and more microscopic, such as : how can a being (physical, biological or technical) possess another one ? What does it mean to be possessed by a belief or a desire ? By which ways do ideas and inventions diffuse themselves within a given society ? Under the apparent diversity of these questions, however, it is possible to identify common dynamics. The function of “metaphysics” according to Tarde is to express generic principles that are engaged in the chain of social organizations, from primary biological assemblages up to the most elaborate social associations. Our hypothesis is that taking Tarde as a starting point, an “empiricist metaphysic” emerged in the context of French philosophy, whose inhe- ritors are philosophers as different as H. Bergson, G. Simondon, R. Ruyer, G. Deleuze and F. Guattari, and which is the object of a new rediscovery today. Revue de Métaphysique et de Morale, No 4/2008 Cet article a pour principal objet de suivre la mise en place et les effets de ce que nous proposons d’appeler une « métaphysique des possessions », en prenant comme point de départ l’œuvre de Gabriel Tarde. On pourrait légitimement s’étonner de l’utilisation du mot « métaphysique » pour désigner l’œuvre de Tarde. Celle-ci ne relève-t-elle pas, comme l’attestent la plupart des titres de ses œuvres – La logique sociale, Les transformations du pouvoir, L’opinion et la foule –, d’une approche essentiellement sociologique qui s’accorde a priori très mal avec l’idée même d’une relation à la métaphysique par rapport à laquelle elle était censée rompre ? Plus grave encore : ne risquons-nous pas de réduire la spécificité des modes d’existence 1, physiques, biologiques, techniques et sociaux, à l’intérieur d’un ensemble de principes premiers, censés déterminer une théorie générale que la métaphysique a trop longtemps désignée ? Quelles en seraient d’ailleurs la fonction et l’utilité ? Si nous proposons de caractériser cette approche de « métaphysique », c’est que le concept de possession désigne bien ce que Tarde appelle, dès 1898, dans son livre Monadologie et sociologie : un « fait universel ». Ce « fait » ne désigne nullement une catégorie première de l’être à partir de laquelle, par un processus de complexification croissante, il serait possible de déduire l’ensemble des formes plus complexes de l’expérience. Il signifie au contraire, selon nous, qu’en donnant une extension maximale au concept de possession, il deviendrait possible de suivre à la fois les lignes communes qui caractérisent les formes d’existence physiques, biologiques et humaines, et de se rendre sensible à la spécificité de chacune de ces trajectoires. Aux questions qui traversaient la sociologie, relatives aux processus de pouvoir, de domination et de coercition, à l’analyse des modes d’institution et d’organisation des groupes, à la recherche des fondements individuels ou collectifs des sociétés, elle devrait permettre de substituer des questions d’un tout autre ordre : dans une situation donnée, les possessions sont-elles unilatérales ou symétriques ? Ont-elles tendance à s’amplifier et à s’intensifier ou au contraire à se détendre et à se disloquer ? Par quels modes se propagent-elles et jusqu’où s’établit leur emprise ? Ce que nous voudrions montrer ici, c’est que les sociétés, quel qu’en soit le statut, émergent et se consolident par des dynamiques de possession dont l’analyse 1. Nous reprenons l’expression « modes d’existence » à É. SOURIAU (Les Différents Modes d’exis- tence, Paris, Presses Universitaires de France, 1943). Cette enquête, initiée par É. Souriau, sur la multiplicité des modes d’existence sera reprise par des auteurs aussi différents que M. DUFRENNE (Phénoménologie de l’expérience esthétique, Paris, Presses Universitaires de France, 1953), G. Simondon, G. MOURELOS (Bergson et les niveaux de réalité, Paris, Presses Universitaires de France, 1964), G. Deleuze et B. LATOUR (« Sur un livre d’Étienne Souriau : “Les différents modes d’existence” » in L’Agenda de la pensée contemporaine, Printemps 2007). 448 Didier Debaise requiert une véritable métaphysique à laquelle Tarde a fourni les premières impulsions et qui trouve aujourd’hui une nouvelle actualité 2. UNE NOUVELLE MONADOLOGIE En introduisant des phénomènes de « possession » tels que le somnambu- lisme, les pratiques hypnotiques, le rayonnement imitatif, le magnétisme social, qui seraient les principes constitutifs, bien qu’immatériels, des sociétés, Tarde est confronté à un problème majeur. La notion de possession semble enveloppée d’un ensemble de connotations anthropologiques, sociales et religieuses qui en surdéterminent le sens. Ne renvoie-t-elle pas inéluctablement soit, dans un sens actif, à la jouissance d’une propriété, qu’elle soit matérielle ou spirituelle, soit, dans un sens passif, à l’idée qu’une chose ou un individu serait capturé ou envoûté par d’autres ? Ne présuppose-t-elle pas quelque chose d’autre – sujet ou objet –, antérieur à son existence, et qui en serait le support ? En un mot : est-ce que la possession n’est pas, par définition, secondaire par rapport à un être, quel qu’en soit par ailleurs le statut ? C’est, selon nous, la raison principale pour laquelle une métaphysique des possessions est nécessaire. Elle doit permettre : 1. de soustraire les enquêtes sociales à une ontologie implicite, d’autant plus efficace qu’elle reste à l’arrière- plan, selon laquelle il devrait exister des supports – individus, groupes ou objets – clairement identifiables aux dynamiques sociales ; 2. de construire une définition minimale de la possession qui vaudrait (réquisits) pour toutes les formes d’existence, aussi bien physiques que biologiques ou sociales. C’est chez Leibniz que Tarde en trouve les conditions principales. Il voit dans La monadologie le début d’un mouvement de dissolution de l’ontologie classi- que, notamment l’identité de l’« être » et de la « simplicité », qui trouverait dans les sciences contemporaines, sous une forme encore implicite et toute incons- ciente, sa confirmation la plus évidente. Les monades, filles de Leibniz, écrit Tarde, ont fait du chemin depuis leur père. Par diverses voies indépendantes elles se glissent, à l’insu des savants eux-mêmes, dans le cœur de la science contemporaine 3. 2. Nous pensons ici principalement à la redécouverte récente de la pensée de Tarde aussi bien en philosophie (notamment grâce aux travaux d’E. ALLIEZ et de P. MONTEBELLO) que dans les « Sciences Studies » (Cf. B. LATOUR, « Gabriel Tarde and the End of the Social », in P. Joyce (ed.) The Social in Question : New Bearings in the History and uploads/Philosophie/debaise-une-metaphysique-des-possessions-tarde.pdf
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- Publié le Nov 19, 2021
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