Le Portique Numéro 1 (1998) La modernité ......................................

Le Portique Numéro 1 (1998) La modernité ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Jean-Paul Resweber Des lieux communs de la modernité ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Jean-Paul Resweber, « Des lieux communs de la modernité », Le Portique [En ligne], 1 | 1998, mis en ligne le 15 mars 2005. URL : http://leportique.revues.org/index344.html DOI : en cours d'attribution Éditeur : Association Le Jardin http://leportique.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://leportique.revues.org/index344.html Document généré automatiquement le 30 novembre 2010. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. T ous droits réservés Des lieux communs de la modernité 2 Le Portique, 1 | 1998 Jean-Paul Resweber Des lieux communs de la modernité 1 Le concept de modernité opère un partage, dès le Moyen Âge, entre les philosophes anciens (antiqui), insistant sur la priorité de la démarche conceptuelle et les modernes (modisti) qui mettent désormais l’accent sur l’universelle médiation du langage ; puis, au xvii e siècle, entre les anciens, défenseurs des valeurs traditionnelles et les modernes, décidés à remanier le “ credo ” païen, en tenant compte des exigences chrétiennes ; un peu plus tard encore, entre les penseurs des Lumières, partisans du progrès et de l’universalité et les écrivains romantiques, gardiens des traditions et des particularismes ; enfin, au xx e siècle, entre les dévots partisans de la tradition et les fervents promoteurs des techniques. 2 À chaque époque, écrivains, philosophes, artistes et religieux ont trouvé un réel intérêt – et plaisir – à se dire modernes, en accusant un écart infranchissable entre un passé dépassé et un avenir prometteur. À quelle fin ? Sans doute, et c’est la réponse que l’on fait spontanément : afin de montrer que la culture se construit progressivement au travers de l’histoire des savoirs. Aussi l’écart invoqué est-il la marque d’un rapport d’influence exercé sur le cours des choses, qui ne peut être que meilleur. Mais, dans cette perspective, l’évolution de la culture est pensée au travers d’une rhétorique de la vie et, du même coup, elle obéit à une trajectoire analogue à celle du vivant. Cette logique se trouve hérissée de mutations continuelles, qui métamorphosent les coupures en sutures et l’involution signifiante en évolution symbolique 1. Par ailleurs, ces représentations historiques entendent légitimer une même revendication de nouveauté, qui impose, à la figure de la répétition, une modalité stochastique. 3 Ce qui distingue la modernité d’hier de celle d’aujourd’hui, ce sont deux déterminations essentielles : l’une dérive de l’emprise complexe que la technique exerce sur le cours de notre vie ; l’autre tient à la figure spécifique que cette dernière est alors contrainte d’épouser. À la différence de la logique du vivant qui s’exprime par mutations, la logique de la technoscience se développe au rythme de transmutations indéfinies. Cette dimension – qui constitue le descriptif de la modernité –, la postmodernité l’aggrave en la tournant en dérision 2. Mais, au-delà de ce constat de surface, l’on observe que cette trame idéologique trouve, dans des lieux communs insistants, les principes régulateurs de son déploiement, à savoir : la subjectivité du regard, l’esthétisation du monde, la rationalisation de l’agir et l’éthicisation des comportements. I. La subjectivité 4 La modernité commence avec l’avènement de la subjectivité dont Descartes établit définitivement la théorie. En réalité, ce tournant philosophique et culturel est l’aboutissement d’une lente maturation, qui s’inscrit dans une tradition culturelle, où dominent de grandes “ époques ” repérables. Celle de l’individualisme timide du xiii e siècle, fondé sur des raisons aussi bien philosophiques qu’économiques 3 ; celle de la subjectivité religieuse qui constitue le “ dogme ” fondamental de la Réforme ; celle de l’émergence du cogito cartésien qui s’impose en principe de la science et la conscience ; celle du subjectivisme transcendental, qui domine le xviii e siècle ; celle de l’“ égoïté ” empirique de la philosophie utilitariste anglo-saxone, que sanctionne, au xx e siècle, l’idéologie du libéralisme moral et économique ; enfin celle de l’individualisme épistémique, qui constitue le schème de référence des sciences humaines 4. On le voit, le modèle de la subjectivité est complexe : il ne saurait se réduire à l’épure conventionnelle du sujet cartésien, même si ce dernier continue de hanter les profils qu’il a lui- même générés. La subjectivité est, en réalité, la résultante d’un processus de “ réflexivité ”, en vertu desquels l’homme proteste de lui-même face au monde et même face à Dieu. “ Ce n’est Des lieux communs de la modernité 3 Le Portique, 1 | 1998 que parce que – et dans la mesure où – l’homme est devenu, de façon insigne et essentielle, sujet, que par la suite doit se poser pour lui la question expresse de savoir s’il veut et doit être un Moi réduit à sa gratuité et lâché dans son arbitraire, ou bien un Nous de la société ; s’il veut et doit être seul ou bien faire partie d’une communauté ; s’il veut et doit être une personne dans le cadre de la communauté, ou bien être un simple membre du groupe dans le cadre d’une “corporation” ; s’il veut et doit exister comme État, Nation et Peuple, ou bien comme Humanité générale de l’homme moderne... ” 5. 5 Le sujet de la modernité émerge d’un travail d’abstraction, qui le pose en repli et en retrait des réalités, de l’être, de la relation. Heidegger a défini avec justesse les composantes de ce geste inaugural, en commentant la signification de la démarche cartésienne. La réflexivité du cogito, en effet, suppose deux réquisits. Le premier recouvre ce qu’il est commun d’appeler le primat de la représentation et le second la revendication d’un fondement... En clair, il n’y a point de sujet qui ne soit objet de la représentation, au triple sens conceptuel, diplomatique et théâtral de ce terme. Le “ moi ” se projette dans une image, dans laquelle il se met en scène et qui, d’une certaine façon, lui tient lieu de profil identitaire. En se représentant au sens conceptuel, il se pose en auteur ; en se représentant, au sens diplomatique, il se pose en agent ; en se représentant au sens théâtral, il se pose en acteur. Mais ce moment stratégique de l’engagement réflexif enveloppe un autre moment tout aussi décisif : celui de la domination de la représentation comme lieu exclusif de l’affirmation de soi : “ Là où le monde devient image (Bild), la totalité de l’étant est comprise et fixée comme ce sur quoi l’homme peut s’orienter, comme ce qu’il veut par conséquent amener et avoir devant soi, aspirant ainsi à l’arrêter, dans un sens décisif, en une représentation. “Weltbild”, le monde à la mesure d’une “conception”, ne signifie donc pas une idée du monde, mais le monde lui-même saisi comme ce dont on peut “ avoir-idée ” 6. 6 En s’exposant dans l’image de soi, le sujet prend fait et cause, d’abord, de lui-même, et ensuite, du monde. En se représentant, il s’institue comme tel : sujet de l’être qu’il est, mais aussi de l’être-en-totalité, qui le déborde de toutes parts. À juste titre, Heidegger nous rappelle que la représentation de l’être bascule désormais dans l’être de la représentation. Tels sont les deux présupposés de la subjectivité : le sujet se réfléchit dans l’image et, en même temps, érige cette image en pôle de gravitation du monde : “ ... l’homme se met lui-même en scène, c’est-à-dire dans l’évidence banale de la représentation commune et officielle. Ce faisant, l’homme se pose lui-même comme la scène sur laquelle l’étant doit désormais se présenter, c’est-à-dire être image conçue ” 7. C’est cette détermination qui, selon Heidegger, constitue la nouveauté de la modernité et distingue radicalement l’Ancien du Moderne. C’est elle qui érige la modernité en événement épistémique : elle nous projette dans une civilisation de l’image. Entendons par là l’image au sens de théorie, de vision du monde, de mise en scène de l’être et, finalement, au sens esthétique et médiatique du terme. Avant d’être un concept, la nouveauté désigne un tournant imaginaire dans notre culture : le moment messianique où l’être, le monde, le concept et le langage “ font image ” : “ L’époque qui se détermine à partir de cet avènement n’est pas seulement, pour la contemplation rétrospective, nouvelle par rapport à la précédente, mais elle se pose elle-même et formellement comme celle des uploads/Philosophie/ deux-lieux-communs-de-la-modernite.pdf

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