Langages La mise en discours en tant que déictisation et modalisation Herman Pa

Langages La mise en discours en tant que déictisation et modalisation Herman Parret Citer ce document / Cite this document : Parret Herman. La mise en discours en tant que déictisation et modalisation. In: Langages, 18ᵉ année, n°70, 1983. La mise en discours. pp. 83-97; doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1983.1154 https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1983_num_18_70_1154 Fichier pdf généré le 02/05/2018 Herman PARRET Fonds National belge de la Recherche Scientifique (Universités de Louvain et d'Anvers) L ENUNCIATION EN TANT QUE DÉICTISATION ET MODALISATION 1. L'instance d'énonciation comme effet d'énoncé Une théorie adéquate du discours (en philosophie, en sémiotique, en linguistique) met l'accent sur la nature constitutive du système signifiant : la signification n'est pas seulement structurée de manière autonome à l'égard du monde (l'ensemble des objets, « états de choses » et. événements) et à l'égard du sujet producteur, mais, de plus, créatrice et « disséminante ». Une théorie adéquate du discours prévient ainsi tout réalisme naïf (le discours comme « miroir du monde »), tout positivisme brutal (le discours comme syntagmatique distributionnelle) et tout psycho-sociologisme. Ceci posé, l'introduction du concept d'énonciation ne transforme pas nécessairement la théorie du discours en une théorie du sujet psycho-sociologique autonome (qu'un tel sujet soit « subjective », à la manière idéaliste, ou « objectivé », à la manière behavioriste — stratégies relevant d'un seul et même paradigme, que rejette précisément l'approche adéquate de renonciation). La théorie du discours n'est pas une théorie du sujet avant qu'il énonce mais une théorie de Vinstance d'énonciation qui est en même temps et intrinsèquement un effet d'énoncé. Que l'instance d'énonciation soit un effet d'énoncé ne signifie pas du tout que toute renonciation soit « énoncée ». Un effet d'énoncé n'est pas présent dans l'énoncé sous forme de marqueurs ou d'indicateurs morpho-syntaxiques ou sémantico-syntaxïques, mais doit être reconstruit ou « découvert » par un effort d'interprétation. Cet effort d'interprétation qui nous fait découvrir l'instance d'énonciation se ramène en fait à une transposition de sens : il s'agit en quelque sorte du remplissage d'un espace elliptique par une activité de paraphrase ou, pour employer un terme de Hjelmslev, d'encatalyse. Ceci constitue une prise de position dans deux débats centraux en théorie linguistique actuelle : celui concernant la conventionnalité de l'énoncia- tion, et celui concernant la relation de renonciation à la signification. Je voudrais indiquer comment ma position se traduit au niveau de ces deux débats. Je dirai d'abord que renonciation n'est pas « empiriquement présente » comme un ensemble de marques conventionnelles. C'est précisément 83 sur ce point que la pragmatique de style austinien 1 est réductrice à l'égard de renonciation : si toute renonciation est dans la performativité et si toute la performativité est exprimée par des formules performatives, ou du moins par des conventions performatives 2, renonciation n'est alors nulle part ailleurs que dans l'empirie de l'énoncé. Bien sûr, il existe effectivement certaines marques conventionnelles de renonciation : elles sont inventoriées en grammaire (en morpho-syntaxe, en syntaxe sémantique), en théorie des actes de langage, en analyse conversationnelle 3 ; mais ces marques « empiriques » ne sont qu'une infime partie de l'iceberg énonciatif. Il n'est pas contradictoire d'affirmer en même temps, d'une part, que le linguiste et le sémioticien ne doivent s'intéresser à renonciation que dans sa dimension discursive (donc à l'instance d'énonciation /effet d'énoncé, et non pas au sujet prédiscursif ou psycho-sociologique), et, d'autre part, que renonciation, bien que « marquée » dans l'énoncé, n'est pas énoncée : renonciation est transposée à partir de l'énoncé, elle est l'ellipse qui se remplit « en abyme » par paraphrase ou encatalyse. Il se révèle suggestif de retourner pour un instant à cette notion hjelmslevienne de (en)catalyse 4. On a souvent dit 5 que renonciation est le terme d'une fonction, selon Hjelmslev 6, l'autre terme étant l'énoncé. Ceci est insuffisant car il faut alors spécifier la nature de cette relation fonctionnelle spécifique : d'un côté, renonciation et l'énoncé ne peuvent être les termes d'une relation de présupposition bilatérale (le mari et son épouse) ; d'un autre côté, dire qu'ils sont les termes d'une relation de présupposition unilatérale (le roi du jeu d'échecs et les autres pièces) ne ferait pas disparaître le problème concernant le statut non empirique de l'instance d'énonciation /effet d'énoncé. Il y a heureusement, chez Hjelmslev, des définitions d'autres types de relations qui sont sans doute plus intéressantes pour notre propos que celles de présupposition (ou de détermination). Hjelmslev définit ainsi la rection comme la relation entre un élément constituant (qui serait alors renonciation) et un élément caractérisant (l'énoncé) 7 ; la cohésion, par ailleurs, est définie comme la relation entre un 1. Voir J. Searle, Speech Acts, Cambridge U.P., 1969. Cette thématique est au centre de l'attention de O. Ducrot (voir, e.a., sa contribution « Enonciation » au Supplément de Encyclopedia Universalis, 528-532). 2. Pour une discussion très développée concernant ce thème, voir l'ouvrage de F. Récanati, Les énoncés performatifs, Paris, Ed. de Minuit, 1981. 3. Je pense en premier lieu à la théorie gricéenne de la signification et de l'implicature conversationnelle. Voir « Logic and Conversation » in P. Cole and J. Morgan (eds.), Syntax and Semantics 3 : Speech Acts, New York, Academic Press, 1975, 41-58. 4. L'exemple préféré de Hjelmslev est la préposition latine sine présupposant un ablatif et non inversement ; il s'agit de « l'interpolation d'une cause à partir de sa conséquence » (voir Le langage, Paris, Ed. du Minuit, 1966). 5. Voir A. J. Greimas et J. Courtes, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979. 6. Hjelmslev définit une fonction comme suit : « Dependence that fulfils the conditions for an analysis » (Prolegomena, dél. 8). 7. Voir L. Hjelmslev, Le langage, Paris, Ed. de Minuit, 1966 (1963). Pour la définition de la rection, voir p. 177. 84 terme elliptique et un terme encatalyse 8. C'est précisément de ce type de relations qu'il s'agit quant il faut thématiser l'entrelacement de renonciation et de l'énoncé. Dire que renonciation est « logiquement présupposée » par l'énoncé, comme l'affirme A.J. Greimas 9, et en déduire que renonciation se constitue ainsi en méta-discours (ou en méta-énoncé) risque de nous mener d'emblée dans une direction hasardeuse. Tout métalangage comporte une auréole glorifiante (en mathématique, en logique) dans la mesure où il met un point final à tout processus d'interprétation (l'aspect « Jugement dernier » du métalangage, férocement dénoncé par Wittgenstein). Il faudrait plutôt remplacer « énonciation comme métalangage » par « énonciation comme péri-discours (ou para -discours) ». En revanche, c'est en exploitant la notion hjelmslevienne, quelque peu marginalisée, de (en)catalyse que l'on pourra penser Yellipticité et la périphrasticité de renonciation. Pas plus que la cause n'est dam la conséquence, renonciation n'est dans l'énoncé (comme le pensent Austin et ses successeurs). Mais elle n'est pas non plus « logiquement présupposée » : elle est encatalysée, ajoutée comme un supplément au « corps » : si renonciation est le supplément 10 et l'énoncé le corps, le décryptage de renonciation se fera par transposition. Cette transposition n'est pas une opération logique : si Y analyse est de l'ordre de la pensée, la catalyse est au contraire de l'ordre du sentiment (tout comme Y abduction chez Peirce, par opposition à l'induction, qui est l'ordre de l'expérience, et à la déduction, de l'ordre de la pensée) n. Pourtant, on n'est pas totalement démuni d'instruments conceptuels pour parler de cette chose difficile, paralogique, qu'est renonciation. U. suffit d'élaborer le champ notionnel catalyse/cohésion/syncrétisme chez Hjelmslev, ou, dans la perspective kantienne (qui est également celle du néo-kantien Peirce), aperception /intuition /abduction. Tous ces concepts nous ramènent plutôt au sentiment qu'à la pensée, et je n'hésiterai pas à invoquer la notion d'une compétence passionnelle, responsable de la projection de l'instance d'énon- ciation : il faut en effet être capable de passion communautaire pour être capable de catalyse énonciative (voir la Section 3 de cet article). J'indiquerai brièvement ma position dans l'autre débat évoqué plus haut, celui concernant la relation de Y énonciation à la signification. Une longue tradition, en linguistique, en logique et en philosophie, nous a ensei- 8. Il est intéressant de voir que « catalyse » est opposé par Hjelmslev à « analyse » (voir la définition de la « fonction », note 6), dont le prototype est « analyse textuelle » ou « syntagma- tique » puisqu'il s'agit dans ces cas d'une reconstruction scientifique d'une chaîne de termes en présence. Ceci n'est pas vrai pour la catalyse qui est une relation dont un terme est m absentia et l'autre in presentia. 9. Voir l'article « Enonciation » dans le Dictionnaire de Greimas et Courtes {op. cit.). 10. On ne peut pas ne pas penser ici à cette notion centrale de supplément dans la philosophie de Jacques Derrida, et à ce que Derrida nous a appris quant à la force « déconstructrice » du supplément. 11. Que la catalyse soit de l'ordre du sentiment est suggéré par Hjelmslev lui-même dans les dernières pages des Prolégomènes, là où, au niveau de la plus grande généralité, Universali- tas et Humanitas sont encatalysées à la théorie linguistique uploads/Philosophie/deixis-modalisations-lgge-0458-726x-1983-num-18-70-1154.pdf

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