GUY DEBORD L A S O C I È T È D U S P E C T A C L E Avertissement pour la troisi

GUY DEBORD L A S O C I È T È D U S P E C T A C L E Avertissement pour la troisième édition française IX I. la séparation achevée 1 II. la marchandise comme spectacle 19 III. unité et division dans l’apparence 33 IV. le prolétariat comme sujet et comme représentation 49 V. temps et histoire 95 VI. le temps spectaculaire 115 VII. l’aménagement du territoire 127 VIII. la négation et la consommation dans la culture 139 XI. l’idéologie matérialisée 161 Œuvres cinématographiques complètes 1952 - 1978 La société du spectacle (Film 1973) 63 Avertissement pour la troisième édition française La Société du Spectacle a été publiée pour la première fois en novembre 1967 à Paris, chez Buchet-Chastel. Les troubles de 1968 l'ont fait connaître. Le livre, auquel je n'ai jamais changé un seul mot, a été réédité dès 1971 aux Éditions Champ Libre, qui ont pris le nom de Gérard Lebovici en 1984, après l'assassinat de l'éditeur. La série des réimpressions y a été poursuivie régulièrement, jusqu'en 1991. La présente édition, elle aussi, est restée rigoureusement identique à celle de 1967. La même règle commandera d'ailleurs, tout naturellement, la réédition de l'ensemble de mes livres chez Gallimard. Je ne suis pas quelqu'un qui se corrige. Une telle théorie critique n'a pas à être changée ; aussi longtemps que n'auront pas été détruites les conditions générales de la longue période de l'histoire que cette théorie aura été la première à définir avec exactitude. La continuation du développement de la période n'a fait que vérifier et illustrer la théorie du spectacle dont l'exposé, ici réitéré, peut également être considéré comme histo- rique dans une acception moins élevée : il témoigne de ce qu'a été la position la plus extrême au moment des querelles de 1968, et donc de ce qu'il était déjà possible de savoir en 1968. Les pires dupes de cette époque ont pu apprendre depuis, par les déconvenues de toute leur existence, ce que signifiaient la « négation de la vie qui est devenue visible » ; la « perte de la qualité » liée à la forme-marchandise, et la « prolétarisation du monde ». J'ai du reste ajouté en leur temps d'autres observations touchant les plus remarquables nouveautés que le cours ultérieur du même processus devait faire apparaître. En 1979, à l'occasion d'une préface destinée à une nouvelle traduction italienne, j'ai traité des transformations effec- tives dans la nature même de la production industrielle, comme dans les techniques de gouvernement, que commençait à autoriser l'emploi de la force spectaculaire. En 1988, les Commentaires sur la société du spectacle ont nettement établi que la précédente « division mondiale des tâches spectaculaires », entre les règnes rivaux du « spectaculaire concentré » et du « spectaculaire diffus », avait désormais pris fin au profit de leur fusion dans la forme commune du « spectaculaire intégré ». Cette fusion peut être sommairement résumée en corri- geant la thèse 105 qui, touchant ce qui s'était passé avant 1967, distinguait encore les formes antérieures selon certaines pratiques opposées. Le Grand Schisme du pou- voir de classe s'étant achevé par la réconciliation, il faut dire que la pratique unifiée du spectaculaire intégré, aujourd'hui, a « transformé économiquement le monde », en même temps qu'il a « transformé policièrement la perception ». (La police dans la circonstance est elle- même tout à fait nouvelle.) C'est seulement parce que cette fusion s'était déjà pro- duite dans la réalité économico-politique du monde entier, que le monde pouvait enfin se proclamer offi- ciellement unifié. C'est aussi parce que la situation où en est universellement arrivé le pouvoir séparé est si grave que ce monde avait besoin d'être unifié au plus tôt ; de participer comme un seul bloc à la même organisation consensuelle du marché mondial, falsifié et garanti specta- culairement. Et il ne s'unifiera pas, finalement. La bureaucratie totalitaire, « classe dominante de substi- tution pour l'économie marchande », n'avait jamais beau- coup cru à son destin. Elle se savait « forme sous-dévelop- pée de classe dominante », et se voulait mieux. La thèse 58 avait de longue date établi l'axiome suivant : « La racine du spectacle est dans le terrain de l'économie devenue abondante, et c'est de là que viennent les fruits qui tendent finalement à dominer le marché specta- culaire. » C'est cette volonté de modernisation et d'unification du spectacle, liée à tous les autres aspects de la simplification de la société, qui a conduit en 1989 la bureaucratie russe à se convertir soudain, comme un seul homme, à la pré- sente idéologie de la démocratie : c'est-à-dire la liberté dictatoriale du Marché, tempérée par la reconnaissance des Droits de l'homme spectateur. Personne en Occident n'a épilogué un seul jour sur la signification et les consé- quences d'un si extraordinaire événement médiatique. Le progrès de la technique spectaculaire se prouve en ceci. Il n'y a eu à enregistrer que l'apparence d'une sorte de secousse géologique. On date le phénomène, et on l'estime bien assez compris, en se contentant de répéter un très simple signal - la chute-du-Mur-de-Berlin -, aussi indiscutable que tous les autres signaux démocratiques. En 1991, les premiers effets de la modernisation ont paru avec la dissolution complète de la Russie. Là s'exprime, plus franchement encore qu'en Occident, le résultat désastreux de l'évolution générale de l'économie. Le désordre n'en est que la conséquence. Partout se posera la même redoutable question, celle qui hante le monde depuis deux siècles : comment faire travailler les pauvres, là où l'illusion a déçu, et où la force s'est défaite ? La thèse 111, reconnaissant les premiers symptômes d'un déclin russe dont nous venons de voir l'explosion finale, et envisageant la disparition prochaine d'une société mondiale qui, comme on peut dire maintenant, s'effacera de la mémoire de l'ordinateur, énonçait ce jugement straté- gique dont il va devenir facile de sentir la justesse : « La décomposition mondiale de l'alliance de la mystification bureaucratique est, en dernière analyse, le facteur le plus défavorable pour le développement actuel de la société capitaliste. » Il faut lire ce livre en considérant qu'il a été sciemment écrit dans l'intention de nuire à la société spectaculaire. Il n'a jamais rien dit d'outrancier. 30 juin 1992 GUY DEBORD I. la séparation achevée « Et sans doute notre temps … préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être… Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacré. » Feuerbach (Préface à la deuxième édition de l’essence du christianisme) 1 page blanche 1 -- 1 / 2 « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles » : détournement de Marx, Le Capital : « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une "immense accumulation de marchandises". » Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans la représentation. 2 -- 2 / 3 Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l’unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée par- tiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seul contempla- tion. La spécialisation des images du monde se retrouvent, accomplie, dans le monde de l’image autonomisé, où le mensonger s’est menti à lui même. Le spectacle en géné- ral, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non vivant. 3 « Où le mensonger s'est menti à lui-même » : détournement de Hegel, La Science de la Logique : « Le vrai se vérifie » ; « Le mouvement autonome du non-vivant » : détournement de Hegel, La première philosophie de l'esprit (Iéna, 1803-1804) : « L'argent est ce concept matériel, existant, la forme de l'unité, ou encore la possibilité de toutes les choses du besoin. Le besoin et le travail élevés à cette universalité forment ainsi pour soi dans un grand peuple un immense système de communauté et de dépendance réciproque, une vie qui se meut en soi- même autonome d'une réalité morte, vie qui, dans son mouvement s'agite d'une manière aveugle et élémentaire, et qui, tel un animal sauvage, a besoin d'être continuellement dompté et maîtrisé avec sévérité. » 3 -- 3 / 4 Le spectacle se présente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d’unification. En tant que partie de la société, il est expres- sément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé, uploads/Philosophie/ guy-debord-la-societe-du-spectacle 1 .pdf

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