Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie français
Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie française et de langue française Vol XIX, No 2 (2011) | www.jffp.org | DOI 10.5195/jffp.2011.498 This work is licensed under a Creative Commons Attribution-Noncommercial-No Derivative Works 3.0 United States License. This journal is operated by the University Library System of the University of Pittsburgh as part of its D-Scribe Digital Publishing Program, and is co-sponsored by the University of Pittsburgh Press La phénoménologie et le concept de vie Un entretien avec Renaud Barbaras Renaud Barbaras, Tarek Dika, et William Hackett Journal of French and Francophone Philosophy - Revue de la philosophie française et de langue française, Vol XIX, No 2 (2011) pp 153-179 Vol XIX, No 2 (2011) ISSN 1936-6280 (print) ISSN 2155-1162 (online) DOI 10.5195/jffp.2011.498 www.jffp.org Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie française et de langue française Vol XIX, No 2 (2011) | www.jffp.org | DOI 10.5195/jffp.2011.498 La phénoménologie et le concept de vie Un entretien avec Renaud Barbaras Renaud Barbaras Université de Paris I-Sorbonne Tarek Dika Johns Hopkins University William Hackett Australian Catholic University Quand et avec qui avez-vous commencé à vous intéresser à la phénoménologie? Qui étaient vos professeurs et les étudiant(e)s de la votre génération? Mon intérêt pour la phénoménologie s'est déclaré très tôt, dès le lycée, où un professeur m'avait fait lire Heidegger et Merleau-Ponty. Je ne comprenais pas tout mais ce mode de pensée correspondait à mes yeux à ce que je recherchais en faisant de la philosophie. C'est ainsi que, très tôt, j'ai envisagé de travailler sur Merleau-Ponty. Mais, durant mes études supérieures, à l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud ainsi qu'à l'université, je me suis trouvé plongé dans une atmosphère très différente, très peu favorable à la phénoménologie. C'était la fin des années soixante dix et la scène philosophique était dominée par deux types d'approches, opposées à tous égards même si certains individus pouvaient se revendiquer des deux à la fois. D'une part, une perspective d'inspiration marxiste pour laquelle la philosophie était en quelque sorte au service de l'action politique. 1 5 4 | L a p h é n o m é n o l o g i e e t l e c o n c e p t d e v i e Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie française et de langue française Vol XIX, No 2 (2011) | http://www.jffp.org | DOI 10.5195/jffp.2011.498 Il n'y avait donc pas de philosophie, sinon “bourgeoise,” hors de la philosophie politique, de la philosophie des sciences et de l'épistémologie. A l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, ce dernier courant était très fortement représenté et quelqu'un comme Desanti, que j'ai eu comme professeur, était une référence majeure. D'autre part, une pensée que l'on a nommé ensuite “pensée 68,” qui s'épanouissait principalement à Vincennes, et qui était dominée par les figures de Deleuze, de Lyotard et de Foucault. Or, ce qui est frappant, c'est qu'il n'y avait pas véritablement de place pour la phénoménologie, en tout cas pour celle à laquelle je me suis consacré depuis. C'est tout au moins le souvenir que j'en ai. En réalité, il faut nuancer car Husserl bénéficiait évidemment d'un certain prestige en raison du caractère “scientifique” de son projet et, par ailleurs, le courant heideggerien était déjà très actif même s'il n'était pas encore très représenté dans l'institution, ce qui allait être le cas dans les années 80. Quoi qu'il en soit, cette époque était caractérisée par le fait que la phénoménologie n'était pas enseignée à l'université et faisait souvent l'objet de critiques violentes, aussi bien de la part des penseurs d'inspiration marxiste que de ceux que l'on appelait à l'époque les “désirants” (Deleuze, Lyotard). D'autre part, la seule phénoménologie qui avait éventuellement droit de cité était la phénoménologie allemande (Husserl, Heidegger). Régnait à l'époque - cela a d'ailleurs duré très longtemps - cette étrange germanophilie théorique qui voulait que la rigueur et le sérieux soient du côté des philosophes allemands et que les auteurs français, s'ils écrivaient bien, fassent une philosophie épigonale, allergique à toute réflexion méthodologique et sans véritable consistance théorique. Or, ce sont précisément ces auteurs, à commencer par Merleau-Ponty, qui m'ont presque immédiatement intéressés et c'est à partir d'eux que je suis en quelque sorte remonté vers Husserl et Heidegger. Il n'est pas exagéré de dire qu'à l'époque, la phénoménologie française n'avait aucune place. Sartre était encore vivant et on avait oublié qu'il avait écrit L'être et le néant. Lévinas était un inconnu. Je me souviens avoir découvert et lu Le temps et l'autre vers la fin des années 70 avec le sentiment qu'il s'agissait d'un auteur confidentiel dont, de fait, la plupart de mes condisciples n'avaient jamais entendu parler. Quant à Merleau-Ponty, nous étions en pleine “traversée du désert.” On n'en parlait pas et lorsqu'on l'évoquait, c'était soit pour critiquer ses positions politiques de la fin des années 50, soit pour stigmatiser son absence de rigueur et d'originalité, le caractère littéraire, “métaphorique” (comme on disait) de son œuvre - autant de qualificatifs qui étaient évidemment des marques de mépris. Je me souviens des réactions consternées, notamment à l'E.N.S., lorsque j'évoquais la possibilité de travailler sur cet auteur. Il faut ajouter qu'un penseur comme Bergson, sur lequel j'ai également travaillé, faisait l'objet d'un mépris comparable et il a fallu attendre les années 90 pour qu'il soit définitivement reconnu comme l'immense philosophe qu'il est et, pour ainsi dire, réhabilité. Quoi qu'il en soit, la conséquence de cette situation est que mon intérêt pour la phénoménologie n'a été suscité, ni B a r b a r a s , D i k a , H a c k e t t | 1 5 5 Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie française et de langue française Vol XIX, No 2 (2011) | http://www.jffp.org | DOI 10.5195/jffp.2011.498 encouragé par personne et s'est donc plutôt forgé contre les circonstances. Alors que j'en donne tous les ans depuis que j'enseigne à l'université, je n'ai pas suivi un seul cours de phénoménologie durant toutes mes années d'études. J'ai donc travaillé seul; j'ai certainement perdu beaucoup de temps, notamment pour m'approprier la pensée de Husserl et j'en garde le sentiment d'être une sorte d'amateur. J'ai d'ailleurs cédé d'une certaine façon à la pression ambiante, qui voulait que l'on fasse de l'histoire de la philosophie et que l'on travaille sur un auteur classique ou, tout au moins, consacré. Après un mémoire de maîtrise sur la dynamique et la métaphysique leibniziennes et une fois l'agrégation obtenue, je me suis engagé dans une thèse sur Leibniz. Ce qui m'intéressait chez lui était justement ce qui échappait à la sphère du principe de contradiction et de la logique, ce qui semblait excéder son puissant rationalisme, à savoir tout ce qui touchait à la question du monde et de sa création: compossibilité, point de vue et finitude de la monade, etc. Mais je me suis vite aperçu que les interrogations auxquelles correspondaient ces recherches trouveraient un terrain beaucoup plus favorable avec la phénoménologie. Ainsi, après ces quelques années de concession à la norme académique, je suis revenu avec enthousiasme à la phénoménologie. J'ai découvert Le visible et l'invisible, dont notamment les notes m'ont, d'emblée et pour longtemps, fasciné et j'ai rapidement (au début des années 80) décidé de consacrer ma thèse à l'ontologie de Merleau-Ponty. Ce point de départ a été évidemment déterminant pour mes propres travaux. Fait significatif, il n'y avait à l'époque aucun spécialiste de Merleau-Ponty ni même aucun phénoménologue susceptible de diriger ma thèse, de sorte que je l'ai faite avec un grand hégelien, Bernard Bourgeois. Il est inutile de dire que, pour les raisons que je viens d'évoquer, je me suis trouvé complètement isolé dans ma génération. Personne, pour ainsi dire, ne partageait mon intérêt pour cette phénoménologie. C'est seulement lorsque j'ai fini ma thèse que je me suis rapproché des phénoménologues qui avaient travaillé sur Merleau- Ponty et qui, tous, étaient sensiblement plus âgés que moi. Je pense à Jacques Garelli et Marc Richir, qui se revendiquaient, d'ailleurs à des titres différents, de la pensée de Merleau-Ponty, et à Françoise Dastur, qui se singularisait, dans les milieux heideggeriens dont elle faisait partie, par le fait qu'elle portait un grand intérêt à l'oeuvre de Merleau-Ponty. Dans votre travail vous insistez sur la valeur constitutive de ce que Husserl appelait la “corrélation a priori” pour l’ensemble de la tradition phénoménologique Husserlienne et post-Husserlienne (Heidegger, Merleau-Ponty, Michel Henry, Jan Patočka). Qu’est-ce que la “corrélation a priori” exactement et à quels problèmes dans l’histoire de la philosophie ce concept répond selon Husserl? Je dois d'abord souligner que c'est parce que le point de départ de mes propres recherches, dans la voie ouverte par Merleau-Ponty, est une interrogation sur la perception que j'ai été conduit à m'intéresser à l'a priori 1 5 6 | L a p h é n o m é n o l o g i e e t l e c o n c e p t d uploads/Philosophie/ la-phenomenologie-et-le-concept-de-vie-un-entretien-avec-renaud-barbaras.pdf
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- Publié le Jan 08, 2023
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