Le concept de masse en physique : quelques pistes à propos des conceptions et d

Le concept de masse en physique : quelques pistes à propos des conceptions et des obstacles The concept of mass in physics : some elements about conceptions and obstacles Damien GIVRY Université Lyon 2 Laboratoire GRIC équipe COAST 5 avenue Pierre Mendès France, CP 11 69676 BRON Cedex, France. Résumé Ce travail propose de pointer certaines difficultés que rencontrent les élèves lors de l'enseignement du concept de masse en classe. Pour cela, H s'appuie sur l'approche historique de ce concept ainsi que sur l'analyse des programmes, pour bâtir un questionnaire, proposé à des élèves allant de la classe de troisième au DEUG et à des enseignants de lycée. L'analyse de ce questionnaire a permis de mettre en évidence un certain nombre d'obstacles et de conceptions liés au concept de masse, ainsi que de pouvoir suivre leur évolution à travers les différents stades de l'enseignement. Mots clés : didactique de la physique, conception, obstacle, masse inerte, masse gravitationnelle. Didaskalia - n0 22 - 2003 - pages 41 à 67 41 Damien GIVRY Abstract This study deals with students'diffictulties during the learning of the concept of mass in school. In order to better understand these difficulties, we have studied the history of this concept and analysed curiccula. After this work, we have elaborated a questionnaire, that we proposed to students from the juniorhigh school to the universityand to high school teachers. Questionnaire analysis shows conceptions and obstacles concerning the concept of mass during the different stages of teaching and allows us to see their evolution. Key words : didactics ofphysics, conception, obstacle, inertia! mass, gravita- tional mass. INTRODUCTION La masse est une grandeur fondamentale de la physique, elle inter- vient aussi bien en mécanique classique que dans la théorie de la relativité, en physique nucléaire qu'en mécanique quantique. Cependant, l'appren- tissage de ce concept est loin d'être évident et les élèves rencontrent de nombreuses difficultés lors de son enseignement en classe. Une partie des travaux en didactique réalisés sur ce sujet a porté sur les difficultés des élèves à faire la distinction entre le poids et la masse (Halbwachs & Bovet, 1980 ; Mullet, 1990 ; GaIiIi, 1993 ; Aubert, 1994). Une autre étude a souligné l'ambiguïté que peut engendrer la différence entre le concept de masse inerte et celui de masse gravitationnelle (Heurtaux, 1978 ; Halbwachs & Bovet, 1983), ce qui a amené à se demander sur lequel de ces deux concepts s'appuyaient les élèves lorsqu'ils définissaient la masse (Doménech et al, 1993). Notre travail s'inscrit dans la continuité de ceux traitant de la différence entre masse inerte et masse gravitationnelle. Cependant, il se centre sur les représentations des élèves au sujet de la masse inerte et s'intéresse plus particulièrement à l'évolution des obstacles et des conceptions des élèves de la classe de troisième à la deuxième année de DEUG1. Dans un premier temps, nous ferons une approche historique du concept de masse, que nous limiterons volontairement aux parties concernant notre étude, afin de repérer, à travers les grands changements conceptuels, d'éventuels obstacles épistémologiques. Dans un second temps, nous effectuerons, par le biais de la transposition didactique, une analyse de certains manuels et des programmes relatifs au concept de masse. À partir de ce travail préalable, nous formulerons des hypothèses de recherche et nous définirons le cadre théorique dans lequel nous allons les tester. Nous décrirons la méthodologie que nous avons mise en place pour cette étude et nous finirons par la présentation de nos résultats. 42 Didaskalia - n° 22 - 2003 La masse : conceptions et obstacles 1. APPROCHE HISTORIQUE D U CONCEPT DE MASSE 1.1. Galilée, la loi de chute des corps conquise contre l'opinion générale Au Moyen-Âge, l'enseignement de la philosophie et plus particuliè- rement des sciences se faisait dans des écoles scolastiques. Ces écoles (inspirées par la philosophie d'Aristote) considéraient le poids (pondus) comme une propriété des objets lourds. C'est Galilée (1564-1642) qui, en établissant la loi sur la chute des corps, a supprimé la distinction entre les objets lourds qui avaient un poids et les objets légers qui n'en avaient pas. Ce faisant, Galilée va se heurter à des pseudo-théories admises par les grands courants de pensée de l'époque. Deux types d'explications faisaient alors barrage : « l'explication qualitative et cosmologique du mouvement de chute comme retour des graves (comprenez les corps lourds) à leur lieu naturel», ainsi qu'une « hypothèse empirique etquasi-mathématique, quine manque pas d'une certaine vraisemblance bien qu'elle soit fausse, suivant laquelle la vitesse de la chute est déterminée par le poids du corps » (Merleau-Ponty, 1974, p. 22). C'est Galilée qui établit par l'expérience que tous les corps qui tombent de la même hauteur acquièrent la même accélé- ration. Il précise notamment que « la chute ne dépendpas dupoids » et que « l'action de la résistance du milieu (le frottement) est relativement plus grande dans la chute des petits corps. » (Merleau-Ponty, 1974, p. 22) c'est- à-dire que les frottements dépendent de la taille des objets. Cependant, Galilée ne concevait pas la gravité comme extérieure au corps. Il concevait néanmoins « l'idée d'une résistance interne au changement de mouvement » (Lecourt, 1999, p. 613), qu'il exprima à l'aide du principe de l'inertie pour le mouvement dans le plan horizontal. Ce principe, bien que généralisable (valable dans toutes les directions, sur la Terre comme dans l'espace), ne fut envisagé qu'horizontalement par Galilée, car c'était, selon lui, « le seul réali- sable expérimentalement à la surface de la Terre » (Lecourt, 1999, p. 613). De plus ce principe n'était pas envisageable dans le cosmos, car, pour lui, « la ligne cosmique la plus naturelle » était « le cercle et non la droite » et « par conséquent le mouvement rectiligne et uniforme » n'était « qu'une abstraction, valable comme approximation locale » (Lecourt, 1999, p. 613). À la même époque, Descartes (1596-1650), en s'appuyant sur ce principe, définit, dans son livre « Méditation métaphysique » (1641), la quantité de mouvement (p) comme étant le produit de la vitesse (v) par la quantité de matière (m) : p = m-v. Le terme « quantité de matière » était d'ailleurs utilisé dès le xive siècle, avec l'idée de sa conservation dans tous les changements, de plus, Richard Swineshead (t 1355) envisageait la Didaskalia - n° 22 - 2003 43 Damien GIVRY possibilité de sa mesure mathématique par le produit de la densité et du volume. 1.2. Newton, la gravité est extérieure au corps Mais c'est Newton (1642-1727) qui, le premier, établit une distinction nette entre la masse et le poids, en concevant la gravité comme une sollici- tation extérieure. C'est sur la base de ce changement conceptuel révolution- naire que repose la Mécanique classique. Dans ses Principia Mathematica (Principes mathématiques de la philosophie naturelle, 1687), il définit la masse comme la « quantité de matière » donnée par la « réunion de la densité et du volume » (sous-entendu le produit des deux). Il établit, à l'aide d'expériences sur des pendules, la proportionnalité entre le poids (P) et la masse (m) à une hauteur donnée, ce qui se traduit par l'équation : P = mg g étant l'intensité du champ de pesanteur, indépendante de la forme, de la nature et de la masse du corps. En voyant la gravité comme extérieure au corps et la masse comme une quantité invariable, il apparaît que le poids varie en fonction de la distance au centre de la Terre. Par la suite, Newton étend la gravitation à tous les corps et érige le principe de la gravitation universelle : « tous les corps ont en propre un pouvoir de gravité, proportionnel aux quantités de matières que chacun d'eux contient ». C'est-à-dire que la force de gravitation de chaque objet est propor- tionnelle à sa masse. À partir de ce principe et en utilisant les lois de Kepler (1571-1630) sur le mouvement des planètes ainsi que la loi de Galilée sur la chute des corps, lois qui utilisent toutes les deux la proportionnalité entre « les espaces parcourus et les carrés des durées », Newton établit que la force d'attraction de gravitation universelle entre deux corps de masse respectivement m et m' séparés par une distance d est : A77-Arf F=G^~ (G : constante de gravitation universelle). Cette relation sera confirmée expérimentalement par Cavendish (1731-1810) au xixe siècle, qui, en pesant des petites masses à l'aide d'une balance de torsion, va retrouver la proportionnalité entre la force d'attraction et le produit des masses. 44 Didaskalia - n° 22 - 2003 La masse : conceptions et obstacles Newton définit aussi la force d'inertie propre à chaque corps, qu'il appelle vis insita, c'est-à-dire que « le pouvoir de résister au changement d'état de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite est proportionnel à la masse du corps » (Lecourt, 1999, p. 614), ce qui pourrait se résumer par : la masse ¡nertielle s'oppose à la mise en mouvement ainsi qu'au changement de mouvement. La formulation du principe d'inertie selon Descartes repose essentiellement sur la conservation du mouvement et uploads/Philosophie/didaskalia-2003-22.pdf

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