Dictynna Revue de poétique latine 4 | 2007 Varia L’amor humanus chez Marsile Fi

Dictynna Revue de poétique latine 4 | 2007 Varia L’amor humanus chez Marsile Ficin Entre idéal platonicien et morale stoïcienne Laurence Boulègue Édition électronique URL : http://dictynna.revues.org/144 ISSN : 1765-3142 Éditeur Université Lille-3 Référence électronique Laurence Boulègue, « L’amor humanus chez Marsile Ficin », Dictynna [En ligne], 4 | 2007, mis en ligne le 01 décembre 2010, consulté le 11 janvier 2017. URL : http://dictynna.revues.org/144 Ce document a été généré automatiquement le 11 janvier 2017. Les contenus des la revue Dictynna sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. L’amor humanus chez Marsile Ficin Entre idéal platonicien et morale stoïcienne Laurence Boulègue Je remercie Carlos Lévy d’avoir relu cet article qui a bénéficié de ses remarques et de ses suggestions. 1 Avec le Commentaire sur le Banquet de Platon, ou De Amore, en 1469, Marsile Ficin ramène au cœur du débat philosophique le thème de l’amour, déjà revivifié par le célèbre poème de Guido Cavalcanti, Donna mi priega, qui avait révélé, par sa complexité même, l’inextricable enchevêtrement des discours philosophiques, médicaux et poétiques. Pic de la Mirandole avait à son tour, dans le commentaire1 qu’il avait fait du poème de Cavalcanti, en 1500, recouvert d’un voile obscur un sens qui devait rester hermétique. Ficin enrichit profondément la réflexion sur l’amour en se proposant de donner non seulement une relecture du Banquet de Platon, mais aussi une mise en perspective de toute la tradition néoplatonicienne, qui permet au fondateur de l’académie florentine de rendre compte de la pensée du philosophe grec tout en livrant ce qu’on pourrait appeler – en s’inspirant de la terminologie des traducteurs – une belle infidèle qui allait connaître un succès et une influence durable sur la pensée et la poésie d’amour occidentale des deux siècles suivants2 . À l’origine de la redécouverte de Platon, le Commentarium est en même temps le point à partir duquel la philosophie d’amour du XVIe siècle italien sera le lieu d’une déformation généralisée de la pensée de Platon, notamment dans le genre philosophico-littéraire des traités d’amour dont le texte de Ficin peut être considéré comme le traité fondateur, point de référence de ses imitateurs, plus ou moins rigoureux, et de ses détracteurs3. 2 Ficin offre un commentaire qui suit de près le texte du Banquet antique non seulement dans sa forme et son déroulement – puisque chaque discours est repris et commenté par un orateur de l’académie florentine – mais aussi dans le souci de donner une lecture attentive par une attitude exégétique et interprétative rigoureuse. Mais Ficin, optant pour l’harmonisation du propos à travers les discours des différents orateurs, fait du sixième discours, que Platon avait consacré à l’exposé de Socrate et de Diotime, le lieu d’une vérité qu’il projette sur les précédents. S’il est vrai que Platon, malgré la primauté accordée à Socrate – tout en jouant cependant de l’ambiguïté du statut de Diotime –, avait L’amor humanus chez Marsile Ficin Dictynna, 4 | 2007 1 distribué quelques parcelles de vérité dans les cinq premiers discours, l’humaniste, lui, en fait un principe de rédaction : de la polyphonie naît une harmonie qui invite à voir derrière l’exégèse du texte de Platon l’expression de la pensée originale de Ficin, une préparation à sa théologie platonicienne. 3 L’incontestable prégnance des textes de Plotin, Denys ou Hermès, auxquel Ficin consacre ses travaux philologiques et théologico-philosophiques, a cependant quelque peu occulté l’influence de la philosophie stoïcienne des passions et de la conception romaine de la fascination dans la conception de l’amour humain (amor humanus) qu’offre l’humaniste du XVe siècle. Or la fascinatio est, chez Ficin, au cœur de la définition de cet amour intermédiaire, entre l’amour bestial (ferinus) et l’amour divin (diuinus). L’objet de cet article est de montrer qu’au cœur de la tradition néoplatonicienne les influences romaines, de la morale stoïcienne de Cicéron et de la conception amoureuse des poètes, sont présentes et permettent de préciser la paradoxale fidélité de Ficin à sa source première qu’est Platon. J’étudierai donc la lecture ficinienne du Banquet, particulièrement des discours de Pausanias et de Socrate, qui posent les fondements de la définition de l’ amor humanus. Néanmoins, l’interprétation du texte de Platon ne saurait à elle seule rendre compte de la définition ficinienne, non plus que le seul recours à la tradition néoplatonicienne. La philosophie et la poésie romaines des passions offrent une analyse du sentiment amoureux dont les échos sont sensibles dans le texte même du Commentaire et le passage consacré au mythe de Narcisse, que Ficin ajoute à la fin du sixième discours, est une illustration de cette complémentarité des influences, permettant à l’humaniste chrétien de réaliser une synthèse originale et, assurément, néoplatonicienne. ****** Définition de l’amour humain : le modèle platonicien 4 C’est au huitième chapitre du sixième discours que Ficin expose la hiérarchie des trois amours dans l’âme humaine : aux deux extrémités se trouvent les deux démons, le kalodaimôn, amour éternel qui consiste dans la contemplation de la beauté divine, et le kakodaimôn, aiguillon qui incite à la procréation, et qui, précise Ficin, n’est mauvais que par abus, c’est-à-dire en dehors du but de reproduction ; entre ces deux points s’insèrent les trois autres amours, non pas démons, mais motus (« motions ») ou affectus (« affects »), dont la hiérarchie suit celle des sens et détermine trois types de comportement amoureux : « En effet, de naissance ou par éducation, nous sommes disposés et enclins soit à la vie contemplative, soit à la vie active, soit à la vie voluptueuse. Si c’est à la contemplative, aussitôt la vue de la forme corporelle nous élève à la considération de la forme spirituelle et divine. Si c’est à la voluptueuse, d’emblée nous descendons de la vue à la concupiscence du toucher. Si c’est à la vie active et morale, nous continuons à jouir du seul plaisir de la vue et de la société. Les premiers sont si subtils qu’ils s’élèvent très haut, les seconds si épais qu’ils s’abaissent jusqu’au plus bas, et les derniers, entre les deux, demeurent dans la région moyenne. »4 5 Ainsi tout amour commence-t-il par la vue. Et, par la suite, conformément à la leçon de Diotime, nous sommes invités à suivre la voie contemplative, suscitée par l’amour porté aux jeunes garçons. Une telle orientation est confirmée, au chapitre 14, par une autre L’amor humanus chez Marsile Ficin Dictynna, 4 | 2007 2 hiérarchie, relative non plus à l’amant mais à l’aimé(e), à l’objet du sentiment amoureux, qui fait écho à la distinction entre les deux Vénus faite par Pausanias5 : « Ainsi le corps des hommes, selon Platon, est-il gros de semences, ainsi que l’âme, et tous deux sont-ils, par l’aiguillon de l’Amour, incités à la génération. Mais les uns, soit par nature soit par éducation, sont plus aptes à produire des fruits de l’âme plutôt que du corps, et les autres, les plus nombreux, tout au contraire. Les premiers s’attachent à l’Amour céleste, les seconds à l’Amour vulgaire. Les premiers aiment naturellement les mâles, et plus précisément les jeunes adolescents, plutôt que les femmes ou les enfants, parce que en eux brille particulièrement l’acuité de l’intelligence qui, en raison de sa beauté supérieure, est la plus apte à porter le savoir qu’ils désirent engendrer. Les autres en revanche sont mus par le plaisir de l’union charnelle et l’effet de la génération par le corps. »6 6 Il est alors facile de conclure que seul l’amour philopédique peut aussi être l’amour philosophique et Ficin, par la suite, conservera cette préférence et restera fidèle aux positions de Pausanias telles qu’il les expose ici. 7 Cette interprétation de ce que serait la véritable conception platonicienne de l’amour humain est possible pour qui voudrait dégager du Banquet une thèse unique, ce qui est le cas de Ficin. En effet, chez Platon, deux remarques dans la bouche de Diotime n’ont assurément pas échappé au lecteur précis qu’est Ficin : d’une part, était rejetée la définition d’Aristophane – l’amour du même pour le même, chacun cherchant en l’autre la moitié qui lui permettrait de retrouver sa complétude originelle – et, d’autre part, une position était clairement prise en faveur de la thèse de l’amour éducateur de Pausanias : « Ah je le sais bien, il existe, dit-elle, une théorie d’après laquelle ceux qui sont en quête de la moitié d’eux-mêmes, ce sont ceux-là qui aiment. Mais ce que prétend ma théorie à moi, c’est que l’objet de l’amour n’est ni la moitié, ni l’entier, à moins justement, mon camarade, que d’aventure ils ne soient en quelque manière une chose bonne. »7 […] « Or quand parmi ces hommes, il s’en trouve un maintenant en qui, être divin, existe dès son jeune âge cette fécondité selon l’âme, et quand, l’âge arrivé, l’envie lui vient à présent d’enfanter comme de procréer, alors, je pense, lui aussi, il se met de-ci de-là en quête de la beauté dans laquelle il lui sera possible de procréer ; car il ne uploads/Philosophie/ficino-eros-platonicus.pdf

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