LA PEUR ET L'ANGOISSE Jacques Natanson L’Esprit du temps | « Imaginaire & Incon
LA PEUR ET L'ANGOISSE Jacques Natanson L’Esprit du temps | « Imaginaire & Inconscient » 2008/2 n° 22 | pages 161 à 173 ISSN 1628-9676 ISBN 9782847951356 DOI 10.3917/imin.022.0161 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-imaginaire-et-inconscient-2008-2-page-161.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L’Esprit du temps. © L’Esprit du temps. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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L’angoisse est donc pour lui à la fois une catégorie de l’existence, qu’il appelle le « vertige de la liberté », mais en même temps elle est le vécu de l’individu, qui sera en fin de compte « l’unique devant Dieu ». La peur est une émotion ressentie généralement en présence ou dans la perspective d’un danger, c’est-à-dire d’une situation comportant la possi- bilité d’un inconvénient ou d’un mal qui nous affecterait. L’angoisse serait une inquiétude, à certains égards semblable à la peur, mais dans laquelle le danger qui caractérise celle-ci reste indéterminé. En remontant vers les sources Aux sources de notre culture, la mythologie grecque et la Bible, nous retrouvons à propos de l’angoisse ce caractère de menace indéterminée qu’on vient de discerner, non sans rapport avec le problème des origines. Dans la tragédie grecque, l’angoisse résulte de la confrontation à un destin inéluctable. Dans l’Œdipe à Colonne, Œdipe, réfugié à Athènes avec sa fille Antigone après s’être aveuglé, dit à Créon qui l’a chassé de Thèbes mais voudrait le récupérer: «J’ai été la victime involontaire de ces malheurs. Ainsi l’ont voulu les dieux, irrités sans doute depuis longtemps contre notre race». Imaginaire & Inconscient, 2008/22, 161-173. La peur et l’angoisse Jacques Natanson © L?Esprit du temps | Téléchargé le 19/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 80.11.213.132) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 19/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 80.11.213.132) 162 IMAGINAIRE & INCONSCIENT Pourquoi cette irritation ? c’est ce qu’Œdipe ignore. Peut-être ne sait-il pas de quoi Laïos s’est rendu coupable quand il était jeune à la cour du roi Labdacos. En tout cas il ne se sait pas coupable : « Si un oracle a prédit à mon père qu’il périrait de la main de son fils, apprends-moi comment tu pourrais justement m’en faire un reproche, à moi qui n’étais encore ni engendré par mon père ni conçu par ma mère, à moi qui n’étais pas encore né ? Si par une fatalité évidente, j’en suis venu aux mains avec mon père et l’ai tué, sans savoir ce que je lui faisais et qui je frappais, comment me blâmerais-tu raisonnablement d’un acte resté involontaire ? » L’angoisse naît ici de la fatalité du destin – mais à propos d’événements qui touchent à la naissance et à la culpabilité. Il en est souvent de même dans la Bible, à cette différence près que le protagoniste s’en prend personnellement à Dieu, conçu comme l’auteur du châtiment. C’est le cas de Job qui comme Œdipe clame son innocence mais sans en être absolument sûr. Lui aussi évoque sa naissance : « Périsse le jour où j’allais être enfanté (3,3)... Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein, à peine sorti du ventre j’aurais expiré (3,11)... Pourquoi ce don de la vie à l’homme dont la route se dérobe? (3,23)... Quand cesseras- tu de m’épier, me laisseras-tu avaler ma salive? Ai-je péché ? Qu’est-ce que cela te fait ? Pourquoi m’avoir choisi pour cible ? (7,19-20) » Le psalmiste, lui, reconnaît plus explicitement son péché, et en reste accablé, même s’il accède au repentir. Le psaume 38 pourrait avoir été prononcé par Job : « Ta main s’est abattue sur moi. Rien d’intact dans ma chair, et cela par ta colère, Rien de sain dans mes os, et cela par mon péché... Mes plaies infectées suppurent... Sombre je me traîne tous les jours, Car mes reins sont envahis par la fièvre » La forme la plus saisissante peut-être dans la Bible se trouve dans le Deuxième Testament : celle de Jésus à Gethsémani. Après le repas pascal, il se retire dans le domaine qui porte ce nom. Il dit aux disciples : « Restez ici tandis que je m’en irai prier là bas». Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. Alors il leur dit : « Mon âme est triste jusqu’à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi» (Matthieu, 26,36-39). Selon Luc, il leur dit: «Priez pour ne point entrer en tentation ». Puis il s’éloigna d’eux à la distance d’un jet de pierre, et fléchissant le genou il priait : « Père si tu le veux, éloigne de moi cette coupe. Cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse mais la tienne ». En proie à la détresse il priait de façon plus instante et la sueur devint comme © L?Esprit du temps | Téléchargé le 19/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 80.11.213.132) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 19/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 80.11.213.132) JACQUES NATANSON • LA PEUR ET L’ANGOISSE 163 de grosses gouttes de sang qui tombaient à terre » (Luc, 22, 40-44). L’angoisse est ici liée à la tentation en général – plus précisément à la tentation que, selon les évangélistes, Jésus lui-même éprouve de ne pas faire face à la nécessité d’assumer sa mission et d’affronter la mort. Angoisse d’autant plus fascinante qu’elle concerne un personnage considéré par les premières communautés chrétiennes où furent rédigés ces textes comme le seigneur et le sauveur. Le fini et l’infini L’angoisse par la suite dans la tradition chrétienne va se trouver surtout liée au péché, plus particulièrement à travers la théorie du péché originel que l’on attribue à saint Augustin. Comme chez les Grecs, il s’agit d’une culpabilité d’autant plus pesante qu’elle ne découle pas d’une faute person- nelle. L’angoisse de Luther face au péché originel ne s’atténuera que par la découverte de la foi au salut par la grâce divine. L’angoisse d’origine religieuse prendra chez Pascal une forme nouvelle qui tient au progrès de la science au XVIIe siècle avec le désenchantement du cosmos qui en résulte. Pour Pascal à la misère de l’homme face à son péché s’ajoute la conscience de sa petitesse dans un univers infini ; « Que l’homme, étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui est ; qu’il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature; et que, de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? Qu’est ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Que fera t-il donc sinon d’apercevoir quelque apparence du milieu des choses dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin ? » (Pensées 348). Kierkegaard : L’angoisse en héritage On retrouvera cette idée du néant comme liée à l’angoisse chez Heidegger autant que chez Sartre. Chez Kierkegaard qui est un des premiers philosophes à avoir traité systématiquement de l’angoisse, la dimension religieuse chère à Pascal reste la plus importante. Cet auteur, qui a vécu de 1813 à 1855, n’a pendant presque un siècle pas eu de postérité philosophique. C’est seulement au vingtième siècle dans les années trente que Heidegger lui fait une place dans la philosophie, suivi bientôt par Sartre. Kierkegaard a élaboré l’idée d’existence qui prendra une place importante dans un des courants de © L?Esprit du temps | Téléchargé le 19/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 80.11.213.132) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 19/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 80.11.213.132) 164 IMAGINAIRE & INCONSCIENT la philosophie moderne. Les Études kierkegaardiennes de Jean Wahl paraissent chez Aubier en 1938. La question se pose de savoir pourquoi la philosophie a tellement tardé à faire sa place à l’angoisse. Peut-être parce que l’activité philosophique est en elle-même un mécanisme de défense pour se protéger de l’angoisse. Kierkegaard est indissolublement un penseur religieux uploads/Philosophie/imin-022-0161.pdf
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- Publié le Dec 26, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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