La logique 2.0 Jean-Yves Girard 27 octobre 2017 Résumé Dans ce tract, je pose l

La logique 2.0 Jean-Yves Girard 27 octobre 2017 Résumé Dans ce tract, je pose les fondements d’une relecture radicale de la logique. Que j’illustre de developpements techniques : en particulier une notion de vérité basée sur l’invariant d’Euler-Poincaré. Introduction : le retour de la philosophie À la fin du xixème siècle, la logique connaît une renaissance spectaculaire. Mais, comme un serpent qui aurait grandi trop vite en omettant de changer de peau, elle reste de nos jours encore prisonnière d’une tunique de Nessus, le format scientiste concocté par les pères fondateurs et devenu obsolète. Cette obsolescence est rendue manifeste par les réseaux de démonstration issus de la logique linéaire [2]. Il est grand temps de changer de grille de lecture et d’effectuer une A révolution copernicienne B : le passage à la A logique 2.0 B. Le premier point de résistance est la philosophie dominante — analytique pour simplifier — dont la thèse principale est que. . . la philosophie ne sert à rien : une simple traduction permettrait de la court-circuiter en la réduisant au calcul des prédicats. Cette thèse, due grosso modo à Russell, place la logique en position d’arbitre irréfragable. Et donc, comment la juger, si elle est son propre jury ? Cerise sur le gâteau, les modernes A analytiques B réduisent la philosophie à la logique. . . du temps de Russell, la seule qu’ils connaissent. Cette logique périmée dicte ainsi sa loi sous couvert de philosophie scientiste. Chat échaudé craint l’eau froide ; qui a eu affaire aux épigones de Russell est convaincu de la justesse de leur thèse — l’inutilité de la philosophie. Et per- çoit comme des truismes sans intérêt, donc malgré tout indéniables, les slogans subliminaux sussurrés par ces A analytiques B — signifiant/signifié, forme/fond, langage/modèle. Or ces lapalissades ne sont pas innocentes 1 : elles expriment les préjugés scientistes tels qu’ils avaient cours vers 1925, au bon temps des A solutions finales B. La logique 2.0 est l’illustration du retour de la philosophie : c’est à partir d’une réflexion de ce type qu’il faut repenser la logique 2. Ce qui induit des re- structurations, des simplifications spectaculaires : par exemple, le remplacement du calcul des prédicats par le calcul propositionnel. 1. Par exemple, la vérité selon Tarski, voir infra, section 1.3.1. 2. C’est ce que j’ai tenté de faire dans mon livre [7]. 1 1 La logique 1.0 1.1 Le réalisme axiomatique La logique 1.0 prétend opposer la forme axiomatique au fond sémantique. 1.1.1 Grandeur et misère de l’axiomatique Axiomatique signifie A arbitraire B, et même A officier B en grec moderne. Cette étymologie militaire place donc l’axiomatique au nadir de la rationalité, en opposition à la logique, par nature allergique aux cours martiales. L’axiomatique reste cependant un outil exceptionnel. Elle consiste à déga- ger les hypothèses utiles qui induisent tel ou tel résultat. C’est ainsi que l’on axiomatise les structures algébriques — groupes, anneaux, corps. Et aussi les structures continues, espaces topologiques, algèbres stellaires, etc. Dans le cas des structures algébriques, l’axiomatisation réduit le raisonne- ment sur — disons — les groupes aux conséquences logiques de certains axiomes, dits A de groupe B. Cette étape établit un pont entre axiomatique et logique, avec une distribution des rôles : la logique est ce qui va de soi — l’´ αν ´ αγκη, la nécessité — ce qui est intrinsèque, l’axiomatique ce que l’on ne discute pas, ce qui est extrinsèque, contingent. Cependant, cette opposition n’est pas si évidente en pratique : par exemple, l’égalité est-elle logique ou axiomatique ? La logique 1.0 a choisi l’axiomatique en traitant x = y comme un prédicat parmi d’autres 3. Ce qui constitue un aveu d’échec : quoi de plus logique que cette égalité qui occupe la quasi totalité des formulaires mathématiques ? Cet exemple nous montre les qualités et les défauts de l’axiomatique : peu exigeante, elle se substitue allègrement à la logique. Mais au prix d’une perte de qualité : ravaler l’égalité au rang d’une axiomatique arbitraire revient à utiliser un Stradivarius comme bois de chauffage. 1.1.2 Du formalisme au morphologisme Hilbert a, avec son formalisme, l’idée géniale de couper le cordon ombilical avec la Réalité — la Sainte Sémantique — pour se consacrer à la pure forme ; il refuse de ce fait l’opposition entre forme et fond, puisque le véritable fond devient la forme. Cette idée, liée aux succès de la méthode axiomatique, renferme un piège diabolique dans lequel s’est empêtré ce A formalisme 1.0 B. En effet, une démonstration selon Hilbert n’est rien d’autre qu’un arbre, dont les nœuds sont des règles logiques — réduites au seul Modus Ponens —, les feuilles sont des axiomes et la racine est l’énoncé démontré. Mais comment expliquer un axiome par sa forme, si la réduit à celle, stéréotypée, d’une feuille d’arbre ? Comme tous les arbres se ressemblent, leur forme se révèle d’une platitude, d’un manque d’éloquence à pleurer ! Malgré une volonté méritoire de s’extraire de la sémantique, Hilbert a donc scié la branche sur laquelle reposait son approche. Je propose une relecture mo- 3. L’approche à la Leibniz, infra, section 1.2.5, ne s’extrait pas vraiment de l’axiomatique. 2 derne du formalisme hilbertien dont la condition sine qua non est l’abandon de l’axiomatique, nécessairement informe, et le recentrage sur la logique pro- prement dite. Ce qui induit une disparition collatérale du calamiteux Modus Ponens — bon à tout, bon à rien — et son remplacement par des règles douées d’une forme éloquente, d’une topologie exprimant le sens profond des opérations logiques. Les réseaux de démonstration issus de la logique linéaire réalisent ce A formalisme 2.0 B que je propose d’appeler morphologisme. C’est à partir de cette thèse morphologiste que nous serons amené à revoir les primitives logiques : peut-on les justifier du point de vue de la forme ? La réponse est le plus souvent positive, avec quelques rares refus, qui sont plutôt des modifications à la marge. Et surtout, la forme suggère de nouvelles opérations : ainsi les deux constantes logiques フ フ フ(fu) et ヲ ヲ ヲ(wo) sortent-elles directement de considérations morphologiques, sans le moindre substrat sémantique. Puisque フ フ フ= ∼フ フ フ, on obtient une réfutation logique 4 de la logique classique. 1.1.3 Grandeur et misère de la sémantique La sémantique est extrèmement utile du point de vue pédagogique : rien de tel qu’un recours à la réalité pour réfuter les raisonnements spécieux. Ainsi, l’in- dépendance du Postulat d’Euclide trouve-t-elle sa justification la plus convain- cante dans l’invocation d’une sphère ou d’un paraboloïde hyperbolique. De là à en conclure que la logique reproduit la réalité, il n’y a qu’un pas, aisément fran- chi par la logique 1.0, et techniquement autorisé par le théorème de complétude. Malheureusement, la structure logique par excellence, les entiers et leur mode de raisonnement par récurrence — mode du second ordre, puisqu’il réfère à une propriété quelconque — échappe au réalisme : le théorème d’incomplétude ex- hibe un énoncé G – A G B comme Gödel — qui n’est pas démontrable dans l’arithmétique de Peano PA, tout en n’ayant aucun contre-modèle. Par A au- cun B, je signifie que les prétendues réfutations de G sont des machins obtenus en complétant après coup la théorie consistante PA+¬G. Le seul modèle de PA que l’on obtienne naturellement est bien connu ; les autres, qui sont affublés du qualificatif de A non standard B, sortes de villages-Potemkine du réalisme axiomatique, ne sont là que pour la façade. L’incomplétude sur laquelle achoppe le réalisme s’inscrit dans la lignée du refus aristotélicien du paralogisme, i.e., de la justification factuelle : un raisonne- ment peut mener à une conclusion correcte tout en étant erronné 5. La logique est en fait placée sous le signe d’une certaine défiance, d’une prise de distance par rapport à cette réalité qui peut nous apparaître aujourd’hui indéniable et demain n’être plus qu’un préjugé, un article de foi — pensons au géocentrisme. 4. Jusqu’à présent, les rares réfutations du A classique B, obtenues par réalisabilité (genre ¬∀x(A ∨¬A)), ne sortaient pas du cadre axiomatique. フ フ フ= ∼フ フ フest, par contre, un principe logique indiscutable, pas un ukase sorti du chapeau. 5. Exemple extrème de paralogisme : Sherlock Holmes (Le Signe des quatre) déduit de l’examen d’une montre à gousset que le pauvre Watson avait un frère aîné mort alcoolique ! Cette abduction extravagante ne fonctionne que par le bon vouloir de Watson, alias Conan Doyle, qui décide de confirmer cette ânerie. 3 1.1.4 Le Sabre et le Goupillon On rapprochera axiomatique et sémantique de l’Armée et l’Église, institu- tions importantes et utiles, mais plutôt antagonistes à la démocratie qui ne saurait en aucune façon reposer sur elles. La complicité du Sabre et du Gou- pillon trouve un écho dans l’incroyable collusion scientifique entre axiomatique et sémantique, chacune confortant l’autre. Donnons un exemple, déjà évoqué dans [6]. La formulation de la logique, au tournant du xxème siècle, est axiomatique, d’où de multiples possibilités d’erreurs dues au militarisme de l’approche. Ainsi, le raisonnement par généralisation : uploads/Philosophie/jean-yves-girard-logique-2-0.pdf

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