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Laval théologique et philosophique Document generated on 10/04/2017 9:19 a.m. Laval théologique et philosophique La connaissance silencieuse : Des évidences antéprédicatives à une critique de l'apophase Jean-Yves Lacoste Théologies du pluralisme religieux Volume 58, numéro 1, février 2002 URI: id.erudit.org/iderudit/401395ar DOI: 10.7202/401395ar See table of contents Publisher(s) Faculté de philosophie, Université Laval et Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval ISSN 0023-9054 (print) 1703-8804 (digital) Explore this journal Cite this article Jean-Yves Lacoste "La connaissance silencieuse : Des évidences antéprédicatives à une critique de l'apophase." Laval théologique et philosophique 581 (2002): 137–153. DOI: 10.7202/401395ar This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. [ https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/] This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. www.erudit.org Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 2002 Laval théologique et philosophique, 58,1 (février 2002) : 137-153 LA CONNAISSANCE SILENCIEUSE DES ÉVIDENCES ANTÉPRÉDICATIVES À UNE CRITIQUE DE L'APOPHASE Jean-Yves Lacoste College of Blandings England RÉSUMÉ : On explore ici un fait complexe, celui d'une donation prédiscursive du monde au moi. Avant le langage bien formé, dans le silence de la vie perceptive, se met en ordre et se déploie un ordre dont la richesse ne cesse d'apparaître au fur et à mesure, celui du monde et de la subjectivité présente dans le monde. L'examen husserlien de la vie silencieuse a nourri le meilleur, ou presque, du travail philosophique contemporain. Il est toutefois d'autres silences qu 'il faut aussi considérer, le silence qui suit le dernier mot et le silence qui répond à l'inef- fable. ABSTRACT : We explore here a complex fact : the prediscursive donation of the world to the self. Before well-formed language, in the silence of perceptive life, is put in order and deployed an order whose richness keeps manifesting itself progressively, that of the world and of the pres- ence of subjectivity in the world. The Husserlian examination of that silent life has fed and in- spired the best, or almost, of contemporary philosophical work. There are however other si- lences to be considered, the silence that follows the last word and the silence answering the ineffable. I A bien des égards, la seconde philosophie de Husserl, après l'époque des Recher- ches logiques, peut apparaître comme une théorie de la parole différée, ou de la parole mise entre parenthèses. « Synthèses passives », « synthèses actives », « évi- dences antéprédicatives », tous les textes consacrés à ces thèmes prouvent à satiété que les choses, qui se donnent à la conscience comme phénomènes, se constituent et sont constituées dans la sphère de vie silencieuse de cette conscience. Les mots certes sont tous autant de phénomènes, les choses certes nous sont aussi données par la médiation des mots. Mais c'est en marge des mots, ou en amont d'eux, que s'orga- nise, dans les descriptions husserliennes, presque toute la vie consciente — au point, par exemple, que les recherches de Husserl sur l'intersubjectivité ne consacrent qu'une attention marginale au fait de l'interlocution. Que se passe-t-il donc ici, où la parole n'intervient pas, et qui se dispense de ses services ? Un fait complexe que l'on 137 JEAN-YVES LACOSTE peut regrouper sous un titre général, celui d'une donation prédiscursive du monde au moi. Un contre-exemple peut permettre de pousser plus loin la référence à Husserl. Russell, dans une célèbre conférence1, organise le champ du connaître en deux régions : celle de la connaissance par mode de familiarité (knowledge by acquaint- ance) et celle de la connaissance par mode de description. Le matériau sensoriel, cer- tains universaux (le rouge, le vert, etc.), certains objets mathématiques : l'ensemble de ce que nous connaissons par mode d'accointance est celui des réalités aivec les- quelles nous entretenons une « relation cognitive directe », celui des réalités fami- lières en tant qu'elles se présentent à la conscience. Cet ensemble est vaste, ses limi- tes toutefois sont vite rencontrées. Les sense data ne sont pas les choses. L'existence d'autres moi n'est garantie par aucune certitude sensorielle. Il n'est pas certain pour Russell que la conscience de soi fournisse un cas clair de présentation. Et lorsque nous nous avisons de savoir qu'il y a une pipe sur le bureau ou qu'il y a un auteur de la Chartreuse de Parme, nous quittons le domaine de l'accointance pour celui de la « description » : pour celui d'un monde parlé, d'un monde exploré par la parole. Celle-ci donc ne peut être différée ; à elles seules, les choses nous confient si peu d'elles-mêmes qu'il faut faire appel au langage toutes affaires cessantes pour aper- cevoir l'ordre du monde. Or lorsque la vie de la conscience, chez Husserl, se nourrit perpétuellement d'évidences antérieures à tout jugement, ces évidences sont bien ce que dit le mot, des expériences de la vérité, qui donc nous prouvent que le vrai ne s'incarne pas seulement dans des dires vrais. Élaborer une généalogie de la logique, le projet husserlien est parfaitement net : c'est avant le langage bien formé, dans le silence de la vie perceptive, que se met en ordre et se déploie un ordre (celui du monde et de la subjectivité présente dans ce monde) dont la richesse ne cesse d'ap- paraître au fur et à mesure que se précisent les analyses. Les exigences de méthode qui pèsent sur la phénoménologie, ou plutôt qu'elle se donne, sont donc celles d'un pas en arrière : il s'agit là de reconduire la logique et l'apophantique en deçà d'elles-mêmes pour les enraciner dans un champ de vie silencieuse dont il est dit à satiété qu'elle est vie connaissance, vie familière des choses elles-mêmes et du monde lui-même. La philosophie possède donc ainsi son moment silencieux ; et plus Husserl poussera ses descriptions, dans les manuscrits qui reçoivent forme de livre dans Expérience et jugement, plus la sphère de l'anté- prédicatif lui apparaîtra comme anticipant jusque dans le détail le travail à venir du langage prédicatif. Dans la pluralité de ses apparitions, le monde prend forme pour une conscience qui ne laisse jamais sa spontanéité obnubiler sa réceptivité. Récur- rente chez Husserl, il y a certes une tentation kantienne, qui triomphe dans Ideen II, et qui conduit à privilégier spontanéité et pouvoir de constitution. Mais ici comme là, dans la phénoménologie de la passivité comme dans celle de la constitution, la parole n'est requise que pour dire un ordre du monde, ou un ordre des choses, dont 1. « Knowledge by Acquaintance and Knowledge by Description », dans Mysticism and Logic and Other Essays, Londres, 1918, p. 209-232 ; réédité dans The Collected Papers of Bertrand Russell, t. 6, Londres, New York, 1992, p. 147-161. 138 LA CONNAISSANCE SILENCIEUSE l'essentiel est déjà garanti en silence. Cet ordre a pour destin d'être nommé, décrit. Mais lorsque sont nommés et définis prédicats, relations, touts et parties, etc., une expérience de ce que veulent dire ces mots a déjà été faite dans l'expérience de la conscience qui perçoit et constitue sans parler. On accordera que cette conscience en sait beaucoup. Le projet husserlien suscita des prolongements qui lui doivent généralement toute leur fécondité. Exploration du monde par le corps propre, familiarisation préthéma- tique avec les choses, les outils, les personnes, et d'ailleurs avec ces choses difficiles à utiliser que sont les mots, l'examen husserlien de la vie silencieuse a nourri le meil- leur, ou presque, du travail philosophique contemporain. Même chez Heidegger, qui n'est pas menacé par l'oubli des mots, la vie des affections (des Stimmungen en et par lesquelles se dévoile la Befindlichkeit) est elle aussi une vie cognitive (après tout, ce n'est rien de moins que le monde, et le mode mortel de notre là dans monde et être, que l'affection nous donne à connaître), et le Verstehen qui structure l'être-là co- originairement avec la Befindlichkeit n'a pas non plus pour tâche de produire des discours sur le Dasein mais d'en être le trait de fond, préconceptuel, qui permettra ultérieurement de poser des questions et d'en trouver les réponses. Connaissance par accointance, connaissance par description, l'accent porte phé- noménologiquement sur celle-là plus que sur celle-ci. Connaître, c'est d'abord être le familier des choses et du monde. Liée à un ensemble de phénomènes qui souvent se recouvrent entre eux (immédiateté, conscience pré-linguistique, etc.), la connaissance est à peu près coextensive à la vie, et tout à fait coextensive à la vie éveillée. Même un moi monadique connaît, puisqu'il existe en compagnie de lui-même et que ce soi- même est aussi peuplé qu'un monde. A fortiori un moi disposant de portes et de fenêtres, ouvert à l'extériorité dans la vie perceptive comme dans la vie affective, ne se trouve-t-il jamais interdit de faire acte de connaissance. Le connaissable apparaît diversement et nous faisons acte de connaissance avec une égale diversité. La percep- tion uploads/Philosophie/la-connaissance-silencieuse-des-evidences-antepredicatives-a-une-critique-de-l-x27-apophase.pdf

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