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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Jean Leroux Philosophiques, vol. 33, n° 2, 2006, p. 379-390. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/013888ar DOI: 10.7202/013888ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 17 septembre 2013 12:54 « Langage et pensée chez W. von Humboldt » Langage et pensée chez W. von Humboldt JEAN LEROUX Université d’Ottawa Jean.Leroux@uottawa.ca RÉSUMÉ. — On attribue communément à Humboldt l’origine de la thèse selon laquelle la structure du langage détermine la structure de la pensée, connue sous le nom d’hypothèse de Sapir-Whorf. Nous voulons reprendre les conceptions de Humboldt en la matière à leur source, c’est-à-dire dans le contexte de sa réflexion sur les enjeux philosophiques et anthropologiques reliés au grand mouvement comparatiste allemand du XIXe siècle. Après avoir esquissé la mesure herméneu- tique de son approche du langage, nous indiquerons sommairement comment Humboldt concevait en fait la relation entre la pensée et le langage en termes d’action réciproque et de synthèse. ABSTRACT. — Humboldt is commonly identified as the source of the Sapir-Whorf hypothesis, according to which, in its canonical formulation, the structure of lan- guage determines the structure of thought. We intend to briefly revisit Humboldt’s conceptions on the matter, with the view of putting them into the context of the philosophical and anthropological issues involved in the early historical compar- ative movement. Having first outlined Humboldt’s general methodological- hermeneutical approach to language, we then proceed to show how Humboldt, indeed, conceived of the relation that obtains between language and thought in terms of mutual interaction and synthesis. Introduction1 Le sort de la pensée linguistique de Humboldt semble bien être celui d’un décalage constant par rapport au développement historique de cette discipline. Lorsqu’il livre l’essentiel de sa théorie du langage dans l’Introduction à l’œuvre sur le kavi, le comparatisme historique, que Friedrich Schlegel avait appelé de ses vœux (1808), est déjà établi sur la base des travaux séminaux de Franz Bopp (1816) et de Jacob Grimm (1819)2. Apparaîtront bientôt les manuels de Bopp (langues indo-européennes) et de Diez (langues romanes) 1. Ce texte est une version remaniée d’une communication présentée au colloque « Esprit, langage et connaissance», organisé par la SPQ, et qui a eu lieu à Montréal dans le cadre du 72e con- grès de l’ACFAS. 2. Friedrich von Schlegel, Essai sur la langue et la philosophie des Indiens, tr. M. A. Mazure, Paris, Parent-Desbarres, 1837 ; Franz Bopp, Über das Conjugationssystem der Sanskritsprache in Vergleichung mit jenem der griechischen, lateinischen, persischen und germanischen Sprache (Sur le système de conjugaison de la langue sanskrite comparé à celui des langues grecque, latine, perse et germanique), éd. K. J. Windischmann, Francfort-sur-le-Main, Andreä, 1816; Jacob Grimm, Deutsche Grammatik, Göttingen, Dieterich, vol. 1, 1819, 2e éd., 1822; vol. 2, 1826; vol. 3, 1831; vol. 4, 1837. PHILOSOPHIQUES 33/2 — Automne 2006, p. 379-390 qui feront l’apanage du grand mouvement comparatiste allemand à l’époque où la linguistique s’accrédite en tant que science et discipline universitaire3. En fait, l’étude comparée des langues a déjà atteint en 1835 un seuil de posi- tivité qui lui donne une orientation tout autre que celle envisagée par Humboldt : elle se perçoit comme une discipline apparentée à l’anatomie com- parée, alors que Humboldt la conçoit essentiellement en tant que démarche herméneutique. La linguistique du XIXe siècle ne tarira pas d’éloges à l’en- droit de Humboldt, mais elle ne le suivra pas4. Sa conception du langage comme entité organique autonome générant ses propres ressources, son vaste pro- gramme d’étude comparative des langues (qui réservait un bon accueil aux questions généalogiques) et ses vues sur le rôle déterminant des formes gram- maticales d’origine concordaient certes avec le paradigme du comparatisme de son temps, mais ce n’est qu’au XXe siècle que la linguistique se réclamera de Humboldt dans ses notions-clés et approches de base. Parmi celles-ci, les vues de Humboldt sur la relation entre la pensée et le langage qui, par l’intermédiaire de Steinthal et de Boas, seront éventuelle- ment reprises, reproduites et transfigurées par la linguistique américaine, alors vouée à l’étude des langues amérindiennes et aux recherches anthro- pologiques. Nous faisons ici allusion à l’hypothèse de Sapir-Whorf, dont la teneur, pour notre propos, peut se résumer à ceci que la structure du langage détermine la structure de la pensée. La thèse large stipule que le langage déter- mine la pensée, la perception, et la culture ; l’hypothèse (qui doit son appel- lation à un protégé de Whorf, John B. Carroll) met à contribution la notion humboldtienne de Weltansicht pour associer à la diversité des langues une diver- sité de « visions du monde ». Notre propos n’est pas de dégager, dans cette hypothèse, ce qui revient à Sapir et ce qui revient à Whorf, ou encore d’en discuter le statut épisté- mologique (l’hypothèse est manifestement invérifiable) ; d’ailleurs, selon les termes de Whorf, il s’agit, non pas d’une hypothèse, mais bien d’un principe de relativité linguistique5. Il nous importe simplement de donner le contexte 3. Franz Bopp, Vergeichende Grammatik des Sanskrit, Send, Armenischen, Griechischen, Lateinischen, Litauischen, Altslawischen, Gothischen und Deutschen, 6 vol., Berlin, Dummler, 1833-1852 (qui sera traduit par Bréal), et Friedrich Diez, Grammatik der romanischen Sprachen, 3 vol., Bonn, Weber, 1836-1844. En ce qui concerne l’indo-européen, la grammaire de Bopp, puis celle de Schleicher (Compendium der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen, 2 vol., Weimar, Böhlau, 1861-62), demeureront en place jusqu’à la «révolte» des néogrammairiens (où ils seront alors rapidement remplacés par ceux de Paul et de Brugmann et Delbrück). 4. Thouard (L’embarras des langues. Introduction à Humboldt, 2000), Trabant, 1990, chap. 3, et Malmberg, 1991, chap. 10, ont indiqué comment Humboldt s’éloigne des tendances linguistiques de son temps. Les comparatistes de la première génération ont d’ailleurs tôt fait de prendre conscience de la distance entre leur linguistique et celle de Humboldt. 5. L’hypothèse de Sapir-Whorf a été largement discutée. Pour des études récentes, voir Joseph, 2002, chap. 4, Lee, 1996, et Lucy, 1992. Koerner, 1995, contient une bibliographie rela- tivement complète sur la question. Parmi les exégèses philosophiques, Gipper, 1963, chap. 5, n’a rien perdu de sa pertinence. Le principe de relativité linguistique englobe évidemment plus (et est moins explicité sur le plan logique) que celui de la relativité de l’ontologie repris par Quine. 380 . Philosophiques / Automne 2006 d’origine des conceptions humboldtiennes qui sont impliquées dans la thèse de Sapir-Whorf et d’en indiquer la composante dialectique (objectifiante-sub- jectifiante) qui s’y trouve occultée, à savoir: l’idée d’une action réciproque entre la langue et la pensée de celui qui la parle. 1. Une approche anthropologique de la langue Imbu de l’esprit des lumières et du romantisme naissant en Prusse, Humboldt fut le premier savant européen à pouvoir combiner une connaissance de langues non indo-européennes avec une formation philosophique solide. Lorsqu’il se retire des affaires publiques en 1820 pour se consacrer exclusive- ment à son projet d’étude comparative des langues, il maîtrise le français, l’anglais, l’italien, l’espagnol, le latin, le grec, le basque, le provençal, le hon- grois, le tchèque, le lituanien. Sans négliger les langues amérindiennes (entre 1820 et 1825 il rédigera des grammaires et des lexiques d’une vingtaine d’entre elles, incluant l’Aztèque), il s’intéresse au chinois, au japonais, au copte, à l’égyptien, au sanskrit surtout, et, en rapport à cette langue, à l’ancienne langue kavi de Java et à l’ensemble des langues malaises. Sur le plan philosophique, on pourrait dégager maintes traces néo-platoniciennes, leib- niziennes et hégéliennes dans la métaphysique humboldtienne du langage, mais l’influence déterminante lui vient de Kant. Au demeurant, ce qui s’appellerait à proprement parler une « philosophie humboldtienne du langage » n’existe qu’à l’état implicite dans ses écrits6. Humboldt avait entamé, dans les années 1796-1797, donc peu avant la publication de l’anthropologie de Kant (1798), deux projets d’études anthro- pologiques, le Plan d’une anthropologie comparative et Le XVIIIe siècle7. Il y définissait l’objet de l’anthropologie comme étant les « particularités du ca- ractère moral des différents genres humains » et les « diversités individuelles » des hommes, lesquelles se cristallisent dans une forme qu’il appelait le carac- tère — celui-ci étant l’ensemble des traits qui distinguent les sujets les uns des autres. Dans l’accomplissement de sa tâche principale, la description du caractère, l’anthropologie se doit d’approcher son objet d’étude en tant que tout organique. Difficulté épistémologique: le caractère de l’individu ne se révèle qu’en tant que construction du savant — en tant que forme, donc, que l’an- thropologue doit créer à partir des données. Dans son écrit ultérieur sur la tâche de l’historien, Humboldt, uploads/Philosophie/langage-et-pensee-chez-w-von-humboldt.pdf
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