Linx Les contacts de langues dans les situations de francophonie Nicole Gueunie

Linx Les contacts de langues dans les situations de francophonie Nicole Gueunier Abstract Typological approaches of francophonie patterns show that several types of contacts between French and other systems may be distinguished. Complex cases involve more types of contact rather than more contacts. Recent developments in the study of plurilingualism provide an interesting contribution to this field of research. Résumé L'examen des études typologiques sur les situations de francophonie conduit à s'interroger sur les types de contact entre le français et les autres systèmes en présence. Certaines situations sont complexes parce qu'elles comportent non pas forcément plus de contacts, mais plus de types de contacts que d'autres. Les progrès des recherches récentes sur les plurilinguismes enrichissent aussi cette réflexion. Citer ce document / Cite this document : Gueunier Nicole. Les contacts de langues dans les situations de francophonie. In: Linx, n°33, 1995. Situations du français. pp. 15-30; doi : https://doi.org/10.3406/linx.1995.1389 https://www.persee.fr/doc/linx_0246-8743_1995_num_33_2_1389 Fichier pdf généré le 04/04/2018 Les contacts de langues dans les situations de francophonie Nicole Gueunier ^ ES SITUATIONS de francophonie ont donné lieu à beaucoup de ■ descriptions et de tentatives de classement. Les premières, comme le | note Chaudenson (1993 : 358), reposaient sur la seule situation de la ^■É^ langue française, compte non tenu de sa coexistence avec d'autres langues. La typologie proposée par Chaudenson en 1988 (plusieurs fois reformulée jusqu'en 1993) vise à combler ce manque en se fondant résolument sur cette notion de contact, qu'elle appréhende de deux points de vue complémentaires, celui du "status" du français (F) par rapport aux autres langues en présence (statut "officiel", "institutionnel", "scolaire", "médiatique"...) et celui de son "corpus", également référé aux autres langues. Ce qu'il faut entendre par "corpus" se fonde sur des notions comme "appropriation" (acquisition comme langue première vs apprentissage comme langue seconde ou étrangère), le couple "vernacularisation" / "véhicularisation", "compétence", "consommation" / "production" langagière... Bien adaptées à l'objectif typologique de l'auteur, c'est-à-dire la construction d'une grille comparative applicable à un grand nombre de situations, elles se révèlent, bien naturellement, trop puissantes dès lors que, dépassant cet objectif, on y substitue celui d'une description fine de chaque terrain à considérer (Dumont 1994 : 227 sv.). Ces notions ont déjà fait l'objet de nombreuses réflexions : ainsi celles de "vernacularisation" (Manessy 1993), "véhicularisation" (Calvet 1993), "appropriation" (Ferai et Gandon 1994 ) etc. Je voudrais pour ma part réfléchir sur un aspect de la notion de "corpus" qui, à ma connaissance, n'a pas tellement été souligné : celui des types de contact entre le français et les autres variétés. On a en effet beaucoup parlé, et à juste titre, de la différence entre les situations où le français ne coexistait qu'avec un petit nombre d'autres langues, et celles où il entre dans un plurilinguisme ou un multilinguisme en soi quantitativement complexe. Mais la question de la complexité ne me semble pas se poser en termes seulement quantitatifs. Il s'agit 16 Nicole Gueunier donc ici, à partir de la grille typologique de Stewart (1968), plus ancienne mais tout aussi célèbre en son temps que celle de Chaudenson, et des réflexions qui en ont permis la reformulation, de réfléchir sur l'aspect qualitatif de ces contacts : avec quoi, dans les situations de francophonie, le français coexiste-t- il ? Des "standards", des "dialectes", des "vernaculaires" (etc.) ? et quelles conséquences en résultent pour la description et l'analyse de ces situations ? Rappelons que la typologie fonctionnelle de Stewart dégage, à partir de 4 critères : autonomie, standardisation, (c'est-à-dire "instrumentalisation" et "existence d'une norme"), historicité (peut-on en faire l'histoire ?), et vitalité (la variété est-elle pratiquée comme langue maternelle par une communauté ?), sept types de variétés linguistiques : - standard (S) : les 4 critères sont représentés ; - vernaculaire (V) : manque la standardisation ; - dialecte (D) : manque l'autonomie ; - créole (C) : manquent autonomie, historicité et standardisation ; ce qui a fait, depuis 1968, l'objet de critiques de la part des créolistes, qui ont montré que les créoles pouvaient s'autonomiser de la ou des variétés dont ils étaient issus, qu'on peut en faire l'histoire dès qu'on a assez de documents pour cela, et que, comme toute variété linguistique, ils peuvent être instrumentalisés ; - pidgin (P) : manquent les 4 critères, ce qui a évidemment conduit à ajouter des traits positifs de caractérisation : mélange, réduction phonologique et morphologique, analyticité... Je ne cite que pour mémoire les deux dernières variétés, qui ne concernent pas notre propos : - classique (manque la vitalité) ; - artificiel (manquent vitalité, historicité et, par ex. pour l'espéranto, l'autonomie). Les recherches récentes ont conduit à ajouter à cette liste ce qu'on peut appeler régiolectes (intermédiaires entre vernaculaires et dialectes, ainsi le "francitan"), et surtout, pour les situations qui nous concernent ici, les véhiculaires (sans ou en cours de standardisation, mais où, par ex. la vitalité ne peut être décrite ni comme totalement présente, ni comme totalement absente, puisqu'une partie des locuteurs les pratique comme langue maternelle. Ex. : le bambara, le wolof, l'arabe tchadien, décrit dans la thèse de Jullien de Pommerol 1994...), les koinès, intermédiaires entre les véhiculaires et les standards. (Ex. : le grec hellénistique, peut-être aujourd'hui le swahili, qui fonctionne comme l'un des standards de la Tanzanie, mais n'a pas autant d'historicité que l'anglais, par exemple)1 . Ces deux catégories correspondent à l'émergence, due à la mondialisation des échanges et au développement de pays ou ensembles régionaux plurilingues, de variétés supra-locales utilisées par des communautés qui n'ont pas la même langue maternelle. Ex. : anglais indien, wolof (Calvet 1981). Lorsque ces véhiculaires sont proches de la standardisation, je propose de les appeler "koinès". Les contacts de langues dans les situations de francophonie 17 A partir de cette réflexion rapidement résumée, je propose le tableau suivant, reformulation de la typologie de Stewart, où sont ajoutés des variétés et quelques traits de définition. D'abord des traits linguistiques : mélange, réduction, analyticité ; puis des traits fonctionnels : la variété peut-elle ou non assumer toutes les fonctions du langage et tous les aspects des échanges culturels ? Ainsi, un pidgin n'a guère de chances d'assumer la fonction métalinguistique et de servir à l'élaboration de traités de philosophie ou de mathématiques ; un véhiculaire, un dialecte ou un créole remplissent, eux, plus de fonctions anthropologiques qu'un pidgin, c'est-à-dire qu'ils permettent de nommer et caractériser la culture, matérielle et sociale, de la communauté qui les pratique, par exemple d'élaborer des terminologies aussi bien ethnobotaniques que de parenté etc. Enfin, seuls les standards permettent des échanges culturels "universalisables", d'élaborer des métalangages et des codes de discours valables en toute culture. Quant aux classiques, qui ont sans doute assumé ces fonctions quand ils étaient des standards, ils ont perdu cette faculté en perdant la vitalité ; c'est pourquoi, dans le tableau, j'ai résumé leur catégorisation fonctionnelle par l'expression "culture lettrée". TYPOLOGIE DBS VARIETES LINGUISTIQUES DE STEWART (1968, revue par DeU Hymes 1971, Fasold 1983, N. Gueunier 1994) variété standard vetnaculafae dialecte pidgin créole véhiculai» koinè classique autonomie ♦ + - - -/+ +/- ♦/■ + - vitalité + +/- - + -/♦ ♦/- - - 1. ■ . • n * pmnncife ♦ ♦/- +/- - -/+ - - instrumentalis/n + - - - -/+ - + + fonctions toutes presque toutes pas toutes rudhnentaires pas toutes pas toutes toutes culture lettrée pas toutes mrfiang»» --/+ "/+ -/+ ♦ -/+ ♦/- "/+ - + ptirwintnfr _ - - ♦ -/+ +/- - + CbLL: variéblB : standard, vernaculaire, dialecte, pidgin, créole, véhiculaire, koinè, classique, art LigatXj traits de <itfiniHt\t\ : a) fonâkmilds autonomie, vitalité, historidté, instrumentalisation et norme, fonctions to) tableau) : mélange, réduction phonologique et morphologique, anat/nctté syntaxique Symboles : "+/>" ■ trait en régression. "-/+" - trait en émergence "- -/+" " trait présent mais peu développé. Col. 6 : ( "Fonctions'') : la variété assume tout ou partie des fonctions du langage définies par Jakobson, ou tout ou "rudimentaires" (échange de biens matériels), "anthropologiques" (parenté, religieux...), "universalisables" : philosophie, mét Exemples : L2 : français, malgache... L3 : français populaires, arabe marocain (et tous arabes dits improprement "dialectaux Pidgin English camerounais, "camfranglais"... L6 : créoles antillais (haïtien, guadeloupéen...), mauricien, créole portugais arabe tchadien ... L.8 : grec hellénistique, swahiK... L.9 : sanscrit latin , grec ancien..., L. 10 : espéranto. Les contacts de langues dans les situations de francophonie 19 I. Les types de contacts interlinguistiques II est clair qu'un tel tableau ne peut constituer qu'un cadre, et que les traits formulés en termes binaires "+"/"-" ont quelque chose de simpliste, qui m'a d'ailleurs obligée à en subdiviser certains en "+/-", "-/+" etc. Mais il ne s'agit que d'un outil de départ pour une réflexion qui devra se doter d'instruments d'analyse plus fins. Quoi qu'il en soit, il permet de caractériser, dans les situations de francophonie, six types principaux de contact, où je distinguerai d'une part les contacts entre variétés de français (F), d'autre part ceux qui mettent en relation une ou des variétés de français et des variétés linguistiquement non uploads/Philosophie/les-contacts-des-langues-gueunier.pdf

  • 16
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager