IDENTIFIER, CATEGORISER ET CONTROLER. POLICE ET LOGIQUES PRO-ACTIVES Pratiques

IDENTIFIER, CATEGORISER ET CONTROLER. POLICE ET LOGIQUES PRO-ACTIVES Pratiques et discours sécuritaires Didier BIGO Extrait de « La machine à punir » Infokiosk B17 Nantes Avril 2011 2 3 Origine : http://www.lsijolie.net/lsq/bigotxt.rtf Le discours sur les insécurités et ses prémisses Un nouveau réalisme à propos de la sécurité existe. Droite et gauche raisonnables se retrouvent autour de l'idée d'une progression de la délinquance et des incivilités créant un sentiment d'insécurité dans les populations les plus fragiles – personnes âgées, femmes, habitants des quartiers défavorisés –. Les discours politiques s'accordent sur l'essentiel et ne se déchirent plus entre une droite valorisant la sécurité et une gauche les libertés. Au même titre que sur la Défense où, à la fin des années 1970, la gauche avait acceptée la dissuasion nucléaire, mettant fin au débat sur le nucléaire militaire, on aurait dans le domaine de la sécurité des personnes et des biens, l'acceptation que le sentiment d'insécurité n'est en rien un imaginaire et que la sécurité est la condition des libertés. Ceci tiendrait au progrès des recherches sociologiques et criminologiques fondées sur l'analyse des choix rationnels1. 1 Pour une présentation du débat sur l'insécurité allant dans ce sens, voir par ordre chronologique Monet Jean Claude (dir.), Réponses à l'insécurité; Problèmes politiques et sociaux; Paris; 1990. Roché Sebastian, Le sentiment d’insécurité, Paris, PUF, 1993. Lagrange Hughes, Roché Sébastian, "L'insécurité: histoire et régulation", rapport, Paris, IHESI, 1993. Lagrange Hughes, La civilité à l’épreuve. Crime et sentiment d’insécurité, Paris, PUF, 1995. Le débat entre Philippe Robert et Sebastian Roché, « Insécurité et libertés » in Les cahiers de la sécurité intérieure, n° 4 Alain Peyrefitte, malgré quelques erreurs, avait raison, nous dit-on, sur les deux points essentiels du débat des années 802. Premièrement, le sentiment d'insécurité est une réalité en soi que les hommes politiques doivent gérer, puisqu'il est mesuré dans les sondages et joue sur l'élection. Il est donc une donnée « objective » du jeu politique. Deuxièmement, la sécurité ne peut être opposée aux libertés pour trouver un équilibre entre deux principes antagonistes, comme on le fit en 1980-81. Elle est le fondement des libertés. Elle est un droit qui conditionne l’existence des autres. Elle est d'autant plus importante que la mondialisation favorise le chaos, les risques et les menaces, les criminels de tout genre. Les critiques des années 80 sur le fait que le sentiment d'insécurité, sans être œuvre de l'imagination, est disproportionné et relativement indépendant des fluctuations du crime, doivent donc être mises en sourdine3. Ces auteurs aveuglés par leur idéologie de gauche, oubliaient la prise en compte des comportement incivils dans leurs analyses, erreur que ne fait plus la sociologie contemporaine. Il en va de même de l'équilibre 19, janvier 1995. Roché Sebastian, La société incivile. Qu'est-ce que l'insécurité ?, Paris, Seuil, 1996. 2 Comité d’études sur la violence, la criminalité et la délinquance, Réponses à la violence, Paris, Presses Pocket, 1977. 3. Ces thèses cherchent à décrédibiliser les recherches faites par Ackermann W., Dulong R., Jeudy H.., Imaginaires de l’insécurité, Paris, Librairie des méridiens, 1983. 5 liberté sécurité. La liberté n'est plus le principe et la sécurité l'exception, c'est l'inverse. Les menaces qui pèsent sur la vie quotidienne du citoyen justifient le renforcement de la police de proximité, d'autant que la mondialisation du crime de haut niveau affaiblit l'État et renforce la vulnérabilité du citoyen. Il faut s'adapter au monde contemporain et ne pas être passéiste en évoquant la défense des libertés face à la sécurité4. La sécurité est la valeur première. La liberté ne doit pas profiter en priorité aux criminels. Ainsi la libre circulation des personnes est une évolution heureuse, mais elle ne doit pas favoriser le crime transnational et elle ne doit pas encourager l'immigration en mettant en danger les identités nationales et en détruisant la cohésion sociale par l'arrivée d'individus ayant des modes de vie incompatibles avec les valeurs du pays. Il est donc important de comprendre les inquiétudes légitimes à l'égard des étrangers qu'ont les nationaux, de renforcer la lutte contre l'immigration illégale et les flux de demandeurs d'asile et d'essayer d'intégrer les étrangers légaux pour qu'ils s'adaptent aux valeurs républicaines. Si eux ou leurs enfants ne le font pas, alors « il faut défendre la société » face à ces incivilités 4. Voir les interventions du Colloque de Villepinte, Ministère de l’intérieur, Des villes sûres pour des citoyens libres », Villepinte, 24-25 octobre 1997, Ed. Sirp, 1997. Pour une mise en récit de la priorité de la sécurité on lira les divers rapports du Sénat, en particulier ceux de la commission de contrôle de Schengen de Paul Masson ou ceux sur la drogue de Gérard Larché. La gauche n'est pas en reste sur ce domaine comme le montre les documents publiés par la délégation à l'Union Européenne de l'Assemblée Nationale. 6 et à l'insécurité en agissant fermement, non seulement contre le crime et la délinquance, mais contre tous les gestes d'irrespect à l'égard des valeurs qui irritent et inquiètent la population. Ces incivilités seraient le fait d'individus et de groupes mal socialisés qui auraient fait le choix facile de ces comportements déviants au lieu de la voie difficile du travail. Ces groupes se retrouveraient dans des quartiers difficiles à forte proportion de jeunes issus de familles immigrés ou immigrés eux-mêmes5. Les raisons structurelles seraient présentes – développement urbain mal géré, crise économique et chômage, économie délinquante de substitution et anomie sociale- mais ces raisons ne seraient en aucun cas des justifications à cette délinquance reposant avant tout sur le choix des individus qui, en situation, opteraient rationnellement pour le non-travail en fonction d'un calcul coût avantage6. Il y aurait donc être dur avec les causes 5. Pour une définition des incivilités par ces auteurs et par les opérationnels voir chapitre 1, page 28. 6 . Voir les ouvrages sur la prévention situationnelle et les opportunités du crime. Pour une critique des thèses les plus caricaturales comme celles de la vitre cassée, voir l’article de Laurent Bonelli (La machine à punir. Pratiques et discours sécuritaires, chapitre 1 pages 27-28), qui explique très justement le lien entre ces thèses des incivilités et les discours sur la tolérance zéro. Pour une application de ces idées voir la campagne publicitaire lancée en Angleterre par le gouvernement de Tony Blair afin de dissuader de donner de l'argent aux pauvres, Agence France Presse, Informations générales, 30 octobre 2000. 7 du crime mais aussi avec les criminels comme l’évoquait outre-manche Tony Blair. Ainsi, la sociologie de l'action rationnelle, la criminologie et l'anthropologie culturelle auraient su dépasser les clivages politiques du début des années 80 sur l'opposition sécurité liberté. Des savoirs constitués permettraient de mener une politique raisonnable infléchissant le choix du passage à la délinquance en en renchérissant le coût. La baisse des incivilités permettrait alors de rassurer et de protéger la population. Seule une poignée de naïfs irréductibles, de libertaires ou d'idéologues voudraient continuer de nier les « faits », de nier la montée de la délinquance, la corrélation entre celle-ci et le fait d'être étranger ou né d'un parent étranger; de nier la responsabilité de ceux qui s'engagent dans la délinquance. Ils seraient heureusement de moins en moins nombreux. La politique de sécurisation et son affichage public En suivant les recommandations de cette sociologie orientée vers l'action, de cette criminologie scientifique, les hommes politiques auraient un moyen de maîtriser une situation qui, sinon, s'empirera de jour en jour et deviendra très vite révolutionnaire et ingérable. Les effets bénéfiques de cette politique ne seraient cependant pas encore flagrant, car, pendant longtemps, les discours en France ne se seraient pas traduits en actes contrairement 8 aux États-Unis et au Royaume-Uni. Mais, depuis un an ou deux, enfin, on comprendrait en France les bienfaits de ces politiques et l'on s'adapterait à ce durcissement nécessaire après un laxisme ou des tergiversations coupables. Tolérance zéro dans les quartiers, investissement policier et pénal dans les écoles, dans les administrations sociales et fiscales, traitement en temps réel de la justice, refoulement rapide des faux réfugiés et de ceux qui détournent la politique d'immigration, fermeté dans l'application des peines, seraient le signe d'un renouveau de l'État dans ses prérogatives de souveraineté. Comme un père sait qu'il faut savoir sévir, ce serait à l'État républicain de redonner le sens des valeurs et du respect de l'autorité7. Il ne s'agirait pas pour autant d'un « retour au tout répressif aveugle » comme le signaleraient certains critiques parlant de pénalisation et d’incarcération de la pauvreté, mais d'une politique raisonnable s'appuyant sur des critères objectifs et des savoirs de sciences sociales permettant de cibler les groupes créant des problèmes et de les surveiller avant même la commission d'infractions8. 7. Ce « paternalisme répressif » semble partagé aussi bien par Jean Louis Debré que Jean Pierre Chevènement. 8. Il y a de la part de ces auteurs une anticipation des critiques les plus courantes de leur discours et le refus d'apparaître comme la vieille droite autoritaire. Ils tablent sur leur « modernité » face à une vieille gauche. Ils se cautionnent les uploads/Philosophie/ bigo-didier-identifier-categoriser-et-controler.pdf

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