Simondon Sa vie, son oeuvre 1 2 « Si ceci est le fardeau dont la vie est chargé

Simondon Sa vie, son oeuvre 1 2 « Si ceci est le fardeau dont la vie est chargée depuis le début, quelle est alors sa récompense ? Quelle est la valeur payée du prix de la mortalité ? Qu’est-ce qui, en fin de compte, était à affirmer là ? Nous y avons fait allusion quand nous disions que dans les organismes, l’Etre arrivait à « se sentir » lui-même. Sentir est la condition première pour que quelque chose puisse avoir de la valeur […]. Avec son surgissement dans l’évolution organique, la réalité a gagné une dimension qui lui manquait dans la forme de la matière brute et qui, par la suite aussi, restera confinée à son étroit appui dans les entités biologiques : la dimension de l’intériorité subjective… » Hans Jonas 3 4 INTRODUCTION Penser l’individuation implique une méthode génétique1, et relève en même temps d’une démarche naturelle qui est au plus proche de la dynamique de la vie, et de la problématique perceptive. La philosophie de l’individuation peut en effet se caractériser comme un vitalisme, mais il s’agit d’un vitalisme critique, qui s’interroge sur les conditions de la connaissance réelle, dans ce qu’elle a de plus immédiat pour la conscience. C’est en ce sens que l’on peut comprendre la philosophie de Simondon, de façon post-phénoménologique. Simondon partage en effet avec Husserl ce souci d’un retour aux choses mêmes, en tant qu’objet de l’expérience sensible et, plus fondamentalement, de l’intuition : l’enjeu est de dépasser le dualisme sujet-objet, ou bien esprit-corps, qui a jalonné l’histoire de la métaphysique occidentale depuis Platon jusqu’à Descartes. Mais on retrouve ce dualisme également chez Kant, entre le phénomène objet de l’expérience et la chose en soi conçue par la raison : plus fondamentalement, Kant s’interroge sur les conditions de l’expérience possible, sans jamais arriver aux conditions de l’expérience réelle : tel est le sens de la critique post-kantienne menée par Deleuze et Simondon. Dès lors, comment dépasser le rationalisme métaphysique ? Comment parvenir à penser sans réifier la conscience, ou sans basculer dans l’empirisme sceptique ? Ne peut-on définir l’invention de la pensée à sa source perceptive, c'est-à-dire comme acte émanant d’un sujet sensible, d’une autre forme de subjectivité que l’on peut qualifier de préindividuelle ?2 Simondon apporte une solution majeure à ce questionnement en introduisant un concept d’individuation qui permet de désubstantialiser le sujet sans le déréaliser. En effet, Simondon postule au fondement de sa philosophie, en référence aux Présocratiques (et en particulier aux physiologues ioniens), une unité réelle : 1 Au sens défini par J-H Barthélémy d’une méthode encyclopédique qui unifie les savoirs en pensant la genèse dont procède en effet toute réalité, in Simondon ou l’encyclopédismpe génétique, PUF, 2009, p.4. Le Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines la définit comme une « méthode commune à plusieurs disciplines qui explique un phénomène par sa genèse, c'est-à-dire qui compare entre eux les états successifs d’un phénomène en vue de saisir comment un tout complexe s’organise à partir de ses éléments », in Louis-Marie Morfaux, Armand Colin, 1980. 2 Simondon apporte un diagnostic qui nous semble fondamental pour comprendre le sens de sa pensée, en examinant les caractères communs des thèses rationalistes et empiristes : « on pourrait dire que la sensation et la perception sont impensables dans un système où précisément l’être est déjà en acte dès le début… : c’est la réception, impliquant extériorité et virtualité qui ne peut être pensée à l’époque classique », Cours sur la perception, La Transparence, 2006, p. 65. 6 « l’homogénéité …est positivement condition de cohérence ; le semblable adhère au semblable en vertu d’une liaison interne d’homogénéité […] Cependant, à ce premier caractère de consistance et de cohérence s’ajoute un dynamisme de développement, de croissance, plus universel et plus puissant que celui qui fait croître les plantes et grandir les animaux : la physis. Ce dynamisme pousse l’élément homogène à dessiner en lui une hétérogénéité dont les termes sont symétriques par rapport à l’état primitif d’homogénéité indivise »3. Cette philosophie de la cohérence et du dynamisme de l’Etre prend le nom de genèse, en laquelle opère une logique de transduction, qui requiert une rigueur intellectuelle pour saisir, « de proche en proche », les seuils de l’évolution créatrice de l’individu. La transduction apporte une certaine logique de l’intuition, qui manquait encore chez Bergson bien qu’elle ait déjà été appréhendée comme méthode4. La transduction possède aussi une signification métaphysique : elle « correspond à cette existence de rapports prenant naissance lorsque l’être préindividuel s’individue »5. Métaphysique du vivant ? Le préindividuel comme nouveau champ transcendantal, selon le commentaire de Deleuze, définit un Réel antérieur à l’individuation : le sujet est toujours plus qu’unité, il se déborde lui-même en raison des poussées de la physis, qui sont ses potentiels. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le sens profond de la thèse de l’individuation chez Simondon, le sujet ne pouvant se réaliser que dans le collectif à partir de sa charge de réalité préindividuelle : « à travers l’individu, transfert amplificateur de la Nature, les sociétés deviennent un monde ». Cette éthique de l’individuation permet de rendre compte de l’unité des phases de l’Etre, en assumant leurs différences. Ainsi le mode religieux, le mode esthétique et le mode technique sont-ils les trois phases emblématiques du devenir ontogénétique, c'est-à-dire qu’elles procèdent de la Nature : on trouve par là le sens fondamental de la philosophie de la technique chez Simondon, la technique étant par essence quelque chose qui découle de la nature, qui n’est pas un simple artefact extérieur à l’individu. Plus fondamentalement, la technique doit être pensée comme technicité, ou technèse selon le mot de B. Stiegler, c'est-à-dire comme mode originaire par lequel l’homme se rapporte au monde pour lui donner un sens : 3 SIMONDON, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information (ILFI dans la suite du texte), Grenoble, Jérôme Millon, 2005, p. 340. 4 Cf. G. Deleuze, Le bergsonisme, « L’intuition comme méthode », Chap. premier, PUF, « Quadrige », 2008. 5 SIMONDON, ILFI, p. 33. 7 « ce ne sont pas seulement les objets techniques qui doivent être connus au niveau de ce qu’ils sont actuellement, mais la technicité de ces objets en tant que mode de relation de l’homme au monde parmi d’autres modes comme le mode religieux et le mode esthétique. Aucune étude inductive, partant de la pluralité des objets techniques, ne peut découvrir l’essence de la technicité : c’est donc en employant une méthode philosophique, l’examen direct de la technicité selon une méthode génétique qui doit être tenté »6. Ainsi, comprendre l’objet technique, c’est commencer par admettre qu’il est consubstantiel à l’homme, et non pas seulement instrument en vue d’une fin ou d’une intentionalité utilitaire. La technique est donc indissociable de l’individuation, elle est approfondissement de l’Etre qui met en oeuvre les facultés les plus éminentes de l’esprit humain telles que l’imagination, l’entendement et l’intuition : plus que de technique, il faudrait alors parler avec Simondon de technoscience, c'est-à-dire d’une recherche tournée vers l’altérité encore inconnue qui contribue activement à la dynamique de l’invention technique, par l’observation des phénomènes empiriques. Si la technique est nécessaire à l’homme, elle devient avec Simondon une condition de son individuation, au même titre que l’éveil religieux ou que l’aperception esthétique : c’est soutenir que du vivant à l’objet technique, il y a non-seulement une parenté, mais plus fondamentalement, un nouvel évolutionnisme qui nous ouvre à une autre « époque du sentir ». 6 SIMONDON, Du mode d’existence des objets techniques (MEOT dans la suite du texte), Paris, Aubier, 1989, pp. 151-152. 8 Première partie - La vie de G. Simondon (1924-1989) Gilbert Simondon naît le 2 octobre 1924 à Saint-Etienne. Son père, Hyppolite Simondon, né à Tence (Haute- Loire), gravement blessé à Verdun à 19 ans, fait l'Ecole des Mutilés et devient employé des postes à Saint- Etienne, où il rencontre sa femme, Nathalie Giraud, issue d'une famille d'agriculteurs de la région d'Issoire (Puy-de-Dôme). Très jeune attiré par l'étude spéculative, Gilbert Simondon a consacré sa vie à la réflexion, à la recherche et à l'enseignement. Cet engagement ne l'a pas détourné pour autant des problèmes sociaux immédiats. Il a participé à des missions d'amélioration des conditions de vie dans les prisons, a organisé des enseignements pour des détenus, a participé aux travaux d'association de soutien à l'enfance défavorisée. Il a conduit des recherches sur la prévention des catastrophes et sur la sécurité, en lien avec ses recherches sur la perception, et conduit des études sur les problèmes d'industrialisation, sur les problèmes des ouvriers agricoles, etc. Il a travaillé longuement à une invention de phares non-éblouissants pour automobiles à laquelle il tenait particulièrement. Tout en s'investissant dans la vie locale, il ne s'est impliqué que discrètement en politique, mais il n'hésita pas à s'engager ponctuellement à titre personnel pour protester contre des atteintes à la justice et à la dignité humaine. Sa curiosité intellectuelle s'exerçait dans tous les domaines de la réalité à partir de sa culture philosophique, littéraire, historique, qui uploads/Philosophie/ simondon-sa-vie-son-oeuvre-expose-de-sa.pdf

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