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HAL Id: halshs-03563155 https://shs.hal.science/halshs-03563155 Submitted on 18 Feb 2022 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Géopolitique des religions au Viêt Nam. Les voies multipolaires d’une société civile confessionnelle Jérémy Jammes, Paul Sorrentino To cite this version: Jérémy Jammes, Paul Sorrentino. Géopolitique des religions au Viêt Nam. Les voies multipolaires d’une société civile confessionnelle. Hérodote - Revue de géographie et de géopolitique, 2015, Les enjeux géopolitiques du Viêt Nam, 157, pp.112-125. ￿10.3917/her.157.0112￿. ￿halshs-03563155￿ Résumés : Géopolitique des religions au Viêt Nam. Les voies multipolaires d’une société civile confessionnelle Jérémy Jammes et Paul Sorrentino L’État-Parti fait constamment face aux revendications politiques de mouvements religieux et cet article entend revenir sur cette dimension géopolitique des religions au Viêt Nam. Au terme de notre analyse de l’action politique de plusieurs courants religieux, l’échiquier géopolitique vietnamien contemporain se verra traversé par une pluri-centralité des institutions religieuses œuvrant à la mise en place d’une société civile confessionnelle et multipolaire. Geopolitics of Religions in Vietnam Multi-polar religious Ways of Civil Society Jeremy Jammes and Paul Sorrentino The Party-State in Vietnam constantly faces the differing political claims of various religious movements. The following article revisits the geopolitical contours of religions in Vietnam. By analysing the political actions of several religious movements, the article maps a contested and contrasted Vietnamese contemporary geopolitical landscape. One that is characterized by its multi-centric institutions which attempt to establish a multi-polar religious civil society. Jérémy Jammes : jjammes@yahoo.com Paul Sorrentino : trytoshakeme@hotmail.com Géopolitique des religions au Viêt Nam. Les voies multipolaires d’une société civile confessionnelle Jérémy Jammes1 et Paul Sorrentino2 Le « renouveau religieux » qui a suivi les réformes économiques et politiques de 1986 (Dôi Moi) ne doit pas être compris comme une réaction mécanique à celles-ci : ses causes relèvent tout autant des actions des pratiquants eux-mêmes, des organisations créées par les promoteurs des cultes et de l’intervention d’instances internationales. Pour pleinement comprendre ces tensions entre les sphères religieuse et politique, une rupture épistémologique est nécessaire qui vise à dépasser l’approche du fait religieux vietnamien dans les termes réducteurs et faussement conjoncturels d’un « ré-enchantement » ou d’un reflet simpliste des relations binaires État-religions. Il s’agit en effet de réfléchir au caractère multiple du fait religieux, avec sa riche palette de « voies » (dao), de « religions » (tôn giao) et de « croyances » (tin nguong), chacune générant et se polarisant à partir d’un centre mythologique, symbolique, économique, politique ou institutionnel propre. Compte tenu de la multiplicité exponentielle des pratiques rituelles et confessionnelles vietnamiennes, aucune exhaustivité n’est à attendre dans notre article. En revanche, nous entendons réfléchir aux modes de rationalisation et d’expression de cette multipolarité, en variant la focale du village à la ville, des plaines aux montagnes, du rituel folklorique aux blogs confessionnels. L’État vietnamien et les religions : lois et concepts L’actualité politique du Viêt Nam depuis l’indépendance invite à réfléchir au cadre social et aux grilles interprétatives locales qu’offre la sphère religieuse vietnamienne. Mais qu’entend- on au juste par ce terme générique de « religion » dans le contexte vietnamien ? Le cadre 1 Jérémy Jammes, anthropologue, est Associate professor à l’Université de Brunei Darussalam. Il a été auparavant été directeur adjoint de l’Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est Contemporaine (IRASEC, CNRS-MAEE). 2 Paul Sorrentino, anthropologue, est chercheur postdoctorant au Centre Asie du Sud-Est (EHESS-CNRS). conceptuel selon lequel les pratiques religieuses sont abordées par les autorités vietnamiennes est indissociable du projet plus large de transformation de la société dans lequel le Parti s’est engagé dès son arrivée au pouvoir, projet impliquant notamment une refondation de la culture vietnamienne, dont un des piliers devait être la « scientifisation » de celle-ci (Endres, 2011 : 159-163). Cette référence rationaliste est régulièrement invoquée dans les débats autour de la légitimité des pratiques religieuses et ce, essentiellement sous la forme d’une critique de la « superstition » (mê tin) : celle-ci inciterait la population à gaspiller ses ressources et à reproduire des hiérarchies « féodales » (phong kiên), constituant un obstacle au développement de la modernité révolutionnaire et devant pour cela être éliminée. À la fin des années 1980, tandis que des pans entiers de l’ancienne orthodoxie marxiste- léniniste s’effritaient, la pensée de Hô Chi Minh, qui évoquait dès le 3 septembre 1945 la liberté de croyance et « l’union des croyants et des incroyants », a clairement resurgi dans l’idéologie officielle. Un glissement s’est progressivement opéré de l’athéisme d’État vers une reconnaissance savamment contrôlée d’un utilitarisme social et d’une subordination du religieux à l’identité nationale. La construction idéologique de cette historiographie revient abondamment sur l’engagement aux côtés de Hô Chi Minh des églises nationales et patriotes compatibles avec l’idéal communiste (Mouvement des catholiques patriotes, Confédération des églises évangéliques du Viêt Nam ou Société évangélique du Nord, etc.). Il faut noter que la notion de « religion » (tôn giao), ne rencontre qu’un écho limité auprès des Vietnamiens lorsqu’il s’agit de définir leurs propres pratiques. Le dernier recensement de la population, réalisé en 2009, confirme une tendance observée dans les enquêtes quantitatives précédentes : interrogés sur la « religion » qu’ils « suivent », moins de 20 % des Vietnamiens ont déclaré une telle appartenance. Aussi, ne faudrait-il pas voir dans cette typologie un canevas strict au sein duquel les cultes sont classés de manière définitive suivant des critères bien déterminés. De fait, beaucoup de pratiques religieuses vietnamiennes occupent une sorte de « marché gris » du religieux3, soit un espace de relative tolérance dont les contours restent flous : c’est uniquement à l’occasion d’affaires localisées dans le temps ou dans l’espace que se matérialise la limite entre les pratiques légitimes et celles qui doivent être réprimées, affaires telles qu’un conflit ouvert entre un médium (spécialiste censé établir une communication directe entre les vivants et les esprits des divinités ou des morts) et les 3 YANG F. (2012), Religion in China. Survival & Revival under Communist Rule, Oxford University Press, Oxford. autorités du lieu où il exerce4 ou la polémique qui a récemment vu des chercheurs s’opposer à un décret interdisant la combustion d’objets votifs en papier en 20105. Pour ce qui est des religions instituées, la nouvelle politique religieuse inaugure une séparation État-religions dans le cadre de procédures d’enregistrement. L’Article 3 de l’Ordonnance sur la croyance et la religion adopté par l’Assemblée nationale le 18 juin 2004 – et plus récemment le décret gouvernemental 92 du 9 novembre 2012 – témoignent ainsi d’une « reconnaissance officielle du phénomène social qu’est la croyance, des différentes formes qu’elle peut adopter, des lieux et organisations où cette activité se déploie » (Willaime, 2010 : 323). Le souci principal de l’État est alors de contrôler les activités religieuses en les reconnaissant au compte-goutte et pour une durée déterminée. Le statut légal est reconductible en cas de « bonne conduite » et nécessite régulièrement un nouvel enregistrement et l’affichage de l’utilité publique de telle ou telle croyance, sous peine de voir déclarées illégales et répréhensibles ces activités religieuses. L’instauration de ce processus administratif de contrôle impliquant des « personnalités juridiques » (phap nhân) rentrent évidemment dans des stratégies d’exercice de pouvoir et de respect de la souveraineté nationale dont l’impact se mesurera différemment selon les échelles. La principale préoccupation politique envers les mouvements religieux porte alors sur le risque qu’ils peuvent représenter pour la sécurité nationale. Une autre approche de la fabrication de l’État-nation vietnamien doit s’appuyer sur une lecture de la gestion politique du religieux, autrement dit de groupes sociaux et de grilles d’intelligibilité fortement différenciés, multi-centrés, et souvent politisés. Le Viêt Nam a-t-il une religion nationale ? Les pratiques religieuses vietnamiennes sont porteuses d’une revendication politique qui se retrouve explicitement dans différents mouvements prétendant incarner une « religion nationale » (quôc dao). La dilution des organisations bouddhiques dans le tissu social vietnamien a tendance à présenter le bouddhisme Mahayana comme la religion nationale. Au 4 Rédaction du journal (1997), « Cân dep ngay nhung hoat dông trai phep cua “nha ngoai cam” Nguyên Van Liên » [« Il est nécessaire de mettre fin immédiatement aux activités illégales du “nha ngoai cam” Nguyễn Văn Liên »], Bao Hai Duong, 12 août. 5 HAI LY (2010) « Câm dôt vang ma noi công công : cân co cach lam mêm deo » [Interdiction de brûler des monnaies d’offrande dans les lieux publics : un assouplissement est nécessaire], Doi sông va Phap luât, 31 août. moment le plus sanglant de la guerre du Viêt Nam, le moine zen Thich Nhât Hanh écrit, dans Lotus dans la mer de feu (1967 : 44-45), que « le bouddhisme vietnamien est une uploads/Politique/ 157-jammes-sorrentino-hal-pdf.pdf

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