251 Orientation lacanienne III, 4 Jacques-Alain Miller Dix-huitième séance du C
251 Orientation lacanienne III, 4 Jacques-Alain Miller Dix-huitième séance du Cours (mercredi 22 mai 2002) XVIII Nous consacrerons cette réunion à l’inconscient politique sur lequel le mouvement de l’histoire nous a fait trébucher, interrompant l’étude laborieuse que nous avions entreprise du contre-transfert. Je poursuivrai mes réflexions, celles dont je vous ai fait part la dernière fois, et Éric Laurent, entre la semaine dernière et aujourd’hui, a lui- même entrepris des réflexions sur l’inconscient politique et son interprétation aujourd’hui. La formule “ l’inconscient est politique ” que j’ai sortie la dernière fois a fait pavé dans la mare — c’est-à-dire qu’elle propage des ondes aussi bien dans la pratique que dans la théorie, encore que “ théorie ” soit ici un grand mot auquel je mets des guillemets. La théorie, quand on essaye de la produire — la théorie au présent —, n’est rien de plus, au moins dans la psychanalyse, qu’une voie de traverse, une voie que l’on fraye pour tenter de rattraper ce qui a déjà eu lieu et qui avance tout seul. Théorie et pratique en psychanalyse ne sont pas symétriques ou parallèles. Il y a en psychanalyse, il faut bien le constater, un retard de la théorie qui n’est pas contingent, qui n’est pas accidentel, mais qui est sans doute de structure, au moins en ce qui concerne l’élaboration. Et cette élaboration est certes en tension avec le savoir même qu’il s’agit d’élaborer, un savoir dont il serait beau qu’il exprimât la réalité s’effectuant selon un ordre nécessaire, conformément à la proposition 7 du livre II de L’Éthique de Spinoza : Ordo et conexio idearum — l’ordre et la connexion des idées — idem est — sont, est le même, puisque ordo et conexio sont là réunis — ac ordo et conexio rerum — le même que l’ordre et la connexion des choses. C’est une proposition essentielle, un idéal, à vrai dire, l’idéal même qui anime le structuralisme de Lacan, à condition de remplacer dans cette formule l’ordre et la connexion des signifiants, de faire que l’ordre et la connexion des signifiants remplacent l’ordre et la connexion des idées. C’est ce que Lacan désignait comme la combinatoire pure et simple du signifiant. Cette combinatoire était supposée définir des rapports de nécessité se rencontrant, les mêmes, dans la réalité. Voilà la conception du savoir à laquelle nous mesurons nos efforts, puisque c’est la conception d’un savoir qui n’est pas une représentation de la réalité, mais que l’on veut identique au principe même du développement effectif de la réalité, identique au principe de sa production, de sa Wirklichkeit. Dans cette conception, la structure n’est ni une description ordonnée de la réalité, ni un modèle théorique élaboré à distance de l’expérience. Voyez là- dessus le texte classique, pour nous, que constitue la critique de Lagache par Lacan dans les Écrits, page 649. Lacan prétend surmonter la différence, l’opposition, la contradiction qu’il appelle l’antinomie de ces deux conceptions de la structure comme description et comme modèle, en introduisant un mode tiers de la structure selon lequel la structure se produit dans la réalité même et y détermine des effets. Chez Lacan, ces effets sont des effets de vérité, des effets de jouissance, des effets de sujet, et la vérité elle-même est un effet, la jouissance aussi, et également le sujet. C’est dans cette direction qu’il faut entendre la proposition de Lacan qui est dans cette page, selon laquelle la structure opère dans l’expérience comme — il m’est déjà arrivé de citer cette formule qui vaut spécialement à la date où Lacan l’a émise pour le J.-A. MILLER, Orientation lacanienne III, 4 - Cours n°18 22/05/2002 - 252 fantasme — la structure opère dans l’expérience “ comme la machine originale qui met en scène le sujet ”. Expliquons ces termes. Machine, c’est un mot qui désigne une articulation signifiante, combinatoire et déterministique, dont les variations sont strictement conditionnées. Quelques années plus tard, Lacan en donnera un exemple de référence dans son cycle des quatre discours. La mise en scène du sujet, cela suppose en effet que la machine combinatoire est dans les coulisses, qu’elle ne se donne pas à voir, qu’elle est cachée, ce qui fait croire qu’elle est à distance. Être cachée veut dire qu’elle échappe à toute phénoménologie descriptive, qu’il ne suffit pas de laisser être, de laisser être ce qui est, pour y accéder. L’expression de mise en scène du sujet comporte une ambiguïté qui répercute la division même du sujet. C’est-à-dire que le sujet est mis en scène, il est acteur, il n’est pas le metteur en scène, et en même temps il est spectateur, la réalité est pour lui mise en scène par la structure. Qu’est-ce qu’ajoute à cette articulation de qualifier cette machine d’originale ? Sans doute Lacan entend par là qu’elle ne dérive de rien d’antérieur, mais au sens proprement génétique, qu’il critique dans cette page, et non pas au sens combinatoire. Et aussi bien originale veut dire unique. Cette machine est propre à chaque sujet, est à reconstituer dans l’expérience analytique pour chaque sujet. Mais il serait sans doute abusif de limiter la validité ou l’inspiration de cette proposition à l’expérience analytique stricto sensu, parce que sujet n’est pas l’individu. Lacan, par exemple, parle aussi bien du sujet de la science et on peut très bien considérer que le malaise, le malaise analysé par Freud, vise le sujet de la civilisation. C’est à cela que nous avons affaire quand nous sommes alertés comme nous l’avons été récemment. Nous apercevons que nous avons affaire à la machine originale qui met en scène le sujet de la civilisation dans le moment actuel, et que ceci est aussi bien conditionnant pour l’expérience analytique. Voilà ce qui se dessine d’une ambition toujours reprise, esquissée, de recomposer cette machine originale, celle-ci, à partir de ce qui nous est donné de ses effets. Il faut que je précise un point de ce que j’ai évoqué la dernière fois quand je vous ai cité un propos de Lacan à partir d’une citation qui en était faite : “ Je ne dis même pas “la politique, c’est l’inconscient”, mais tout simplement “l’inconscient, c’est la politique”. ” J’avais indiqué que ce propos était extrait de “ La logique du fantasme ” et je l’avais cité sans me reporter à la sténographie. Ce que j’ai fait depuis lors. Je voudrais donc ajouter ici, avant de poursuivre, quelques considérations sur ce point. D’abord, parce qu’on rencontre dans la sténographie la formule “ l’inconscience, c’est la politique ”. Mais je suis partisan de corriger cette sténographie et de comprendre, en effet, “ l’inconscient, c’est la politique ”. Le passage qui était cité, que j’avais repris, s’inscrit dans une phrase que je voudrais vous rapporter plus complètement. Voilà ce que disait Lacan : “ Si Freud a écrit quelque part “l’anatomie, c’est le destin”, il y a peut- être un moment où, quand on sera revenu à une saine perception de ce que Freud nous a découvert, on dira : je ne dis même pas, etc. ” Ce complément fait apparaître que la matrice du propos de Lacan est bien une formule de Freud, et que Lacan oppose ce que Freud a dit, et que l’on peut citer, ce qu’il a dit lui-même en écho à l’empereur Napoléon, il oppose ce que Freud a dit et ce que Freud nous a découvert, c’est-à-dire ce que Freud a vraiment dit. Ce que Freud a vraiment dit n’est pas ce que Freud a dit. C’est bien l’inspiration de tout l’enseignement de Lacan qui est là concentrée. Ce que Freud a vraiment dit n’est pas que l’anatomie est le destin. Ce n’est pas le corps anatomique auquel Freud renvoie pour essayer d’expliquer la différence J.-A. MILLER, Orientation lacanienne III, 4 - Cours n°18 22/05/2002 - 253 subjective de la sexuation. D’ailleurs, l’anatomie ne détermine même pas l’hystérie, puisque, comme Lacan le relève dans Télévision, la conversion hystérique n’obéit pas au partage anatomique. A côté du corps anatomique, on pourrait mettre en question le corps vivant, l’en distinguer. Le corps vivant en tant qu’il parle et que la parole conditionne sa jouissance, de ce corps, on pourrait peut-être dire qu’il fait le destin. Mais dans ce passage de son Séminaire, Lacan opère un déplacement de “ l’anatomie, c’est le destin ” à “ l’inconscient, c’est la politique ”. Et il l’explique par ceci que “ Ce qui lie les hommes entre eux, ce qui les oppose, est à motiver de la logique que nous essayons d’articuler ” — et en ce temps-là, c’était la logique du fantasme. “ L’inconscient, c’est la politique ” tient à ce qui lie et oppose “ les hommes ”, entre guillemets, entre eux, c’est-à-dire l’inconscient tient au lien social. Et c’est la conception que mettra en œuvre, mettra en mathème, le cycle des discours, quelques années plus tard dans l’enseignement de Lacan. L’inconscient tient au lien social — introduisons cette glose — justement parce qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Et on pourrait aller jusqu’à uploads/Politique/ 18-22052002bol34.pdf
Documents similaires










-
30
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 20, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0555MB