Anales de Filología Francesa, n.º 16, 2008 ANDRÉ BÉNIT 5 La Belgique sous le ré

Anales de Filología Francesa, n.º 16, 2008 ANDRÉ BÉNIT 5 La Belgique sous le régime français (1795-1814): situation sociopolitique et identitaire; évolution (socio)linguistique; spécifi cités culturelles et littéraires ANDRÉ BÉNIT Universidad Autónoma de Madrid Resumen Desde 1795 hasta 1814, los territorios que for- marían Bélgica a partir de 1830 fueron anexio- nados por Francia. En la primera parte de este artículo, analizamos la situación sociopolítica e identitaria de estos “departamentos reunidos” durante esas dos décadas; en la segunda parte, examinamos su evolución (socio)lingüística bajo el régimen francés; en la tercera parte, estudiamos las peculiaridades culturales y li- terarias de esta “Bélgica francesa” a partir de algunas de sus fi guras más emblemáticas. Palabras-clave Bélgica francesa; Lemayeur; Lesbroussart; Stassart; Ligne. Abstract From 1795 to 1814, the territories that will form Belgium from 1830 were annexed by France. In the fi rst part of this article, we analyse the sociopolitical and identity situation of these “unifi ed countries” throughout these two deca- des; in the second part, we examine its sociolin- guistic evolution under the French regime; in the third part, we study the cultural and literary features of this “French Belgium” starting from some of the most important intellectuals. Key-words French Belgium; Lemayeur; Lesbroussart; Stassart; Ligne. Dans un numéro de la revue Textyles intitulé «Quelle Belgique avant la Belgique?», titre qu’ils glosent ainsi: «Existe-t-il quelque chose que l’on puisse qualifi er de belge -un espace économique, une structure politique, une culture, etc.- avant la création de l’État bel- ge en 1830?», Klinkenberg et Provenzano (2006: 7) rappellent que cette question divise les historiens belges entre «pirenniens» -pour qui la création du royaume de Belgique en 1830 est la consécration logique d’un processus enclenché dès le Moyen Age- et «antipirenniens» -lesquels soulignent le caractère plutôt fortuit des facteurs qui permirent cette indépendance, Anales de Filología Francesa, n.º 16, 2008 LA BELGIQUE SOUS LE RÉGIME FRANÇAIS (1795-1814): SITUATION SOCIOPOLITIQUE... 6 l’absence d’unité du territoire belge ainsi que la prompte apparition de forces centrifuges. Des recherches récentes -comme celle de Jean Stengers- mettent l’accent sur le fait qu’une identité propre semble bien animer une partie du corps social dès le XV e S. comme sur le rôle matriciel de l’Etat et de ses institutions dans ce processus d’adhésion nationale (Denis & Klinkenberg 2005: 69-70). Dans cette étude, nous rappellerons tout d’abord la situation sociopolitique des te- rritoires belges à la fi n du XVIIIe S. et au début du XIXe S., avant d’envisager la situation linguistique de ces nouveaux départements français à la même époque et d’en étudier les spécifi cités sur le plan culturel et plus particulièrement littéraire. I. Situation sociopolitique et identitaire des «départements réunis» Après une première tentative d’annexion, en 1792-93, déjouée par les armées impé- riales, la seconde occupation des provinces belges par les armées françaises débouche en octobre 1795 sur l’incorporation pure et simple «de la Belgique et du pays de Liège» à la République «une et indivisible». Certes, quelques voix tentent bien de contrer le discours offi ciel soucieux de cultiver le mythe de l’unanimité du peuple belge en faveur de cette «réunion»: elles revendiquent l’indépendance des provinces belges au nom d’une identité propre -non française- et affi rment un sentiment d’attachement au nom du pays en ce qu’il constitue le symbole de son existence. Mais l’atmosphère générale est davantage à la résig- nation, voire au soulagement, «tant on espérait voir se terminer l’exploitation du pays par la France». (Stengers 2000: 153). En effet, de par cette assimilation qui modifi e de fond en comble les structures politiques, administratives et judiciaires de ces «départements réunis»1 et les soumet au même régime que le reste des départements français, leurs habitants devien- nent des citoyens français à part entière, avec l’ensemble des droits et des devoirs que cette nouvelle condition comporte. La reconnaissance internationale de l’annexion se fait lors du traité de Campoformio en octobre 1797. Après la perpétration de son coup d’Etat du 18 Brumaire an III (9 novembre 1799), Bonaparte renverse les institutions républicaines et instaure un pouvoir exécutif fort. Les mesures -bénéfi ques- prises notamment en matière économique et religieuse rassurent les nouveaux citoyens français (surtout les classes aisées), car elles sont synonymes de paix intérieure, d’ordre et de stabilité; toutefois, les grandes réformes centralisatrices lancées par celui qui s’est adjugé le titre de Premier consul (avant de s’octroyer celui d’empereur en 1804) heurtent les traditions belges. 1 Ils sont divisés en neuf circonscriptions (Dyle, Deux-Nèthes, Lys, Escaut, Jemappes, Sambre-et-Meuse, Meuse- Inférieure, Ourthe, Forêts, dont les chefs-lieux étaient respectivement Bruxelles, Anvers, Bruges, Gand, Mons, Namur, Maestricht, Liège et Luxembourg) qui correspondent grosso modo aux futures provinces belges. Anales de Filología Francesa, n.º 16, 2008 ANDRÉ BÉNIT 7 La vie de société avait repris mais les Français en étaient presque partout ex- clus. Les plaisirs de l’esprit manquaient, d’ailleurs, plus que jamais: dans la presse muselée, il était interdit aux journalistes d’insérer «aucun article quel- conque relatif à la politique, excepté seulement ceux qu’ils pourraient copier dans Le Moniteur»; la censure décourageait les auteurs et les libraires; les théâ- tres, brimés, ne pouvaient même pas jouer Athalie, et le pouvoir s’aventurait jusqu’à surveiller la musique! En pays fl amand, la situation était plus lamentable encore; les préfets s’y in- géniaient à extirper la langue néerlandaise non seulement pour l’usage offi ciel, mais aussi pour toutes les formes de la vie publique et culturelle. Seul le clergé continuait à prêcher dans la langue du peuple (Dumont 2005: 396-397). Rien d’étonnant donc à ce que, durant ces deux décennies au cours desquelles, juridi- quement et administrativement, les «départements réunis» ne se singularisent plus de leurs homologues français, le concept de Belgique continue d’exister au plus profond des cons- ciences. Comme l’indique Dubois (2005: 154), si la Belgique s’est alors volatilisée comme entité politique, elle n’en demeure pas moins bien vivante comme réalité morale; d’ailleurs, les Belges ne se privent pas de nommer «leur pays» la Belgique (Dubois 2005: 124), avec, il est vrai, le consentement des autorités françaises convaincues qu’un tel anachronisme s’estompera avec le temps et qu’il serait contre-productif d’empêcher que l’ancienne patrie belge -vouée, pensent-elles, à se dissoudre dans la nation française- ne soit célébrée dans des écrits publics. C’est ainsi que de 1805 à 1807, Dewez, sous-préfet impérial à Saint-Hubert, publie une Histoire générale de la Belgique depuis la conquête de César en sept volumes. De leur côté, les poètes (la plupart, du dimanche) affûtent leur plus belle plume pour exalter l’époque antérieure et attiser le patriotisme de leurs compatriotes -parfois contre l’occupant français-, tel le Malinois Willem Verhoeven qui, en 1795, se lance dans la rédaction de la Belgiade, une épopée de 22.000 vers interrompue par la mort de l’auteur en 1809. En 1807, à l’occasion de son (soi-disant) 700e centenaire, la chambre de rhétori- que des Catherinistes d’Alost organise une compétition poétique, en français et en fl a- mand, réservée aux «Belges» de naissance et dont le thème n’est autre que «Les Belges»! L’initiative -soutenue par les autorités2- remporte un succès certain puisque vingt-quatre pièces -dix-sept en fl amand et sept en français- sont soumises au jury, lequel rend son ver- dict en 1810; les six poèmes primés (trois dans chaque langue) obtiennent les honneurs de l’impression: Recueil des poëmes couronnés par la Société littéraire dite des Catherinistes à Alost (Gand, 1810). Du côté fl amand, les lauréats s’appellent Pieter-Joost De Borchgrave, receveur des contributions à Wacken (il avait déjà composé une Ode à la liberté en 1790), David De Sim- pel et le chirurgien van den Poel. Du côté francophone, le premier prix est unanimement accordé à Philippe Lesbroussart 2 Le préfet félicite même les Catherinistes pour cette initiative qui contribue au progrès de la littérature française, progrès «indispensable pour les habitans de ce pays depuis la réunion à la France» (Le préfet de l’Escaut au secrétaire de la Société, 21.12.1807; cité par Dubois 2005: 124-125). Anales de Filología Francesa, n.º 16, 2008 LA BELGIQUE SOUS LE RÉGIME FRANÇAIS (1795-1814): SITUATION SOCIOPOLITIQUE... 8 (1781-1855) qui, dans son poème didactique Les Belges, exalte la patrie, décrit la résistance de ses compatriotes à Jules César, fait l’éloge de Charles-Quint mais malmène Philippe II: Sol du Belge, salut ! Salut, terre chérie! Cet hommage t’est dû, terre féconde en biens, Riche de vrais trésors et de vrais citoyens. Adrien-Jacques-Joseph Lemayeur (ou Le Mayeur) (1761-1846), un avocat montois spécialiste du panégyrique à la gloire de la Belgique, obtient le deuxième prix pour Les Bel- ges, poëme contenant le précis de leur histoire, l’exposition de leurs progrès dans les arts et les sciences, le tableau de leur génie et de leurs mœurs, depuis l’origine de la Nation jusqu’à nos jours, qui, tiré en 1812 à mille exemplaires, sera l’un des ouvrages les plus vendus sous le régime français3: J’entreprens de chanter le Belge et ma patrie, Notre histoire, nos arts, nos mœurs, notre industrie. Enfans de mon pays, écoutez mes accens, Pour l’oreille d’un frère ils sont intéressans. Le troisième lauréat est un poète gantois du nom de Pierre uploads/Politique/ dialnet-labelgiquesousleregimefrancais17951814-3049181.pdf

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