LE SCORPION ET LA ROSETTE Essai de lecture des deux sémogrammes nagadéens Alain
LE SCORPION ET LA ROSETTE Essai de lecture des deux sémogrammes nagadéens Alain ANSELIN Université des Antilles Guyane Le contexte historique : l’Egypte nagadéenne (Nagada IIA-Nagada IIIA) et les figures de la Royauté : Eléphant, Faucon, Scorpion, Rosette. La politie prédynastique de Nekhen en Haute Egypte est réputée être la zone focale de la culture palatiale qui fournit à l’Etat pharaonique ses paradigmes majeurs. Elle connaît son apogée au Nagada IIB, ca 3700-3600 BC. Les tombes du Nagada IIA-B du cimetière HK6 caractérisent la période de la plus grande expansion du site. C’est aussi la période où se cristallisent les modèles culturels de la civilisation égyptienne pour plus de trois millénaires comme le note Renée Friedman : «The presence of stone statuary, funerary architecture and animal burials dating to 3700 BC is placing Hierakonpolis at the forefront of the traditions that have a long and rich history in Egypt»1. Particulièrement, la nécropole associe le personnage le plus important des élites hiérakonpolitaines de l’époque à la figure de l’éléphant. Au moins deux tombes abritent des restes d’éléphants 2. L’un est inhumé tombe 24, riveraine et contemporaine de la tombe 23, datée du Nagada IIA-B, ca 3700-3600 BC, qui contient des fragments d’une tête de massue en diorite, d’une jarre d’albâtre, un ibex en silex, une oreille et un nez d’une statue en grès. Il est tentant de définir sur ces bases Nekhen comme la cité d’un roi Eléphant. La cité du pr wr, avant de devenir la cité du Faucon, fut, dès avant ca 3500 BC, celle de l’Eléphant (figure 1). « Ainsi que l’avait déjà remarqué R.Friedman 3, c’est un jeune animal accroupi qui donne sa forme au per-our, le sanctuaire primordial du sud ; il s’agit sans doute d’un éléphanteau, et c’est là qu’il faut rechercher une explication » à son inhumation 4. Bernadette Menu y voit des lignages royaux qui se sont succédés sous le dais du pouvoir 5. La notion de lignage royal placée sous cet emblème mérite d’être examinée et confrontée aux traits culturels comparables qu’offrent les sociétés africaines qui associent encore jusqu’à des temps récents éléphant et pouvoir 6. Le roi est un Eléphant comme il sera plus tard un Faucon. La figure, royale, de l’Eléphant, associée à l’apogée «gerzéenne» (Nagada IIB) de la politie hierakonpolitaine, n’est pas inédite en Egypte – de nombreux rupestres amratiens (Nagada I) en attestent quelques siècles plus tôt, multipliant une iconographie d’Eléphants, d’Autruches, de Montagnes, qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher des noms de lignages que portent aujourd’hui encore en Ethiopie les nilotiques Nyang Etom7 - voisins historiques des Dasenech couchitiques. Cent cinquante ans plus tard, au Nagada IIIA1 et plus au nord, l’iconographie des powerfacts de la tombe Uj de Scorpion I d’Abydos associe aussi l’éléphant à la nécropole royale – dans une symétrie complémentaire du héron de Buto sur son temple (figure 2) 8. L’inventeur de la tombe, Gunter Dreyer, attribue logiquement une valeur égyptienne aux signes figurés seuls ou en groupes sur les étiquettes des jarres, particulièrement à celui de l’éléphant : 3b 9. Cette valeur est largement acceptée pour ce sémogramme. Notre propos n’est pas ici de discuter si, combinée à d’autres (proto-)hiéroglyphes, elle qualifie un lignage royal, celui de l’Eléphant des tombes hiérakonpolitaines 10, ou, un lieu, en l’occurrence de la nécropole funéraire de la royauté, Abydos, ou encore Eléphantine11. Mais de constater que les traits culturels de type nilotique s’habillent de mots couchitiques : «La valeur d’une liquide afroasiatique, /r/~/l/ fréquemment attribuée au graphème égyptien du percnoptère translitéré 3 (H.Satzinger,1994,204), vient éclairer le mot 3b, 3bw, éléphant, et lui assure des cognats en couchitique oriental : *?'arb-, éléphant (H.J.Sasse, 1982,27-28), harso : arap.ko, burji : a'rab, somali : arbe, rendille : arab, dasenech : ?'arab, elmolo : arap, konso : arpa, gidole : arp, oromo : arab» 12. Dans tous les cas de figure, l’isographe de l’éléphant et de son association à la mouvance du pouvoir gagne Abydos depuis Nekhen au Nagada IIIA1, coïncidant avec ceux du faucon et du scorpion à ces époques. Une inscription du Gebel Tjauti, sur l’une des routes qui sillonnent la région entre Nekhen et Abydos, publiée par J.C.Darnell13, associe faucon et scorpion dans l’exposé plus général d’une scène de victoire (figure 3). Le motif de l’arachnide est antérieur à sa qualification du pouvoir. Stan Hendrickx et Renée Friedman rejoignent la suggestion de Jochem Kahl d’un culte du scorpion à Hierakonpolis : « The falcon is the historic god of Hierakonpolis and the frequent occurrence at Hierakonpolis of representations of scorpions is considered evidence for a local scorpion cult there. »14. Le nombre d’artefacts en est remarquable dans les débuts du Naqada II, ce qui rend difficile de les relier à un nom ou un titre royal 15. Scorpion I d’Abydos est pour sa part trouvé en contexte funéraire royal, et est peut-être contemporain de l’inscription du Gebel Tjauti qui réunit Faucon et Scorpion. Toujours est-il que le faisceau des isographes royaux de l’éléphant, du faucon et du scorpion intègre étroitement Nekhen et Abydos, à cette époque du Nagada IIIA1-2 (carte ). Le héron de Buto perché sur son temple gravé, à l’égal du pr wr éléphantesque de Nekhen, sur de nombreuses étiquettes de la tombe Uj de Scorpion I, atteste alors de l’influence, sinon du contrôle, d’Abydos sur les sites du Delta. Le vin de Palestine, trouvé par centaines de jarres dans deux des chambres funéraires de cette tombe témoigne dans tous les cas d’un accès aisé aux marchés orientaux 16. Le poids de Scorpion I sur les routes du nord, l’avancée future de Narmer en Palestine supposent la prépondérance préalable du royaume thinite dans toute la région de Haute- Egypte, et une unité pacifique, politique et culturelle de la politie abydienne et de celle de Nekhen17. Aux débuts du Naqada III, Nekhen, qui a connu son apogée au Nagada II, décline. Ses tombes se font moins riches, mais le temple, le pr wr demeure le centre de gravité du discours politique et religieux et est largement représenté sur les étiquettes des jarres de la tombe Uj d’Abydos18 . Le centre de gravité du pouvoir palatial s’est déplacé, s’est rapproché du contrôle de la vallée et des routes de l’échange oriental sans cesser de tenir sa légitimité et sa sacralité de Nekhen : Narmer a tombe à Abydos, mais ses powerfacts majeurs, palette et tête de massue, sont religieusement «déposés» à Nekhen. De cette anastamose des deux polities, sans doute achevée dans le transfert du pouvoir de Nekhen à Abydos, et de leur expansion, Naqada, Nwb.t, fait les frais et est «éliminé comme centre politique»19. Stan Hendrickx et Renée Friedman inclinent à voir dans l’inscription de Gebel Tjauti, aux portes même de Nwb.t, «le témoignage de la victoire» de la politie thinite sur ses rivales régionales. Ainsi, en guise de récapitulation diachronique, au Naqada II, ca 3700/3500 BC, Nekhen est à son zénith. Le pr wr, l’ovale sacrificiel, notamment d’ovicapridés (de gazelles), la (les) tombe(s) royale(s) de l’éléphant, le falconidé divin, le culte du scorpion, configurent la mouvance hiérakonpolitaine - qui commerce avec son hinterland saharo-nubien, et avec les comptoirs maadiens : «His pottery grave goods included fine black topped beakers, a bowl decorated with white paint and a jar imported from Maadi»20. La nécropole royale du pouvoir thinite, plus tardive, datable du Nagada IIIA1-2, ca 3300 BC, porte sans doute déjà le nom 3b dw , sous lequel G.Dreyer l’identifie, et documente aussi le pr wr de Nekhen, la cité qui inhume des éléphants trois cents ans plus tôt 21. Les figures du faucon et du scorpion apparaissent liées, des powerfacts de la tombe U-j d’Abydos à ceux (palette et tête de massue) de Narmer déposés à Nekhen. Les deux polities forment déjà, pour la période, un ensemble, donnant au pouvoir, palatial, ses formes supra-lignagères définitives. Vu sous cet angle, le processus historique de la formation de cette politie bi-polaire où le pouvoir a ses racines dans l’arrière pays méridional et sa capitale avancée au nord a pu être similaire à celui au terme duquel Lat Sukaabe devint le teeñ-damel du Cayor et du Baol. Chacun des sémogrammes est-il passé d’un culte local, et/ou d’un emblème lignager sacré, à un pouvoir qui se place au dessus des lignages dépositaires du contrôle social 22 ? La rosette et son nom C’est dans un contexte d’expansion thinite - probablement celui de l’absorption politique des sites de Hu et de Nagada au cours de la période du Naqada IIIA1-2 - que de nouvelles manières de nommer le pouvoir, qui les accumule volontiers, apparaissent. Le graphème du scorpion revient, mais comme figure de la royauté indiscutable. Il se trouve bientôt associé à une autre figure iconographique : la «rosette». Elle apparaît tantôt à la suite de files d’animaux ; plus rarement, au dessus d’une figure animale, parfois caducéenne, rappelant la combinaison des deux motifs dans le Late Uruk elamite de la Première Conjoncture asiatique de C. Lambert-Karlovsky 23 . Pendant longtemps, ce sémogramme floral a fait couler beaucoup d’encre sous uploads/Politique/ anselin-apuntes-de-egiptologia-1.pdf
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- Publié le Sep 20, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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