Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques Archives 20 | 1998 Miroirs de l

Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques Archives 20 | 1998 Miroirs de la Raison d'Etat Apories de l'humanisme et raison d'état dans le Mascurat de Gabriel Naudé Hartmut Stenzel Édition électronique URL : http://ccrh.revues.org/2540 DOI : 10.4000/ccrh.2540 ISSN : 1760-7906 Éditeur Centre de recherches historiques - EHESS Édition imprimée Date de publication : 12 avril 1998 ISSN : 0990-9141 Référence électronique Hartmut Stenzel, « Apories de l'humanisme et raison d'état dans le Mascurat de Gabriel Naudé », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [En ligne], 20 | 1998, mis en ligne le 20 avril 2009, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://ccrh.revues.org/2540 ; DOI : 10.4000/ccrh.2540 Ce document a été généré automatiquement le 30 septembre 2016. Article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle. Apories de l'humanisme et raison d'état dans le Mascurat de Gabriel Naudé Hartmut Stenzel 1 L'intention, d'où proviennent les quelques réflexions qu'on va lire, réside surtout dans une analyse des structures argumentatives et – dans la mêlée des luttes politiques – des contradictions internes qui résultent, chez un théoricien aussi clairvoyant et engagé que l'est Gabriel Naudé, de l'utilisation du concept de raison d'État. L'importance du Mascurat1 réside dans la structure dialogique, ouverte et, pour ainsi dire, déchirée du texte, écriture qui a amené Sainte-Beuve à parler de la « composition étrange » de ce qu'il désigne comme un « autre Neveu de Rameau2 ». 2 Afin d'expliquer et de justifier mon propos, je partirai de la thèse selon laquelle la plupart des ouvrages dissertant sur la raison d'État – de manière philosophique et/ou politique, dans la première moitié XVIIe siècle, comme le fait Naudé lui-même dans les Considérations politiques sur les coups d'État – ne peuvent que, partiellement, révéler les problèmes et les failles de la mise en place de cette doctrine. Il en est de même pour les contradictions que soulève son utilisation dans une évolution qui tendrait vers une rationalisation du domaine politique. L'ouvrage de Naudé peut servir à illustrer cette problématique dans la mesure où ce texte – malgré les digressions, les retournements et les stratagèmes discursifs contradictoires dont il témoigne en partie, malgré et peut-être aussi à cause de la logique de service à laquelle il tente de participer et d'engager son auteur3 – déploie surtout un discours d'autorité sur les problèmes et les justifications de l'action politique4. Ce qui m'intéresse ici, c'est de montrer qu'un tel discours, pour ainsi dire officiel, cache ou passe sous silence une partie des contradictions inscrites dans la théorisation de la raison d'État, et cela, dans la mesure où celle-ci se doit de se présenter, surtout, comme un discours de maîtrise, comme un discours qui permettrait, à celui qui le tient, de dominer, au moins intellectuellement, les causes réelles de l'action politique. Dans les Considérations politiques sur les coups d'État, Naudé esquisse une métaphore éloquente afin de désigner le lieu d'énonciation et d'action que, au moins idéalement, il envisage de construire, par et pour son discours. C'est la position de « l'esprit fort » qui Apories de l'humanisme et raison d'état dans le Mascurat de Gabriel Naudé Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 20 | 2008 1 […] envisage d'un œil ferme et assuré, et quasi comme étant sur le donjon d'une haute tour, ce monde, se le présentant comme un théâtre assez mal ordonné et rempli de beaucoup de confusions […] et où il lui est permis d'intervenir comme quelque divinité qui sort d'une machine, toutefois et quand il aura la volonté5. 3 Dans cette métaphore de la distance dominatrice, significative de la position ambivalente de Naudé comme de la pensée politique de l'époque,6 se dessine une conception qui veut survoler une certaine réalité des luttes politiques en la déréalisant, et la dominer en la constituant en spectacle. Dans l'image du deus ex machina, le domaine politique peut apparaître comme un champ soumis non seulement à la maîtrise de la parole, mais aussi à l'action de « l'esprit fort », un champ auquel celui-ci peut accéder, librement, comme il l'entend, et cela afin de la mettre en ordre, au moins par le pouvoir de son discours. 4 Cette mise en perspective de « l'esprit fort » affirme, en même temps, toute la valeur attribuée à la souveraineté d'une pensée, éclairée et libérée de tout préjugé, telle que Naudé la conçoit, dans ce prolongement critique de la tradition humaniste qui est le propre du libertinage érudit. Dans ses premières œuvres, surtout, apparaît une conception optimiste du savoir, une confiance dans les facultés de la raison. Ainsi son Instruction à la France sur la verité de l'histoire des frères de la Rose-Croix se propose-t-elle d' […] opposer aux tenebres palpables du mensonge le soleil de la verité7. 5 Ainsi son Apologie pour les grands hommes soupçonnez de magie fait-elle l'éloge de la pensée moderne, […] cette lumière qui semble nous avoir mis en possession de juger des choses plus sainement que l'on ne fit jamais8. 6 Ainsi encore son Advis pour dresser une bibliothèque conçoit-il la bibliothèque comme un lieu des lumières, où, sans aucune contrainte extérieure imposée au savoir, on serait ravi […] par tant de merveilles que nous voyons tous les jours naistre9. 7 Dans la logique que l'on pourrait dégager, malgré ses louvoiements et ses ambivalences, de telles prises de position, les Considérations se présenteraient comme le lieu où cette pensée critique, se libérant de tout préjugé (surtout d'ordre moral), tenterait de soumettre les domaines de l'histoire et de l'action politique. Il est vrai qu'elle le fait en les construisant dans une perspective désenchantée et cyclique, considérant que […] les cieux même ne sont pas exempts de changement ni de corruption, 8 dans une vision du mouvement de l'histoire où nous voyons [...].bouleverser toutes choses ; ces nations s'affaiblir, et d'autres acquérir du pouvoir10. 9 Mais cela n'empêche pas que la théorisation, apparemment paradoxale, des champs historique et politique, par la compréhension de ce qui ferait la nature imprévisible des coups d'État, témoigne de la volonté de dominer les retournements incompréhensibles qui caractérisent ce domaine, et cela par les opérations d'une pensée dégagée de toute contrainte et de toute superstition11. 10 Ce n'est pas le lieu, ici, d'approfondir cette mise en perspective d'une pensée dont le mobile essentiel serait dans la conviction selon laquelle un savoir supérieur, nourri aux meilleurs sources – les citations et les références aux autorités antiques et humanistes abondent dans tous les textes de Naudé jusqu'au Mascurat – pourrait permettre d'établir une relation dialectique entre pensée et pouvoir, une relation dans laquelle la pensée offrirait sa contribution à la maîtrise du domaine de l'action politique12. Apories de l'humanisme et raison d'état dans le Mascurat de Gabriel Naudé Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 20 | 2008 2 11 Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, ce qui m'intéresse ici, c'est le fait qu'avec le Mascurat, nous abordons une situation d'énonciation bien différente, une situation où les revirements imprévus du domaine politique mettent en cause, en même temps, aussi bien la possibilité d'une position supérieure, voire dominante de la pensée critique, que la relation au pouvoir grâce à laquelle celle-ci a pu paraître crédible. Ainsi, c'est la crise de cette volonté de pouvoir, implicite dans la pensée de Naudé (volonté, inscrite dans la description métaphorique de « l'esprit fort », de maîtriser, par une réflexion supérieure, la réalité de l'action politique) qui m'intéresse dans le Mascurat. Je voudrais en examiner les traces, dans le discours dialogique, ainsi que ses contrecoups sur la théorisation de la raison d'État. Certainement, il ne s'agit là que d'un aspect de ce texte versatile et multiforme, mais qui me paraît particulièrement important pour comprendre un aspect essentiel de la réflexion sur la raison d'État. Celle-ci étant, dans l'écriture du Mascurat, à l'épreuve des retournements causés par la crise politique majeure du XVIIe siècle, en France, celle de la Fronde. Je m'intéresse donc à des indices qui, pour être sporadiques et fragmentaires dans le texte, n'en témoignent pas moins de contradictions fondamentales, inscrites dans la mise en perspective compréhensive du domaine politique à laquelle aspire la conception de la raison d'État. 12 Ces contradictions deviennent d'autant plus sensibles qu'avec les vicissitudes de la Fronde, cet effort théorique auquel participe Naudé se voit confronté à une épreuve qui menace, par des faits, de démentir la volonté de rationalisation du domaine politique, ainsi qu'à des retournements qui paraissent échapper à toute emprise rationnelle et théorique. 13 Dans cette perspective, l'enjeu apparent du Mascurat consisterait en l'intention d'établir et de maintenir un discours légitimateur sur la politique gouvernementale et, plus particulièrement, sur l'action de Mazarin. Il fait cela sans escamoter la mise en cause de cette politique, ainsi que de tout discours la légitimant, par des forces sociales et politiques qui, pour un certain temps au moins, paraissent incontrôlables – des forces, justement, dont le discours du Mascurat, à son tour, sera destiné à contester la légitimité et qu'il sera porté à éliminer du jeu politique. L'élément majeur de cet enjeu discursif problématique étant uploads/Politique/ apories-de-l-x27-humanisme-et-raison-d-x27-e-tat-dans-le-mascurat-de-gabriel-naude.pdf

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