La France sous tensions Depuis plusieurs semaines, sous les effets conjugués de

La France sous tensions Depuis plusieurs semaines, sous les effets conjugués de la crise et de divers mouvements de contestation, la cohésion sociale semble s’affaiblir P. 2-3 Frdric cirou / AltoPress / MAxPPP Se serrer les coudes La France touche-t-elle le fond ? Experts mondiaux de l’auto-dénigrement, les Français habituellement inquiets – trou- vant que les choses iront forcément en s’aggravant – doutent non seulement de l’avenir du pays, mais aussi du leur. Les peurs collectives et les peurs individuelles commencent à converger : les craintes pour leurs proches (leurs enfants par exemple) se sont désormais étendues à eux-mêmes. Le sentiment qu’il sera de plus en plus difficile de se protéger des effets de la crise se généralise. Une étude récente d’Ipsos croisant des en- quêtes sur le comportement, les attitudes et les opinions des citoyens consom- mateurs dresse un tableau inquiétant du pessimisme français. Il est vrai que, sur fond de chômage, les prévisions du Haut Conseil des finances publiques ou du FMI n’excluent pas l’hypothèse d’une récession. La confiance dans le personnel politique, très secouée par les affaires et qui ne sera pas restaurée mécanique- ment par les opérations spectaculaires de transparence, installe un étrange climat. Des poussées sporadiques (sociales, électorales…) montrent une sourde in- quiétude et une forte nostalgie de l’âge d’or des Trente Glorieuses, un temps évidemment révolu. Dès lors, les Français élaborent des stratégies très individuelles. Ce scepticisme généralisé invite chacun à trouver des solutions pour soi afin de tenter de s’en sortir et menace la cohé- sion sociale. Il rend alors plus difficile l’élaboration de réponses collectives et pousse chacun à se dégager de normes contraignantes et de liens structurants. Les appartenances fortes (sauf dans des stratégies très minoritaires défensives et excluantes) se diluent et les solidarités qui s’y attachaient aussi. La confiance est en chute libre. La question posée à la France, depuis des années mais avec une acuité particulière en ce moment, tourne bien autour du vivre-ensemble, de la nécessité du dialo- gue plutôt que de l’invective. Quelles sont les conditions nécessaires pour traverser au mieux les difficultés que connaît le pays ? Personne ne peut raisonnablement prétendre en réchapper tout seul. Il reste à construire collectivement des stratégies de sortie de crise : elles seules offrent des garanties de résultat. Éditorial par François Ernenwein Mgr Pontier, un « sage » à la tête de l’épiscopat P. 19-20 jeudi 18 avril 2013 Quotidien n° 39560 1,50 € france En Polynésie, le retour de Gaston Flosse P. 5 économie L ’Asie devient le centre stratégique du transport aérien P. 17 culture Le Christ inspire... les photographes P. 21 monde La Chine tente de maîtriser l’épidémie de H7N9 P. 8 stPhAne ouZounoFF/ciric cahier central Livres&idées Charlotte Delbo, une femme libre ServiceS P Annonces légales P. 22 Bourse P. 24 Carnet-Météo-Mots croisés P. 22 Liturgie P. 27 Télévision P. 23 130e année-ISSN/0242-6056. – Imprimé en France – Belgique : 1,50 € ; Canada : 4,99 dollars ; Espagne : 2 € ; Grèce : 2 € ; Italie : 2,40 € ; Luxembourg : 1,50 € ; Maroc : 20 MAD ; Portugal (Cont) : 2,20 € ; Suisse : 3 CHF ; Zone CFA : 1 500 CFA ; DOM : 2,20 € 2 jeudi 18 avril 2013 Événement La cohésion sociale est-elle menacée ? Que faut-il entendre par « cohésion sociale » ? Devant la montée des affronte- ments autour du « mariage pour tous », le premier ministre Jean- Marc Ayrault a appelé, hier, à l’unité. « Chacun a une part de res- ponsabilité, quand on est républi- cain, de la cohésion nationale », a-t-il déclaré en réponse à Jean- Pierre Raffarin (UMP), qui évoquait la veille « une menace de chienlit » dans le pays. Poser la question de la cohésion sociale, c’est poser celle du lien, de la nature et de l’intensité des rela- tions existant au sein d’une société. « On voit le terme de “cohésion so- ciale” émerger dans les années 1990- 2000 à la place du terme de “solida- rité” », souligne Marc-Olivier Padis, directeur de la rédaction de la revue Esprit. « Ce glissement indique une euphémisation de la question so- ciale, qui devient moins centrale, et une nouvelle orientation de la ré- flexion sur le lien social autour de la notion de confiance : confiance entre les individus et les institutions et confiance entre les individus. » La réflexion autour du lien social est ancienne et surgit avec l’entrée dans la modernité politique. « La Révolution française a posé le sujet juridique comme sujet de droits, mais la question centrale de la sociologie naissante, au XIXe siècle, est de com- prendre comment les individus vont faire lien les uns avec les autres », rappelle Marc-Olivier Padis. La ré- ponse d’Émile Durkheim et de la sociologie française sera d’affirmer que le lien social surgit de l’inter- dépendance des individus sur le plan économique et de la division du travail social. La solidarité vient du fait que chacun a besoin des autres pour vivre. « Évidemment, cette perspective devient source d’in- quiétudes et d’angoisse dans une société où le travail est en crise, avec un chômage chronique », relève Marc-Olivier Padis. Pour le philosophe Jean-Claude Monod, cette question est un « chan- tier permanent » des sociétés laïques et sécularisées, « même si celles-ci ont trouvé la manière de faire vivre la diversité des valeurs et des idéaux autour d’une unité séculière, où cha- cun adhère aux conditions de la coexistence dans la paix ». Ce socle commun associe la tolérance, le pluralisme, la paix civile, la re- cherche de l’accord par recoupement des convictions, la reconnaissance des droits de la conscience. « L’idée que le polythéisme des valeurs serait créateur d’anomie et que des groupes entiers pourraient décrocher en l’ab- sence de normes communes resurgit pourtant de temps en temps, souligne le philosophe. C’est le signe que la question du socle normatif commun de nos sociétés n’est pas aussi réglée qu’on le croit. » Faut-il craindre une rupture du lien social ? Jean-Pierre Raffarin voit dans les crispations actuelles une « mon- tée de tension préoccupante ». Sur RTL, hier matin, le vice-président du Sénat a ainsi lancé à l’adresse de l’exécutif : « Qui est en charge de la cohésion sociale dans notre pays ? », réclamant un « geste d’apaisement » concernant le pro- jet de loi sur le « mariage pour tous ». Sur fond de grave crise so- ciale, l’ancien premier ministre considère qu’il est dangereux de laisser s’aggraver les frictions sur d’autres terrains, c o m m e c e u x d e s convictions. En écho, Jean-Paul Delevoye souligne que les manifestations qui secouent le pays interviennent au sein d’une société déjà affaiblie depuis plusieurs années. « Les ou- tils de socialisation sont au- jourd’hui fragilisés, explique le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) : la famille, avec la multiplication des ruptures conjugales, l’emploi avec le chômage et le développe- ment de l’économie souterraine, les liens de proximité, etc. » Pire, il existe selon lui un décalage, facteur de frustrations, puisque l’on est de plus en plus seul « dans une société de la communication », de plus en plus précaire, « dans un contexte où la Bourse se porte bien ». Or dans le même temps, « le politique, ob- sédé par la conquête du pouvoir, n’est plus à la hauteur. Il faut un profond changement culturel », estime l’ancien ministre, qui décrit une France à la croisée des che- mins : « Aujourd’hui, tout est pos- sible : le meilleur, car la France a de très nombreux atouts ou le pire, dans l’exacerbation des populismes et de la violence. » Jean-Paul De- levoye déplore en particulier « un centralisme à la française qui sté- rilise tout, alors que la société civile, sur le terrain, est très vivace ». Ancien président du Comité d’éthique (CCNE), Didier Sicard ne dit pas autre chose lorsqu’il dénonce notre tendance « à tout normer », « à mettre les gens dans des cases, à ne se fier qu’aux solutions adminis- tratives, aux antipodes d’un prag- matisme essentiel au vivre-en- semble ». Tirant l’expérience des débats menés au cours de la mission sur la fin de vie, l’an dernier, il assure « que les citoyens s’écoutent et se re- trouvent lorsqu’on leur laisse des espaces d’expression véritable. ppp d Hier, devant des journalistes, le premier ministre Jean-Marc Ayrault a appelé la droite à « contribuer à apaiser le climat et non pas à le tendre ». d Il réagissait ainsi aux propos de Jean- Pierre Raffarin (UMP) dénonçant « une menace de chienlit » et une « montée de tension préoccupante » autour des mouvements de contestation « sociale et sociétale ». d Mariage homosexuel, laïcité, luttes syndicales… depuis quelques semaines, la contestation se radicalise en France, faisant craindre une montée des violences. « Aujourd’hui, tout est possible : le meilleur, car la France a de très nombreux atouts ou le uploads/Politique/ lcrx-20130418.pdf

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