Dans La Crise de la culture, Hannah Arendt analyse les différents fondements de

Dans La Crise de la culture, Hannah Arendt analyse les différents fondements de la politique à différentes époques de l’Histoire. Selon Arendt, ce qui soutenait l’équilibre même de la politique, à savoir, l’autorité, la religion et la tradition, s’est morcelé et a fini par disparaître. Le point qui va nous intéresser ici est ce qu’entend Arendt par « autorité » et le rapport qu’elle conçoit entre la religion et la politique. Dans un article intitulé « Qu’est-ce que l’autorité ? », Arendt affirme que ce concept est tellement flou, qu’il a presque disparu au début du XXème siècle. Pour cause, les régimes traditionnels qui n’ont pas réussi à « produire » de l’autorité ou à la transmettre se sont effondrés. La disparation de l’autorité n’est que la cause de plusieurs symptômes qui sévissaient dans les sphères pré-politiques, éducation et instruction par exemple. Arendt nous offre donc une vision pessimiste de l’autorité ou plutôt sa disparation : « Pour éviter tout malentendu, il aurait peut-être été plus sage, dans le titre, de poser la question : que fut l’autorité? et non : qu’est-ce que l’autorité? Car c’est, à mon avis, le fait que l’autorité a disparu du monde moderne qui nous incite et nous fonde à soulever cette question. Comme il ne nous est plus possible de prendre appui sur des expériences authentiques et indiscutables, communes à tous, le mot lui-même a été obscurci par la controverse et la confusion. Il n’y a plus grand-chose dans la nature de l’autorité qui paraisse évident ou même compréhensible à tout le monde; seul le spécialiste en sciences politiques peut encore se rappeler que ce concept fut jadis un concept fondamental pour la théorie politique, et presque tout le monde reconnaîtra qu’une crise de l’autorité, constante, toujours plus large et plus profonde, a accompagné le développement du monde moderne dans notre siècle. Cette crise, manifeste dès le début du siècle, est d’origine et de nature politiques *…+ Le symptôme le plus significatif de la crise, et qui indique sa profondeur et son sérieux, est qu’elle a gagné des sphères pré-politiques, comme l’éducation et l’instruction des enfants, où l’autorité, au sens le plus large, a toujours été acceptée comme une nécessité naturelle, manifestement requise autant par des besoins naturels, la dépendance de l’enfant, que par une nécessité politique : la continuité d’une civilisation constituée, qui ne peut être assurée que si les nouveaux venus par naissance sont introduits dans un monde préétabli où ils naissent en étrangers. Étant donné son caractère simple et élémentaire, cette forme d’autorité a servi de modèle, durant toute l’histoire de la pensée politique, à une grande variété de formes autoritaires de gouvernement. Par conséquent, le fait que même cette autorité pré-politique qui présidait aux relations entre adultes et enfants, maîtres et élèves, n’est plus assurée, signifie que toutes les métaphores et tous les modèles de relations autoritaires traditionnellement à l’honneur ont perdu leur plausibilité. En pratique aussi bien qu’en théorie, nous ne sommes plus en mesure de savoir ce que l’autorité est réellement1. » L’autorité n’est ni l’obéissance ni la violence. Bien au contraire, faire preuve d’autorité ce n’est pas utiliser de moyens coercitifs, c’est justement parce que l’autorité ‘a peut-être pas fonctionné qu’elle laisse place à la violence. L’autorité n’est pas non plus la persuasion car celle-ci implique un argumentaire que le public doit comprendre, il faut donc qu’il y ait un pied d’égalité. Comme nous l’avons vu en introduction, l’effondrement de l’autorité est dû à la disparation des chaînons qui constituaient la trinité décrite. Si la Tradition est perdue, le lien qu’elle opérait avec elle passé disparait également. S’il y a cris de la religion, il y a mise en doute, en questionnement des croyances et des dogmes. Ces deux disparations conduisent à une perte de stabilité qui engendra également celle de l’autorité. Chez les Grecs, la résidence de l’autorité est « la maison », et non pas comme on pourrait le penser, dans le domaine politique. C’est le chef de famille qui dirige, il ne peut pas en être autrement qu’à la maison, la sphère politique étant dominée par le discours et la liberté de parole où des moyens contraignants sont appliqués pour ne pas créer d’interférences avec les affaires de la Cité. Platon confirme cette idée d’un pouvoir partagé dans le Mythe de la Caverne : le pouvoir n’est pas entre els mains d’une seule personne mais est entre celles des philosophes. Ainsi, ce n’est pas une personnalité qui est prise en compte, mes les idées que celle-ci propose. « [Socrate ] – Tu oublies encore une fois, mon cher ami, que le législateur doit se proposer, non pas le bonheur d’un ordre particulier de citoyens à l’exclusion des autres, mas de bonheur de tous, en les unissant entre eux par l’autorité, en les amenant à se faire part les uns aux autres des avantages que c chacun eut apporter à la société commune ; et que s’il applique à former l’Etat de pareils citoyens, ce n’est pas pour les laisser libres de faire de 1 Hannah Arendt,Qu’est-ce que l’autorité,dans La crise de la culture,Idées/Gallimard, 1972, trad.Marie-Claude Brossollet et Hélène Pons, p. 121.122. leurs facultés tel emploi qu’ils voudront, mas pour les faire concourir à fortifier le lien de l’Etat2 ». Aristote, quant à lui, rejette l’utopie platonicienne dans son ouvrage La Politique. En effet, celui-ci ne veut pas de la Cité idéale et contraignante. Arioste prend une position sociale de la politique et entrevoit une Cité créatrice bonheur commun. La Cité aristotélicienne s veut modéré et tempéré. Aristote ajoute un nouveau concept qui est celui de la classe moyenne qui joue un rôle centrale, les gouvernements adoptant une politique modéré étant ceux de l’excellence. Les gens moyens ne seront pas avides alors que ceux qui sont riches ne veulent pas obéir : « Ceux qui ont à l'excès les dons de la fortune - force, richesse, amis et autres avantages de ce genre - ne veulent ni ne savent obéir (et ce défaut, ils le tiennent, dès l'enfance, de leur famille : à cause d'une vie trop facile, ils n'ont pas pris, même à l'école, l'habitude d'obéir), tandis que ceux qui sont privés, d'une manière excessive, de ces avantages sont trop avilis. Le résultat, c'est que ces derniers ne savent pas commander, mais seulement obéir en esclaves à l'autorité, tandis que les autres ne savent obéir à aucune autorité mais seulement commander en maîtres. Ainsi donc, il se forme une cité d'esclaves et de maîtres, mais non d'hommes libres, les uns pleins d'envie, les autres de mépris, sentiments très éloignés de l'amitié et de la communauté de la cité car communauté implique amitié : avec ses ennemis, on ne veut même pas faire en commun un bout de chemin. La cité, elle, se veut composée, le plus possible, d'égaux et de semblables, ce qui se rencontre surtout dans la classe moyenne3. » Aristote met également en lace le concept de domaine privé et public. La liberté politique nécessite un pré-requis : tous les éléments de la vie quotidienne doivent être maitrisés, dominés. C’est seulement lorsque ces conditions sont remplies que peut émerger le domaine public : il faut qu’il y ait des dirigés et des dirigeants. Aristote développe également toute une analyse portant sur l’éducation et les rapports entre autorité et direction mais ce n’est qu’à partir de la pensée antique romaine que se développera la théorie selon laquelle c’est à travers l’éducation que sont transmis les principes politiques et qui marquent la sacralisation des générations précédentes. 2 Platon, La République, IV, 435B-C, traduction V. Cousin, édition Rey et Gravier, 1834. 3 Aristote, La Politique, IV, 11, introduit et traduit par J. Tricot, Vrin, 1995, C’est donc à la Rome antique que nous allons nous intéresser à présent. Comme nous venons de le dire, celle-ci attache une importance capitale à la tradition et à la transmission des savoirs, mais également à la fondation. En effet, ce qui est fondé doit être préservé et transmis aux générations futures. L’exemple le plus flagrant est la fondation de Rome qui est le modèle à suivre pour toutes les autres villes de l’Empire. C’est cette structure qui renferme la religion romaine, celle qui marque le lien avec le passé. La transmission est en lien direct avec l’autorité, c'est-à-dire qu’à chaque transmission il y a augmentation, le commandement est en perpétuelle croissance. En effet, la conception romaine de la plénitude de l’homme prend ses racines dans la transmission de l’expérience, du savoir qui est donné par les ancêtres. Le passé est par conséquent sacralisé te devient tradition. C’est ainsi que la politique romaine était fondée sur l’autorité, la tradition et la religion. Cette liaison entre ces trois éléments est tellement forte que : « *…+ partout où l’un des éléments de la trinité romaine, religion, autorité ou tradition a été mis en doute ou éliminé, les deux qui restaient ont perdu leur solidité4. » Cette sacralisation de la fondation se retrouve même après la chute de l’Empire romain en 476 uploads/Politique/ arendt.pdf

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