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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 En diplomatie aussi, une ère du clash PAR FRANÇOIS BOUGON ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 25 MARS 2021 La rencontre entre les délégations chinoise et américaine le 18 mars à Anchorage (États-Unis). © Frederic J. Brown/pool/AFP L’entrée en matière de Joe Biden sur la scène internationale semble s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur au moins sur un point: montrer ses muscles et ne pas hésiter à recourir à l’insulte. À l’heure de la diplomatie Twitter, elles fusent rapidement. Est-ce la pandémie qui porte sur les nerfs ? Ou bien une volonté de marquer clairement le changement entre les présidences de Donald Trump et de Joe Biden ? Ou tout simplement un passage à un autre monde, dans lequel les Chinois, soutenus par les Russes, contestent ouvertement la domination américaine ? Un peu de tout cela sûrement. En tout cas, le climat se tend sur la scène internationale. Les insultes fusent de toutes parts, donnant l’impression qu’on renoue avec une certaine chaleur verbale propre à la guerre froide – lorsque les États-Unis étaient, aux yeux de Mao Zedong, un « tigre de papier » et qu’il s’agissait de lutter contre les « chiens courants de l’impérialisme américain ». Joe Biden, le nouveau président américain, a ouvert les hostilités. Interrogé par un journaliste de la télévision états-unienne ABC la semaine dernière, le successeur de Donald Trump a approuvé le terme de « tueur » pour qualifier le dirigeant russe Vladimir Poutine. Ce dernier a répondu en ayant recours ironiquement à la formule enfantine : « C’est celui qui dit qui l’est. » Le dirigeant russe a eu aussi beau jeu de renvoyer les Américains à la face sombre de leur histoire : les bombes nucléaires lâchées sur Nagasaki et Hiroshima, l’esclavage des Noirs et le génocide des peuples autochtones. « Sinon, d’où viendrait le mouvement Black Lives Matter ? », a-t-il lancé. La rencontre entre les délégations chinoise et américaine le 18 mars à Anchorage (États-Unis). © Frederic J. Brown/pool/AFP Peu après, à Anchorage, en Alaska, des délégations américaine et chinoise ont commencé à se parler. De manière peu traditionnelle et plutôt rugueuse. Les Américains, parmi lesquels le chef de la diplomatie du gouvernement Biden, Antony Blinken, ont en effet d’entrée de jeu mis les sujets qui fâchent – Xinjiang, Hong Kong et Taïwan – sur la table quelques jours après avoir adopté de nouvelles sanctions en raison de la politique de Pékin dans l’ancienne colonie britannique. Ces discours offensifs ont entraîné une réponse ferme (et longue pour le premier) du conseiller d’État Yang Jiechi et du ministre des affaires étrangères Wang Yi (on peut voir ici la séquence dans sa totalité). Le premier, visiblement ulcéré, s’est plaint du ton des remarques préliminaires américaines, jugeant qu’ils avaient rompu avec les « protocoles diplomatiques ». Il a regretté également que les États-Unis veuillent « parler à la Chine de manière condescendante depuis une position de force ». « C’est de ma faute, a-t- il dit, en présence de la presse, selon un compte rendu publié par le Département d’État. Lorsque je suis entré dans cette salle, j’aurais dû rappeler à la partie américaine de faire attention à son ton dans nos remarques préliminaires respectives, mais je ne l’ai pas fait. La partie chinoise s’est sentie obligée de faire ce discours à cause du ton de la partie américaine. » Les hauts responsables des diplomaties américaine et chinoise ne nous avaient pas habitués à une telle joute rhétorique en introduction de leurs débats et en présence de la presse. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 Comme le souligne Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice de France en Chine et en Russie et présidente du conseil d’administration de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale ) :«On était plutôt habitué à l’inverse. On commençait par des banalités devant les photographes et les journalistes pour les enregistrements, puis, une fois qu’ils étaient partis, on entrait dans le vif du sujet. » Désormais, on attaque bille en tête d’abord, en public, puis on discute, peut-être plus calmement, à huis clos. En effet, preuve peut-être qu’on est entré dans une nouvelle ère, selon un responsable américain cité par le New York Times, «la discussion s’est calmée après que les journalistes eurent quitté la pièce et cela a débouché sur une conversation de fond qui a duré bien plus longtemps que prévu». On s’étripe devant témoins, puis on s’écoute. Une diplomatie du spectacle à l’heure de l’information en continu et des réseaux sociaux. Et un monde aussi où, comme l’explique l’historien Pierre Grosser, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po Paris et auteur de Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIe siècle(Odile Jacob, 2013), « l’idée, côté russe et chinois, est de ne plus rien laisser passer ». On peut donc en déduire que ce «spectacle» est destiné à un public bien particulier, celui des opinions publiques respectives. Biden, accusé par Trump d’être trop mou durant la campagne, a désormais à cœur d’afficher sa fermeté face aux deux rivaux du moment, la Chine et la Russie, le premier défiant la domination américaine, le second soupçonné d’avoir tenté d’influencer le résultat des élections. «Du point de vue des Américains, il est peu probable que la déclaration de Biden soit perçue comme une insulte, mais plutôt comme une prise de position du nouveau président en tant qu’homme politique dur et doté de principes. L’interview et la déclaration de Biden concernant Poutine étaient principalement destinées à un public national», souligne le professeur Alisher Faizullaev, diplomate à la retraite et chercheur indépendant, auteur de Symbolic Insult in Diplomacy: A Subtle Game of Diplomatic Slap (L’insulte symbolique en diplomatie: un jeu subtil de gifle diplomatique, non traduit). Côté russe, poursuit-il, « la déclaration de Biden a bien été perçue comme une insulte inacceptable. La Russie a rappelé son ambassadeur à Washington. Néanmoins, Poutine lui-même s’est sorti diplomatiquement de cette situation, en souhaitant à Biden une bonne santé et en lui offrant une discussion ouverte. En même temps, il y a eu beaucoup de rhétorique anti-américaine en Russie, même récemment, et cette tendance risque de s’accentuer». Bref, comme le dit Sylvie Bermann, en ces temps où les représentants des pays s’inquiètent tant de leur opinion publique, « on ne parle pas à l’autre, on parle à soi-même ». Un des aspects de cette situation nouvelle est le rôle important que jouent les réseaux sociaux, en particulier Twitter. Pour Jérémie Cornut, professeur au département de science politique de l’Université Simon Fraser à Vancouver au Canada, « Donald Trump a ouvert la boîte de Pandore ». « Cet usage de Twitter comme conduite diplomatique atypique trouve son origine chez lui », poursuit l’auteur de l’ouvrage Les Excuses dans la diplomatie américaine (Les Presses de l’Université de Montréal, 2014). D’autres chefs d’État ont emboîté le pas à l’ancien président états-unien (2017-2021). La spontanéité propre à ce réseau social n’aide pas à construire un débat policé et respectueux. Le point Godwin y est vite atteint. Et beaucoup oublient ce conseil de bon sens : « Think before you tweet » (« Pensez avant de tweeter »). Preuve en est l’attitude de plus en plus agressive des diplomates chinois qui ont fortement investi à partir de 2019 ce réseau social américain interdit en Chine. Et ils se sont mis à répondre à partir d’avril 2020 et de manière agressive aux critiques adressées à la Chine sur sa gestion de la pandémie du Covid-19. D’où leur surnom de « loups guerriers », en référence au film à succès en Chine, Wolf Warrior 2, qui dépeint un Rambo chinois affrontant sans Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 relâche des méchants occidentaux en Afrique (lire ici « Diplomatie chinoise : de l’“esprit combattant” au “loup guerrier”», analyse de Marc Julienne, responsable des activités Chine au centre Asie de l’Ifri, et de Sophie Hanck, assistante de recherche au Centre Asie de l’Ifri). Dans ce domaine, le représentant de Pékin en France, Lu Shaye, s’est particulièrement distingué. Interrogé sur cette qualification de «loup guerrier » dans une émission de France 2, M.Lu s’est demandé si « les Occidentaux préfèrent que la Chine ait une “diplomatie d’agneau”». « La diplomatie chinoise est toujours en phase avec notre temps, a-t-il expliqué. Notre diplomatie, soi- disant de “loups guerriers”, n’est pas définie par nous. Cette étiquette est collée par les autres. Je comprends bien qu’ils ne soient pas habitués au style de la diplomatie actuelle de la Chine. Parce qu’auparavant, ils étaient habitués [au fait] que lorsqu’ils attaquaient la Chine, cette dernière n’y répondait pas. Mais maintenant, c’est tout à fait différent. » Sous l’égide de Xi Jinping, la politique de profil bas édicté par Deng Xiaoping à la fin des années 1970 a été mise au rebut. En poste précédemment au Canada, où il s’était fait remarquer par ses attaques contre les politiques, les chercheurs et les médias, accusés d’être antichinois, Lu Shaye a uploads/Politique/ article-949434.pdf

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