Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges BALANDIER, “
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges BALANDIER, “La situation coloniale: approche théorique”. Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 11, 1951, pp. 44-79. Paris : Les Presses universitaires de France. [Autorisation formelle de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales accordée par M. Balandier le 28 janvier 2008.] Georges BALANDIER “La situation coloniale : approche théorique”. Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 11, 1951, pp. 44-79. Paris : Les Presses universitaires de France. L'un des événements les plus marquants de l'histoire récente de l'humanité est l'expansion, a travers le globe, de la plupart des peuples européens ; elle a entraîné l'assujettissement - quand ce ne fut pas la disparition - de la quasi-totalité des peuples dits attardés, archaïques ou primitifs. L'action coloniale, au cours du XIXe siècle, est la forme la plus importante, la plus grosse de conséquences prise par cette expansion européenne ; elle a bouleversé brutalement l'histoire des peuples qu'elle soumettait ; elle a, en s'établissant, imposé à ceux-ci une situation d'un type bien particulier. On ne saurait ignorer ce fait. Il conditionne non seulement les réactions des peuples « dépendants » mais explique, encore, certaines réactions des peuples récemment émancipés. La situation coloniale pose des problèmes au peuple soumis - qui répond a ceux-ci clans la mesure où un certain « jeu » lui est concédé - à l'administration qui représente la nation soi-disant tutrice (et défend les intérêts locaux de cette dernière), à l'État fraîchement créé sur lequel pèse tout un passif colonial ; actuelle, ou en cours de liquidation, cette situation entraîne des problèmes spécifiques qui doivent provoquer l'attention du sociologue. Cet après-guerre a manifesté l'urgence et l'importance du problème colonial dans sa totalité ; il est caractérisé par des entreprises difficiles de reconquête, par des émancipations et des concessions plus ou moins conditionnelles ; il annonce une phase technicienne de la colonisation faisant suite à la phase politico-administrative. Il y a seulement quelques années, une estimation grossière, mais significative, rappelait que les territoires coloniaux couvraient, alors, le tiers de la surface du globe et que sept cent millions d'individus, sur les deux milliards de population totale, constituaient des peuples sujets [1] ; jusqu'à une époque très récente, la majeure partie des populations n'appartenant pas à la race blanche, si l'on exclut la Chine et le Japon, ne connaissait qu'un statut dépendant contrôlé par l'une des nations européennes coloniales. Ces peuples dominés, répartis en Asie, Afrique et Océanie, relèvent tous des cultures dites « attardées », ou « sans machinisme » ; ils composent le champ de recherche à l'intérieur duquel opérèrent - et opèrent - les anthropologues ou ethnologues. Et la connaissance, de caractère scientifique, que nous avons des peuples colonisés reste due, pour une large part, aux travaux entrepris par ceux-ci. De tels travaux, en principe, ne pouvaient (ou ne devaient) ignorer un fait aussi important, celui de la colonisation, qui depuis un siècle ou plus impose un certain type d'évolution aux populations soumises ; il semblait impossible que l'on ne tînt pas compte des conditions concrètes dans lesquelles s'accomplit l'histoire proche de ces peuples. Ce n'est pourtant que d'une manière très inégale que les anthropologues prirent en considération ce contexte précis qu'implique la situation coloniale ; nous avons l'occasion de le manifester dans un travail actuellement en cours. D'une part, des chercheurs obsédés par la poursuite de l'ethnologiquement pur, du fait inaltéré et conservé miraculeusement dans sa primitivité, ou des chercheurs exclusivement avides de spéculation théorique méditant sur le destin des civilisations ou les origines de la société ; d'autre part, des chercheurs engagés dans de multiples enquêtes pratiques, et de portée restreinte, se contentant d'un empirisme commode ne dépassant guère le niveau d'une technique ; entre ces deux extrémités, la distance est longue -elle conduit des confins de l'anthropologie dite « culturelle » a ceux de l'anthropologie dite « appliquée ». D'un côté, la situation coloniale est rejetée parce que perturbatrice ou n'est envisagée que comme l'une des causes des changements culturels ; de l'autre côté, elle n'est considérée que sous certains de ses aspects - ceux concernant de manière évidente le problème traité - et n'apparaît pas comme agissant en tant que totalité. Pourtant, toute, étude actuelle des sociétés colonisées, visant à une connaissance de la réalité présente et non à une reconstitution de caractère historique, visant a une compréhension qui ne sacrifie pas la spécificité pour la commodité d'une schématisation dogmatique, ne peut se faire que par référence à ce complexe que nous avons nommé, situation coloniale. C'est cela même que nous voudrions manifester ; mais, auparavant, il importe de tracer les lignes essentielles figurant le système de référence que nous venons d'évoquer. Dans les travaux récents entrepris en France, seuls ceux de O. Mannoni accordent une place essentielle à la notion de situation coloniale [2]. Mais, soucieux de se maintenir uniquement sur le plan psycho-psychanalytique, Mannoni ne donne de cette dernière qu'une définition imprécise ; il la présente comme une « situation d'incompréhension », « comme un malentendu » et, en conséquence, analyse les complexes qui caractérisent le « colonial » et le « colonisé » et permettent de comprendre les relations que tous deux entretiennent [3]. C'est insuffisant. O. Mannoni semble le reconnaître lorsqu'il indique ne pas « sous-estimer l'importance (capitale) des rapports économiques » ; il avoue, d'ailleurs, avoir choisi volontairement un aspect mal repéré de la situation coloniale. Nous aurons, quant a nous, à l'inverse, un parti pris de totalité, pensant qu'il y a quelque tricherie à ne retenir qu'une seule des implications de cette situation. Il est possible de saisir une telle situation, créée par l'expansion coloniale des nations européennes au cours du siècle dernier, à partir de divers points de vue ; ce sont autant d'approches particulières, autant d'éclairages différemment orientés, réalisés par l'historien de la colonisation, l'économiste, le politique et l'administrateur, le sociologue préoccupé par les rapports de civilisations étrangères et le psychologue attaché à l'étude des relations raciales, etc. Et, il paraît indispensable, pour risquer une description d'ensemble, d'examiner ce qu'on peut retenir de chacun de ces apports particuliers. L'historien envisage la colonisation à ses différentes époques, et en fonction de la nation coloniale ; il nous permet de saisir les changements survenus dans les rapports existant entre celle-ci et les territoires dépendants ; il nous montre comment l'isolement des peuples colonisés a été brisé par le jeu d'une Histoire sur laquelle ces derniers n'avaient aucune prise ; il évoque les idéologies qui ont,. aux divers moments, justifié la colonisation et permis la composition du « rôle » adopté par le colonial, le décalage entre la doctrine et les faits ; il nous met en présence des systèmes administratifs et économiques qui ont assuré la « paix coloniale » et permit la rentabilité (pour la métropole) de l'entreprise coloniale ; en bref, l'historien nous fait comprendre comment la présence de la nation coloniale s'est, au cours du temps, insérée au sein des sociétés colonisées. Agissant ainsi, il fournit au sociologue un premier et indispensable ensemble de références ; il rappelle à celui-ci que l'histoire de la société colonisée s'est faite en fonction d'une présence étrangère, en même temps qu'il évoque les différents aspects pris par cette dernière. La plupart des historiens ont insisté sur le fait que la pacification, l'équipement, la mise en valeur des pays colonisés se sont réalisés « constamment par rapport aux nations occidentales, et non en vue des intérêts locaux... en faisant passer au second plan (les besoins) des producteurs autochtones [4] ». Ils ont montré, combien l'absorption par l'Europe de l'Asie, de l'Afrique et de l'Océanie, en moins d'un siècle, « a transformé, par la force et par des réformes souvent audacieuses, la conformation de la société humaine » ; combien de tels bouleversements étaient rendus nécessaires par « l'impérialisme colonial (qui) n'est qu'une des manifestations de l'impérialisme économique [5] ». Ils ont rappelé que l'exploitation économique s'appuie sur une prise de possession politique - ce sont là deux traits caractéristiques du fait colonial [6]. Ainsi, les historiens nous permettent d'entrevoir à quel point la société colonisée est un instrument à l'usage de la nation coloniale ; on peut remarquer une manifestation de ce caractère instrumental dans la politique qui consiste à compromettre, en l'intéressant, l'aristocratie indigène : « Mettre la classe dirigeante dans nos intérêts », disait Lyautey [7], réduire les chefs indigènes au rôle de « simples créatures » dit R. Kennedy ; et, plus encore, dans la politique des déplacements de populations ou des recrutements de main-d'œuvre ne considérant que les seuls besoins de la grande économie [8]. En nous rappelant certaines mesures « audacieuses » - déplacements de populations et politique des « réserves », transformation du droit traditionnel et remise en discussion de la propriété des richesses, politique de rendement, etc. - l'historien attire notre attention sur le fait que « la colonisation fut parfois véritablement de la chirurgie sociale [9] ». Et cette indication, plus ou moins uploads/Politique/ balandier-la-situation-coloniale-1951.pdf
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- Publié le Mar 27, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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