Sujet : Peut-on détester la police ? Introduction Notre vie républicaine et dém
Sujet : Peut-on détester la police ? Introduction Notre vie républicaine et démocratique est ponctuée de moments de contestation qu’un citoyen impliqué ne devrait pas regarder d’un mauvais œil. Quoi de plus sain en effet que le peuple puisse manifester et faire entendre au gouvernement le sens de ses attentes quand il est déçu ? Mais chaque mouvement amène avec lui sa cohorte de vitrines cassées, de mobilier déplacé ou dégradé et d’inscriptions murales appelées TAG dont le plus courant est le fameux ACAB (All cops are bastards, tous les flics sont des salauds). Il importe de s’arrêter un moment sur cette proposition surprenante. Les nombreuses images qui circulent sur les réseaux sociaux, tout comme l’expérience directe de certains d’entre nous, témoignent de la violence extrême avec laquelle la police peut faire son travail ordinaire. Peut-on cependant considérer que tous les policiers sont, non pas des enfants illégitimes, mais des individus mauvais et donc méprisables ? Du « CRS =SS » de 1968 à « un bon flic est un flic mort », la détestation de la police semble constante. Mais s’il faut reconnaitre un certain sens de la formule à ce qu’on appelle parfois la rue, il semble peu pertinent d’en rester au niveau de cette rage adolescente et c’est alors le caractère universel d’un tel jugement qu’il faut interroger. Car enfin, que certains policiers soient peu aimables, c’est entendu (comme certains facteurs ou certaines caissières) mais faut-il pour autant le penser de tous les policiers ? Y a-t-il sens à détester la police en son entier ? Et encore, que certains honnissent la police, c’est un fait, mais tous la détestent-il ? Répondre oui dans les deux cas serait méconnaitre la fonction réelle de la police qui est de rendre possible la vie collective en préservant la société des excès de certains d’entre nous, au moyen du droit et de la force si nécessaire. Derrière la question de l’appréciation de la police c’est plutôt le problème de la possibilité d’une vie sans police qui se pose à nous : la vie collective suppose-t-elle nécessairement une police, tout ordre est-il à un certain point policier ou bien au contraire une vie sans police est-elle à la fois possible et désirable ? I. Au vrai l’étymologie du mot police indique assez la nécessité même de la police pour toute vie sociale. On sait que le mot polis désigne en grec la cité. La disposition naturelle des hommes à vivre ensemble entraine un certain nombre d’inconvénients parmi lesquels il faut compter la violence que chacun peut exercer au détriment d’autrui et de ses biens. La politeia, la politique, désigne alors l’art de gérer et d’organiser cette vie collective pour le bien même de ceux qui vivent ensemble au sein de la cité-Etat. En un sens, toute politique est nécessairement police. C’est d’ailleurs le sens premier du mot : la bonne police c’est la bonne politique, la bonne administration. C’est tout autant une bonne constitution, de bonnes lois et une bonne justice que de bonnes mesures concernant l’hygiène, l’approvisionnement et les mœurs. Si « l’homme est un animal politique » comme disent les classiques, il est un animal à policer, à civiliser. L’usage courant du terme police entendu comme l’ensemble des institutions chargées de maintenir l’ordre et de garantir la sécurité est finalement assez récent, mais on perçoit aisément qu’il est compris dans l’idée même d’une bonne administration. Là où il y a des lois et des règlements, là où il y existe des personnes et des biens à protéger, il faut une force publique disposant de moyens spéciaux pour mener à bien sa mission : armes en tout genre, fourgons, cellules, prison – torture même dans certains cas. Le paradoxe n’est qu’apparent : pour maintenir la paix, il faut des gens en armes, des gendarmes, mais dont la violence cette fois- ci est légitime. Ceux qui contreviennent à la loi et donc à l’intérêt général, les délinquants et les criminels doivent savoir qu’ils s’exposent à un risque. Ce n’est pas simplement le voleur de portable qui fait tort à un particulier que le policier poursuit dans la rue, que le juge condamne et contre lequel le citoyen a porté plainte, c’est celui qui constitue une menace pour le bien commun. Là où je suis attaqué, c’est la société en son entier qui est visé. C’est elle qui doit se défendre et qui par la même me protège. Le pouvoir législatif suppose en son fond le pouvoir judiciaire qui suppose à son tour le pouvoir policier. Députés, juges et policiers sont les trois figures du bien commun dans la république bien organisée. La philosophie politique moderne qui refuse de voir la vie sociale et politique comme une donnée naturelle a eu la bonne idée de la penser à partir de la catégorie économique de contrat, en parlant cette fois de contrat social. Ainsi pour Hobbes, « aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun ». Pour ériger un tel pouvoir, un marché suffit : que chacun abandonne le droit de se gouverner soi-même et confie tout son pouvoir et sa force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes les volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté « afin qu'elle use de la force et des ressources de tous, comme elle le jugera expédient, en vue de leur paix et de leur commune défense ». Si un tel contrat reste sans doute une fiction, il exprime pourtant la matrice même du processus démocratique. Reconnaître à une autorité ainsi légitimée le droit de faire des lois et de faire usage de la force pour faire respecter ces lois. Si l’Etat doit détenir le monopole de la violence légitime (Weber), c’est parce que nous consentons à cette violence qui n’est que pour notre bien à la différence de celle du criminel. Dans la démocratie, le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres selon le bon mot de Churchill, qui veut la société devrait vouloir, et veut en général, la police et les compagnies républicaines de sécurité. Là est notre pacte républicain et la mesure de notre maturité : accepter que notre sécurité empiète sur notre liberté. En un sens, la police en elle- même est un dommage collatéral qu’il nous faut accepter. On comprend alors aisément que la détestation ne semble pas être l’affect adéquat pour se rapporter à la police. C’est ici qu’il faut prendre cette détestation et le fameux « ACAB » qui l’accompagne trop souvent pour ce qu’ils sont. Le cri simpliste et pour tout dire adolescent de ceux qui éprouvent la nécessité de se confronter sous les formes les plus caricaturales à l’autorité politique comme ils s’opposèrent enfant à l’autorité paternelle. Au mieux on peut comprendre cette expression de la haine de la police comme un rite de passage avant de devenir un citoyen éclairé et néanmoins critique qui assume ses responsabilités et ses devoirs. T out comme il y a une forme infantile de la sexualité que l’adulte doit dépasser nous apprend Freud, il y aurait une forme infantile de la contestation politique qui se fixe sur l’affrontement violent et la figure du policier détestable. Dire ceci et reconnaître que dans une société bien ordonnée la police est nécessaire comme institution, ça n’est pas pour autant rester aveugle aux violences illégitimes commises par certains agents. C’est précisément parce qu’un monde sans police est impossible qu’il nous faut une bonne police. Non, tous les flics ne sont pas des « salauds » mais certains le sont et ici aussi, il importe que la société se protège pour empêcher justement que les fautes de certains agents déteignent sur l’institution. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait. Il existe une police des polices. Une doctrine qui encadre l’usage des armes. Une justice qui poursuit certains policiers, etc. Paradoxalement, reconnaitre la nécessité de la police et sortir de la détestation puérile semble être le meilleur moyen de se donner une police digne de ce nom en la débarrassant de ses excès et en ouvrant la voie à un possible contrôle démocratique et citoyen de la police elle-même. II. T out irait donc pour le mieux dans le « moins pire » des mondes réellement républicains. Si ce discours nous semble évident et finalement aisé à produire, s’il nous parait immédiatement familier, c’est qu’il constitue en fait la petite musique, le bruit de fond du récit qui accompagne notre histoire : Etat, intérêt général, sécurité, police. Rien ne nous semble plus naturel en effet, plus normal que le monde historique par lequel on a été constitué. C’est en vertu de cette habitude qu’il nous semble difficile d’envisager l’inexistence de la police. Pourtant, la question ne pose aucune difficulté : historiquement, il n’y a pas toujours eu de la police. Au sens où nous l’entendons communément, c’est même une invention uploads/Politique/ peut-on-detester-la-police-ter-s.pdf
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- Publié le Fev 21, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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