Cultures & Conflits 78 (été 2010) Biopolitique et gouvernement des populations

Cultures & Conflits 78 (été 2010) Biopolitique et gouvernement des populations ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Alexandre Macmillan La biopolitique et le dressage des populations ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Alexandre Macmillan, « La biopolitique et le dressage des populations », Cultures & Conflits [En ligne], 78 | été 2010, mis en ligne le 06 mars 2012, consulté le 02 janvier 2014. URL : http://conflits.revues.org/17959 Éditeur : Centre d'études sur les conflits http://conflits.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://conflits.revues.org/17959 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Creative Commons License            Alexandre Macmillan à complété son doctorat dans le département de communica- tion de l’Université de Montréal. Il est actuellement postdoctorant à l’Université Paris 7 - Denis Diderot dans le centre Roland Barthes et le laboratoire TLSH (Théorie de la Littérature et des Sciences Humaines). Il a publié des articles sur Roland Barthes et Michel Foucault dans les revues Journal of Power, Studies in Communication Science et Theory, Culture & Society. M ichel Foucault, dans ses travaux sur les relations de pouvoir contempo- raines, a identifié deux modes principaux de fonctionnement du pou- voir politique : la discipline et la biopolitique. D’abord, les travaux de Foucault sur la discipline ont décrit les sociétés modernes comme des sociétés basées sur le modèle d’un espace clos et quadrillé. Selon une perspective « micropolitique », la forme que revêt le pouvoir moderne ne peut être limitée à l’Etat. L’espace disciplinaire est caractérisé par une relation asymétrique qui traverse la vie des individus et informe l’usage qui sera fait des « corps dociles » ainsi constitués. Les travaux ultérieurs de Foucault sur la biopoli- tique pointent vers un autre modèle, qui semble mieux à même de rendre compte des problèmes traditionnels de l’analyse politique, à savoir l’Etat, et le rapport entre gestion politique et exercice gouvernemental. En effet, là où la discipline rendait compte de la « micropolitique » du pouvoir, des relations locales dans le cadre d’un milieu clos où les relations de pouvoir vont tout réglementer, la biopolitique implique quant à elle « l’étude de la rationalisa- tion de la pratique gouvernementale dans l’exercice de la souveraineté poli- tique 1 ». La biopolitique permet donc avant tout de rendre compte de la 1 . Foucault M., Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard/Seuil, p. 4. Afin de réduire au maximum le nombre de notes, nous ferons références aux ouvrages principaux de Foucault par la suite dans le corps du texte en ne mentionnant que leur titre : Il faut défendre la société, Gallimard/Seuil, 1997 ; Le Pouvoir psychiatrique, Paris, Gallimard/Seuil, 2003 ; Les Anormaux, Paris, Gallimard/Seuil, 1999 ; Sécurité, territoire, population, Paris, Gallimard/Seuil, 2004 ; Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard/Seuil, 2004 ; Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975 ; La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976 ; « La vérité et les formes juridiques », in Dits et Ecrits I, Paris, Quarto, 2001 ; « Les mailles du pouvoir », in Cultures & Conflits n°78 - été 2010 40 logique qui informe l’Etat souverain moderne, ainsi que des transformations de l’action gouvernementale dans le cadre d’une économie de type libéral. Ces différences entre la discipline et la biopolitique ont donné lieu, sur- tout dans le monde anglo-saxon, à une réappropriation bien particulière des travaux de Foucault sur les relations de pouvoir-savoir, et sur leur pertinence pour une appréciation des régimes politiques contemporains. Laurent Jeanpierre a insisté sur la diversité des travaux classés sous la rubrique « governmentality studies » 2. Certains auteurs comme Mitchell Dean ou Nikolas Rose insistent sur le fait que et le pouvoir disciplinaire et la biopoli- tique composent la gouvernementalité dans les sociétés contemporaines. Pour ces auteurs, la gouvernementalité est comprise au sens large comme le proces- sus de structuration d’un champ de conduite, et n’est pas réductible à sa mani- festation disciplinaire ou biopolitique 3. Cependant, à de rares exceptions près, les governmentality studies semblent dans leur ensemble réduire la gouverne- mentalité à la biopolitique. La gouvernementalité contemporaine se réduirait alors aux processus de structuration des phénomènes globaux de population, et serait synonyme du néolibéralisme 4. Qui plus est, ce courant de pensée semble nier tout rôle au pouvoir disciplinaire dans les sociétés contempo- raines. Quand Deleuze affirmait « les sociétés disciplinaires, c’était déjà ce que nous n’étions plus, ce que nous cessions d’être 5 », il insistait sur les similitudes qui existaient entre discipline et biopolitique. Surtout, Deleuze insistait sur le fait que le passage de l’un à l’autre ne se faisait pas sur le mode de la rupture, mais bien sur celui d’une mutation interne 6. De leur côté, Michael Hardt et Antonio Negri traduisent un sentiment largement partagé chez les commen- tateurs anglo-saxons actuels de Foucault, quand ils affirment que c’est la bio- politique, et non plus la discipline, qui constitue le nouveau « paradigme » des relations de pouvoir modernes. Les techniques de gestion des taux de natalité, de chômage, de mortalité semblent avoir rendu obsolètes les techniques de surveillance et de contrôle de l’individu. Le passage de la discipline à la biopo- litique est considéré comme une rupture brutale qui fait se succéder deux modèles hétérogènes du pouvoir 7.       Dits et Ecrits II, Paris, Quarto, 2001 ; « ‘Omnes et singulatim’ : vers une critique de la raison politique », in Dits et Ecrits II, 2001. 2 . Jeanpierre L., « Une sociologie foucaldienne du néolibéralisme est-elle possible ? », Sociologie et sociétés, vol. 38, n°2, 2006, p. 89. 3 . Rose N., Miller P., “Political power beyond the State: problematics of government”, British Journal of Sociology, vol. 43, n°2, 1992, pp. 181-184 ; Dean M., Governmentality: Power and Rule in Modern Society, London, Sage, 1999, p. 100 ; Governing Societies: Political Perspectives on Domestic and International Rule, New York, McGraw-Hill, 2007, pp. 9-12 ; Rose N., O’Malley P., Valverde M., “Governmentality”, Annual Review of Law and Social Sciences, vol. 2, 2006, pp. 84-92. 4 . Voir par exemple Lemke T., “Foucault, Governmentality, and Critique”, Rethinking Marxism, vol. 14, n°3, 2002, pp. 54-59 ; Elden S., “Rethinking governmentality”, Political Geography, vol. 26, 2007, pp. 31-32. 5 . Deleuze G., « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », in Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, p. 141. 6 . Ibid., pp. 242-246. La biopolitique et le dressage des populations - A. MACMILLAN 41 41 La perspective développée dans cet article sera tout autre. Il apparaît clai- rement que l’on ne peut pas simplement considérer discipline et biopolitique comme deux stratégies politiques incommensurables. Cet article avance que la biopolitique et la discipline ne renvoient pas à deux logiques politiques qui se font face, mais plutôt que la biopolitique est une certaine manifestation de la discipline. La biopolitique serait donc une réactivation de la discipline dans le contexte d’une réflexion pragmatique sur l’économie de l’exercice du pouvoir et sur la faillibilité de la connaissance gouvernementale – d’où l’aléatoire, les statistiques et les probabilités comme techniques d’intervention biopolitique. Comme l’a déjà souligné Ian Hacking, le recours aux statistiques et aux pro- babilités constitue un tournant important dans la rationalité politique moderne. Cependant, l’émergence des statistiques ne marque pas tellement une rupture entre discipline et biopolitique, mais plutôt une rupture entre une rationalité politique juridique fondée sur la loi, et la rationalité politique contemporaine fondée sur la norme 8. Eclaircir les rapports qui existent entre discipline et biopolitique permet- tra donc d’illustrer la manière dont l’art libéral de gouverner est une réactiva- tion de la stratégie disciplinaire. Il apparaît donc que la société disciplinaire et la société du laisser-faire, du libéralisme, de la biopolitique participent d’une seule et même logique. Le libéralisme et l’idéologie de la liberté sont des pro- duits d’une société disciplinaire. La « liberté » telle qu’elle fonctionne dans le modèle libéral de gouvernement ne renvoie pas à une vertu positive. Elle doit être comprise avant tout de façon négative, comme l’absence de coercition et de contrôle exhaustif : la liberté de l’Etat libéral ne sera que le non-discipliné – ou plutôt, ce que le pouvoir étatique considère, par dépit, comme le champ du non-disciplinable. Contrairement au corps individuel, qui constitue la cible du pouvoir disciplinaire, les objets d’intervention de la biopolitique seront dans une certaine mesure uploads/Politique/ conflits-17959-78-la-biopolitique-et-le-dressage-des-populations.pdf

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