SOULEVEMENTS POPULAIRES EN AFRIQUE DU NORD ET AU MOYEN-ORIENT (IV) : LA VOIE TU

SOULEVEMENTS POPULAIRES EN AFRIQUE DU NORD ET AU MOYEN-ORIENT (IV) : LA VOIE TUNISIENNE Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°106 – 28 avril 2011 TABLE DES MATIERES SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS ............................................................................. i I. INTRODUCTION ............................................................................................................. 1 II. ENTRE SOULEVEMENT POPULAIRE ET AFFAISSEMENT DU REGIME ....... 3 A. L’EFFET D’ENTRAINEMENT DU SOULEVEMENT ............................................................................. 3 1. La révolte des provinces : du social au politique ......................................................................... 3 2. Le ralliement à l’insurrection de l’UGTT .................................................................................... 5 3. Le virtuel fait irruption dans le réel ............................................................................................. 6 4. Le rôle contrasté des partis politiques .......................................................................................... 8 B. UN REGIME AUX PIEDS D’ARGILE ................................................................................................. 9 1. Le RCD démissionnaire ............................................................................................................... 9 2. De l’Etat parti au régime prédateur ............................................................................................ 10 3. La fragmentation de l’appareil sécuritaire ................................................................................. 10 III. CONTINUITE INSTITUTIONNELLE OU RUPTURE REVOLUTIONNAIRE ... 12 A. QUEL POUVOIR ET QUEL CONTRE-POUVOIR ? ............................................................................. 12 B. LA PEUR DU VIDE ....................................................................................................................... 15 C. LA CRAINTE DU PASSE ................................................................................................................ 16 IV. RAISONS D’ESPERER ET PIEGES A EVITER ....................................................... 18 A. LA LONGUE VOIE DU COMPROMIS ............................................................................................... 18 B. LA QUESTION SOCIALE ............................................................................................................... 21 C. LA QUESTION ISLAMISTE ............................................................................................................ 25 V. CONCLUSION ................................................................................................................ 30 ANNEXES A. CARTE DE LA TUNISIE ...................................................................................................................... 32 B. GLOSSAIRE ...................................................................................................................................... 33 C. A PROPOS D’INTERNATIONAL CRISIS GROUP ................................................................................... 35 D. RAPPORTS DE CRISIS GROUP SUR LE MOYEN-ORIENT ET L’AFRIQUE DU NORD DEPUIS 2008 ........... 36 E. CONSEIL D’ADMINISTRATION DE CRISIS GROUP ............................................................................... 37 Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°106 28 avril 2011 SOULEVEMENTS POPULAIRES EN AFRIQUE DU NORD ET AU MOYEN-ORIENT (IV) : LA VOIE TUNISIENNE SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS La Tunisie est le pays où tout a commencé. C’est égale- ment le pays où la transition démocratique présente au- jourd’hui les plus fortes chances de succès. Les raisons en sont multiples, mais la plus significative réside dans l’ac- tivisme politique et la mobilisation sociale qui ont marqué l’histoire contemporaine du pays et que des décennies de répression n’ont pu mettre à mal. Cette tradition aura for- tement aidé la nation pendant le soulèvement, lors duquel travailleurs, sans-emplois, avocats et membres de la classe moyenne conjuguèrent leurs forces en un vaste mouve- ment. Elle devra à nouveau être mise à contribution alors que la Tunisie affronte des défis majeurs : comment satis- faire à la fois l’envie d’un changement profond et l’impé- ratif de stabilité ; comment intégrer l’islamisme dans le nouveau cadre politique ; et comment remédier aux immenses problèmes socio-économiques qui furent à l’origine de la révolution politique mais qu’en elle-même cette révolution est incapable de résoudre. Avec le recul, la Tunisie possédait tous les ingrédients requis pour un soulèvement. N’eut égard au soi-disant miracle économique, des franges entières du pays étaient systématiquement ignorées par le régime. Le taux de chô- mage grimpait, surtout parmi les jeunes et les diplômés. Le sentiment de détresse provoqué par de telles disparités sociales, générationnelles et géographiques trouva son expression dans l’immolation, le 17 décembre 2010, d’un jeune chômeur diplômé originaire d’une petite ville. Son suicide devint très vite le symbole d’un malaise bien plus étendu. Après sa mort, un nombre important de jeunes se sont mis à manifester dans le sud et le centre du pays, réclamant du travail, des perspectives sociales et de meil- leures infrastructures dans le domaine de l’éducation comme de la santé. Le soulèvement se propagea géographiquement et politi- quement. Les syndicats jouèrent un rôle crucial. D’abord hésitante, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) prit bientôt la tête du mouvement. Bousculée par ses branches locales plus militantes et craignant de perdre le soutien de sa base, l’UGTT mobilisa un nombre toujours plus important d’activistes dans un nombre croissant de villes, Tunis y compris. Les chaînes de télévision satellite et les formes modernes de communication – tels Facebook et Twitter – ont pu répandre le mouvement à la jeunesse des classes moyennes et de l’élite. Au même moment, la violence utilisée contre les manifestants a permis de faire le lien entre revendications sociales et demandes poli- tiques. L’image que projetait le régime de lui-même étant celui d’une répression policière aveugle, c’est logiquement ainsi que les manifestants le percevaient. Rien n’aura da- vantage contribué à solidariser le peuple avec le soulève- ment que la manière dont Ben Ali a choisi de la mater. Le régime quant à lui aura vu ses bases de soutien rétrécir de façon dramatique. A son heure fatidique, le président Zine el-Abidine Ben Ali se trouva pratiquement seul. Avec le temps, ce qui fut un jour un Etat se confondant à un parti devint quasiment la propriété privée du président et de sa famille. Les ressources économiques autrefois par- tagées parmi les membres de l’élite furent de plus en plus monopolisées par Ben Ali et son épouse, Leïla Trabelsi ; le secteur privé en paya le prix cher. Le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), n’offrait plus d’avantages à ses membres ; fait significatif, il fut incapable d’organiser la moindre manifestation en faveur du régime malgré de nombreux appels à cet effet provenant de l’entourage du président. De même, l’armée aura souffert sous Ben Ali qui ne lui faisait guère con- fiance ; en retour, les militaires faisaient preuve de loyau- té envers l’Etat non envers le régime. Même les services de sécurité ne bénéficiaient guère du soutien de Ben Ali, à l’exception de la garde présidentielle dont le traitement de faveur ne faisait qu’attiser le ressentiment des autres. Le soulèvement fut marqué par ces dynamiques contras- tées qui ont simultanément renforcé le soutien à la révolu- tion et multiplié les défections vis-à-vis du régime : res- sentiment populaire, mobilisation d’une jeunesse faisant usage de moyens de communication modernes, implica- tion des forces politiques et des syndicats, et un pouvoir affaibli qui s’était coupé de ses soutiens traditionnels. A chaque étape, la réponse du régime – de l’usage de la force létale aux réactions tardives et déconnectées de Ben Ali – Soulèvements populaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (IV) : La voie tunisienne Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord de Crisis Group N°106, 28 avril 2011 Page ii a permis de transformer ce qui fut au départ un mouve- ment populaire plus ou moins spontané et localisé en une révolution nationale décisive. Lorsque Ben Ali prend la fuite le 14 janvier, rien n’est encore joué. Le pays fait face à trois défis fondamentaux. Depuis, il a réalisé d’importants progrès concernant le premier, a pris un départ encourageant pour le second, alors que tout reste à faire pour le dernier. Premier chantier : mettre en place des institutions transi- tionnelles capables de rassurer ceux qu’inquiète un pos- sible retour en arrière et d’apaiser ceux qu’effraie la pers- pective du chaos. La route fut semée d’obstacles. Aux yeux de beaucoup, le premier gouvernement post-Ben Ali était une copie conforme de celui qui le précédait, avec des revenants du RCD, y compris des membres de l’ancienne équipe au pouvoir. L’opposition répliqua en créant un conseil qui prétendait incarner la légitimité révolution- naire. Après un bras-de-fer et plusieurs faux départs, un équilibre institutionnel plus ou moins consensuel semble avoir été trouvé. Les ministres controversés ne font plus partie du gouvernement et la commission chargée de la transition a été élargie pour faire place à de nombreux re- présentants du monde politique et de la société civile. Les élections pour une assemblée constituante – une demande clé des manifestants – devraient avoir lieu en juillet. L’expérience tunisienne comporte de nombreuses leçons. Les dirigeants qui au départ succédèrent à Ben Ali auront souffert de n’avoir ni élargi le cadre de leur consultation ni clairement communiqué leur politique ; en faisant preuve de souplesse et en se montrant à l’écoute des demandes populaires, leurs propres successeurs ont pu par la suite éviter au pays une crise politique majeure. Second impératif : intégrer les islamistes dans un champ politique remanié. La Tunisie aborde ce problème avec des atouts non négligeables. An-Nahda, principale forma- tion islamiste du pays, se distingue en effet de nombreux de ses homologues arabes par son pragmatisme, ses con- tacts avec d’autres forces politiques et sa perspective in- tellectuelle sophistiquée. De même, certains partis laïques ont cherché, au fil des ans, à bâtir des ponts avec le mou- vement. An-Nahda s’est montré discret pendant le soulè- vement et, depuis la révolution, a cherché à rassurer. Mais la méfiance réciproque demeure. Les organisations fémi- nistes en particulier doutent de la sincérité du mouvement et craignent pour les droits des femmes. Quant aux isla- mistes, ils vivent toujours avec la mémoire de la répression brutale des années 1990 lorsqu’An-Nahda fut systémati- quement écrasé par le régime de Ben Ali. Le troisième défi est également le plus urgent : s’atteler aux profonds griefs socio-économiques. Pour les nombreux citoyens qui sont descendus dans les rues, le désespoir matériel était un facteur décisif. Bien sûr, ils réclamaient également la liberté et les droits démocratiques, et ils ont toutes les raisons de se réjouir des progrès qui ont été réa- lisés dans ces domaines. Mais la victoire politique qu’ils ont obtenue aura peu fait pour changer les conditions uploads/Politique/ crisis-group-020511.pdf

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