Elisabeth Cunin MÉTISSAGE ET MULTICULTURALISME EN COLOMBIE (CARTHAGÈNE) Le « no

Elisabeth Cunin MÉTISSAGE ET MULTICULTURALISME EN COLOMBIE (CARTHAGÈNE) Le « noir» entre apparences et appartenances Préface de Jean-Luc Bonniol 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 METISSAGE ET MULTICULTURALISME EN COLOMBIE (CARTHAGENE) Le « noir» entre apparences et appartenances' Connaissance des hommes Collection dirigée par Olivier Leservoisier Déjà parus Philippe CHAUDAT,Les mondes du vin, 2004. Serge TCHERKEZüFF, Faa-Samoa, 2003. Pascale ABSI, Les ministres du diable, le travail et ses représentations dans les mines de Potosi, Bolivie, 2003. Marc Kurt TABANI, Les pouvoirs de la coutume à Vanuatu, 2002. Roger BASTIDE, Poètes et dieux, 2002. Edith Kovats BEAUDOUX, Les Blancs créoles de la Martinique, 2002. Maria TEIXEIRA, Rituels divinatoires et thérapeutiques chez les Manjak de Guinée-Bissau et du Sénégal, 2001. Nathalie COFFRE-BANEUX, Le partage du pouvoir dans les Hébrides écossaises, 2001. Virginie DE VERICOURT, Rituels et croyances chamaniques dans les Andes boliviennes, 2000. Galina KABAKOVA, Anthropologie du corps féminin dans le monde slave. 2000. Anne RAULIN, L'ethnique est quotidien, 2000. Roger ADJEODA, Ordre politique et rituels thérapeutiques chez les Tem du Togo, 2000 Radu DRAGAN, La représentation de l'espace de la société traditionnelle, 1999. Marie-Pierre JULIEN et Jean-Pierre WARNIER (eds), Approches de la culture matérielle, 1999. Françoise LESTAGE, Naissance et petite enfance dans les Andes péruviennes, 1999. Sophie BOULy DE LESDAIN, Femmes camerounaises en région parisienne, 1999. Françoise MICHEL-JONES, Retour aux Dogon, 1999. Paulette ROULON-DoKO, Chasse, cueillette et culture chez les Gbaya de Centrafrique, 1998. Sélim ABOU, Liban déraciné, 1998. Carmen BERNAND, La solitude des Renaissants, 1998. Laurent BAZIN, Entreprise. politique, parenté, 1998. Elisabeth Cunin METISSAGE ET MDLTICULTURALISME EN COLOMBIE (CARTHAGENE) Le « noir» entre apparences et appartenances L'Harmattan 5·7. rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026Budapest HONGRIE L'Harmattan lIalia Via Bava, 37 10214 Torino ITALIE Carte 1 • La ville de Carthagène a!lllO... 0: © L'Harmattan, 2004 ISBN: 2-7475-6308-1 EAN : 9782747563086 Préface Toute analyse exhaustive du phénomène racial se heurte inéluctablement à un enchevêtrement subtil entre différents niveaux de réalité. Voici d'abord des caractéristiques de la morphologie corporelle (couleur de la peau, texture des cheveux, forme du visage... ) qui ne relèvent pas d'une apparence éphémère, puisqu'il s'agit de traits héritables, reçus de l'ascendance et transmis aux descendants: cet ancrage dans la dotation génétique (même si l'on sait que ces traits ne correspondent qu'à une infime partie de celle-ci... ) lui donne sa pleine dimension naturelle, interprétable dans les termes de la sélection darwinienne. Voilà ensuite le social qui se sert de ce donné biologique, utilisant la variabilité de ses manifestations pour y rechercher des critères distinctifs, voire un opérateur hiérarchique: cette dimension sociale, faite de pratiques, se fonde sur la perception de l'aspect physique, elle-même informée par un système de représentations qui affecte certains traits d'une valeur discriminante, tout en pensant leur transmission d'une génération à l'autre. C'est au sein de ces représentations qu'a pu éclore l'idée de « race », qui segmente le continuum naturel en présupposant l'existence de groupes discrets, distingués par la particularité de leurs caractères physiques, que l'on fait dériver de la séparation des ascendances. Au nom d'une « pureté» maintenue au travers des générations peut alors se cristalliser un ordre social qui se calque sur ces groupes imaginés: les signes raciaux, inscrits dans les corps et les chairs, sont en effet dotés d'une immuabilité fondamentale capable de fixer dans la longue durée une hiérarchie. Il y a là une rémanence du biologique par rapport au social, d'autant plus affirmée que le social la gère à son profit par un contrôle strict des rencontres reproductrices, canalisant le cheminement des gènes d'une génération à l'autre, afin de maintenir autant que faire se peut le soubassement naturel, à l'origine arbitraire, de l'ordre antérieur. Ce que les hommes pensent comme réel peut finir, dans ses effets, par acquérir la consistance du réel... On saisit par là ce qui fait l'originalité d'une identité conçue à partir d'une marque biologique, à laquelle l'individu ne peut échapper, ce qui porte l'assignation à sa limite extrême: comme le remarquait fort justement Park, on ne peut mettre de côté l' « uniforme» racial... Constatation d'autant plus valide dans le cas des sociétés esclavagistes et post-esclavagistes du Nouveau Monde, où ce sont les contrastes dans la couleur des hommes confrontés en ces lieux (et dans les traits qui lui sont associés) qui ont servi de base à la discrimination. L'association entre race et statut y fut au départ une simple coïncidence historique, puis se transforma en nécessité idéologique, dépassant la durée même de l'institution qui s'appuyait sur elle, idée déjà exprimée par Tocqueville dans sa formule lumineuse: « le souvenir de l'esclavage déshonore la race, et la race perpétue le souvenir de l'esclavage... ». . Ces sociétés apparaissent toutefois fort diverses dans leur traitement du fait racial. On a souvent mis en balance les relations raciales dans les deux Amériques, et les chercheurs américains ont au premier chef contribué à cette opposition: du côté de l'Amérique du Nord un système rigide (où se trouvent confirmés l'idée classique de race et les préjugés inconscients de certains chercheurs), fondé sur un principe de descendance stricte (la fameuse règle de la « goutte de sang ») et installant des cloisons étanches entre les groupes (avec l'établissement d'une « ligne de couleur »}; du côté de l'Amérique latine un système fluide, « paradis racial» où les catégories édictées sont profuses et malléables afin de rendre compte d'un métissage généralisé, flottantes en fonction des individus confrontés aussi bien que des situations, et en définitive non déterminantes, puisqu'elle peuvent toujours être supplantées par d'autres dimensions du social. Cette dernière évaluation est confortée par le discours politique ambiant, qui articule - c'est particulièrement le cas en Colombie - l'idéologie de la citoyenneté au mythe de la démocratie raciale. Elisabeth Cunin, dans le travail qu'elle nous livre sur le fait racial à Carthagène (Colombie), s'adonne à un exercice plus subtil, à la hauteur de la complexité des phénomènes qu'elle scrute. L'originalité de sa démarche tient à la posture méthodologique adoptée: prendre en compte les identifications raciales au cœur même des processus d'interaction entre les individus. S'inscrivant délibérément dans la ligne tracée par Goffman, qui pointe l'importance dans ces processus de ce qui se passe à « fleur de peau» et met· en évidence la profondeur paradoxale de la superficialité, elle démonte les mécanismes de construction du regard où l'objet, loin d'être passif, participe également à la construction de ce qui est vu, sait satisfaire les attentes, en 6 maîtrisant, aussi bien que le propriétaire du regard, les règles de classement. Dans le face à face avec autrui, « les acteurs manipulent et adhèrent à des codes qui leur permettent d'interpréter le comportement des autres et d'adopter pour eux- mêmes l'attitude la plus appropriée », ce qui permet « de négocier sa propre couleur, dans un jeu infini d'entrées-sorties ». Cela dans le cadre privilégié de la ville coloniale qu'est Carthagène des Indes, où la proximité spatiale implique, grâce à une perception immédiate des traits physiques, le télescopage des catégories raciales; le propre de l'urbanité y consistant à adapter constamment l'apparaître aux circonstances... La race lui paraissant être moins une catégorie d'appartenance collective qu'une logique organisant les alignements d'individus entre le pôle blanc et le pôle noir, Elisabeth Cunin s'interdit de poser a priori l'existence de groupes. La signification de la couleur varie donc avec les individus, les situations et la « saillance » de la race se révèle à géométrie variable, si bien qu'il semble toujours possible, dans un contexte comme celui de Carthagène, de neutraliser les identifications raciales de la part de ceux qui sont racialisés, experts dans l'art de contrôler leurs apparences. De manière générale règne ce qu'elle appelle une convention d'évitement de toute catégorisation coloriste explicite, afin de vider les situations de leur charge raciale. Mais, sceptique par rapport au « circonstancialisme absolu» de certains analystes anglo-saxons, qui risque de « tourner le dos à l'idée même de toute communauté d'expérience et de pratique », elle dévoile aussi les pratiques bien réelles inspirées par la chimèrede la race, pratiques qui s'appuient sur des normes dont le sens est hérité du passé colonial et esclavagiste. Elle découvre en fait (comme déjà Roger Bastide le postulait à propos du Brésil, à l'encontre de la thèse d'une démocratie raciale ...) un « système racial infus », avec polarisation aux deux extrémités de la hiérarchie. Certes le métissage exerce son emprise, mais il ne fait que combiner discrimination et intégration" tout en s'appuyant sur l'usage social des catégories raciales; il n'élimine pas le stigmate mais permet de s'en accommoder, tout aussi loin de la séparation que de la fusion. E. Cunin parle dans ces conditions de compétence métisse, qui consiste à passer librement d'un cadre normatif à un autre, grâce à une capacité interprétative des scènes en cours (à l'instar de la notion de code switching utilisée par les linguistes dans les 7 situations diglossiques). Le métis est en effet celui qui est toujours en mouvement, pratiquant des allers et uploads/Politique/ cunin.pdf

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