Cynisme politique : la descente aux enfers Dossier - 24/02/2014 par Eric Dupin

Cynisme politique : la descente aux enfers Dossier - 24/02/2014 par Eric Dupin (1236 mots) Tribune. S’étonner ou s’indigner des ravages du cynisme dans la vie politique relèverait d’une pitoyable candeur. Point n’est besoin d’être un exégète de Machiavel pour savoir que le gouvernement des hommes, depuis la nuit des temps, s’accompagne de mille ruses, tromperies et autres fourberies associées à l’acception moderne du «cynisme». C’est l’extension de cette maladie de la morale sociale dans les secteurs les plus variés qui m’avait incité à publier, en 2006, un petit essai consacré à ce sujet (1). Le volet politique proprement dit en occupait une portion très limitée, même si la personnalité de Nicolas Sarkozy invitait à s’interroger sur les nouvelles manifestations du cynisme dans le bestiaire politique contemporain. Huit ans plus tard, le moins qu’on puisse dire est que le cynisme moderne n’a guère reculé, pas plus dans l’univers politique que dans les autres sphères de la société. À dire vrai, et au risque de passer pour un grincheux, la situation semble même s’être nettement aggravée. Pour s’en tenir à la vie publique, la désinvolture manipulatrice est incontestablement passée à une vitesse supérieure. Car il y a cynisme et cynisme. Celui qui fut pratiqué par les quatre derniers présidents de la République n’est pas du même ordre. Je me risquerais même à défendre la thèse que le cynisme de François Hollande atteint un niveau inégalé jusque là. François Mitterrand pratiquait un «cynisme de haut vol», selon l’heureuse formule de l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine. Son extraordinaire aventure politique est certes jalonnée de roueries. Sa connaissance désabusée des faiblesses humaines et son talent à en jouer le servirent outrageusement. Pour autant, le premier président socialiste de la Ve République, aussi florentin a- t-il pu être, demeurait lesté par une culture humaniste et enraciné dans une histoire tragique qui lui interdisaient de céder à cette forme d’indifférence nihiliste qui signe le cynique de notre temps. Avec Jacques Chirac, nous sommes déjà descendus d’un cran. «Les promesses n’engagent que ceux qui y croient», aimait-il répéter en reprenant une vieille formule attribuée au radical Henri Queuille, ancien président du conseil de la IVe République et modèle avoué de François Hollande. Ces trois hommes ont pour point commun d’avoir été élus en Corrèze, sans que l’on doive pour autant stigmatiser ce séduisant département. Nourri de trahisons récurrentes, le cynisme chiraquien s’alimentait à un fatalisme politique qui l’autorisait à déconnecter sans complexe la gestuelle électorale de la prise de décision. Nicolas Sarkozy nous a ensuite fait entrer dans une version nettement plus moderne du cynisme politique en ce sens qu’il ne prenait même plus la peine de dissimuler son insatiable soif de pouvoir derrière de fumeuses justifications. «Un cynique dissimule ses ambitions, pas moi», a-t-il un jour expliqué (2). Cet animal politique surdoué songeait à l’Elysée, et pas seulement en se «rasant». Et il avait le franc culot de l’avouer publiquement. Mais son cynisme un peu vulgaire était surtout instrumental. L’intitutif et imaginatif «Sarko» savait user des mots qui touchaient les spectateurs-électeurs. Il n’avait aucun scrupule pour convoquer Jean Jaurès dans ses meetings pourtant rarement peuplés d’amis du prolétariat. Mais son activisme brouillon et sa vivacité quelque peu infantile empêchaient qu’on le soupçonnât de s’en tenir à une jouissance cynique et passive du pouvoir. Un tel procès s’applique autrement mieux à François Hollande. «Je n’ai jamais rencontré un homme aussi dénué de conviction», a confié Max Gallo, avec qui il a travaillé dans les années quatre-vingt. Cynique postmoderne dans toute sa splendeur, l’ancien maire de Tulle parvenu à l’Elysée promène sur le monde un regard d’une pénétrante indifférence. Son humour reconnu n’est pas seulement la marque d’une saine distance avec la comédie du pouvoir. «Monsieur petites blagues», selon le mot de Laurent Fabius, ne prend, en réalité, pas grand chose au sérieux. Ce professionnel de la politique en connaît par le menu tous les travers et les détours. Jean-Luc Mélenchon a raconté en 2009, avec une indignation intacte, comment Hollande l’avait roulé lors du congrès socialiste de Brest de... 1997. «Il ne tient jamais parole», accusait le futur candidat du Front de gauche. Mais le plus intéressant est qu’il attribuait ce comportement au «vice de cynique» d’un homme qui s’amusait de l’humilier. Il est impossible de se fâcher avec Hollande, il prend tout à la rigolade, estimait pourtant, à un autre moment, Mélenchon. Ce n’est pas tout à fait faux. Hollande a encore moins d’illusion sur la nature humaine que Mitterrand sans avoir l’épaisseur de son illustre prédécesseur. Ce tacticien habile, manœuvrier expérimenté, ne croit que fort peu à l’efficacité de l’action publique. Prisonnier d’une culture politique obsolète, datant des années soixante-dix, mais suffisamment intelligent pour le subodorer, il se contente de feindre d’organiser des réformes qui s’imposent à lui par la force des marchés et des bureaucraties supranationales. L’écart ahurissant entre le fameux discours du Bourget, ciblant «la finance» comme l’ennemi à abattre, et la réalité d’une politique platement soumise aux exigences d’une «compétitivité» imposée par les règles d’un capitalisme mondialisé et financier trahit un cynisme propre à dégoûter l’électeur le mieux disposé. Il serait néanmoins injuste de se focaliser sur l’actuel chef de l’Etat. Le président du principal parti d’opposition mérite, lui aussi, de figurer en bonne place au palmarès du cynisme politique. Jean-François Copé est doté de l’ambition brutale et sans gêne de Sarkozy mais sans en posséder le charisme et le talent. Ce libéral de tendance ploutocratique se complaît, par simple opportunisme électoral et militant, dans un discours réactionnaire caricatural auquel il ne croit guère. On se souvient de son histoire imaginaire de «petit pain au chocolat» arraché par de méchants musulmans à la sortie du collège, en 2012, alors que le ramadan, qui était censé expliquer cette agression, avait lieu pendant les vacances scolaires cette année-là. La place nous manque pour citer tous les coupables d’un cynisme à ciel ouvert. Mentionnons seulement deux personnages. François Bayrou s’est distingué sur ce plan dans la dernière période par des variations qui, pour être dans la nature d’un centriste, n’en ont pas moins été spectaculaires. Le jeune espoir de l’UDF s’est un temps mué en rebelle furieux contre le «système». Par la suite, l’aventurier du MoDem est passé du vote en faveur de Hollande au rabibochage avec sa famille d’origine de la droite orléaniste. Son cas reste toutefois moins étrange que celui de Jean- Vincent Placé. L’homme fort du parti écologiste – que l’on imaginerait explorer de nouvelles manières de vivre l’action publique – est un politicien nourri aux recettes rad- soc pour qui tout se négocie. Son arrogance est sans limite : «Je suis un des hommes les plus influents de la République», plastronne-t-il (3). Le sentiment d’impunité : il a fallu insister pour que le sénateur de l’Essonne paie les 18.000 euros d’arriérés d’amendes générés par son comportement d’automobiliste irresponsable. Cet amateur de luxe a ainsi justifié, devant un député socialiste, sa demande d’un retour en France de Léonarda: «Tu comprends, j’ai un congrès en novembre!» Pour autant, la place prise par la dérision dans l’espace public n’est pas la moindre manifestation du cynisme politique. Le cas du sinistre Dieudonné est ici exemplaire. Ce personnage s’emploie, non sans succès, à faire fructifier le capital d’un dérèglement des mentalités. Son antisémitisme avéré est aussi au service de son propre business. Plus une société verse dans une patente amoralité, et plus les escrocs spécialisés dans «l’anti- système» font florès. Par Eric Dupin uploads/Politique/ cynisme-politique.pdf

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