1 N° d’enregistrement pour SociologieS : DEC 19-4 Frédéric BERTRAND Chercheur a

1 N° d’enregistrement pour SociologieS : DEC 19-4 Frédéric BERTRAND Chercheur associé au LISEC - Université de Strasbourg frederic_bertrand@live.fr Résumé Le non-recours aux droits-sociaux affecte l’efficacité des politiques sociales et l’équité des systèmes socio-fiscaux de redistribution. A l’heure où se préparent des réformes des politiques sociales qui portent l’ambition de traiter la problématique du non-recours, cet article invite à prendre en considération la dimension proprement politique du phénomène. La théorie politique néo-républicaine de Philip Pettit sert ici de fil conducteur à une relecture des travaux de Philippe Warin sur le non-recours par non- demande. Elle permet de jeter un regard critique sur les théories socio-économiques et socio-politiques qui prévalent actuellement sur le sujet. L’apport de cette relecture est manifeste à plusieurs niveaux. Elle invite, en premier lieu, à revisiter les catégories de non-recours par désintérêt et par conflit de valeur, et enrichit le cadre d’analyse en prenant en compte au même niveau que les phénomènes de non-recours, des phénomènes de recours par déférence stratégique. Plus fondamentalement, cette relecture inscrit l’analyse du non-recours dans l’histoire de la socialité moderne et de la conceptualisation républicaine de la liberté comme non domination. Par ailleurs, cet exercice d’application du néo-républicanisme à la question du non-recours, met l’auteur sur la voie d’une théorie néo-républicaine de la justice et du droit en mesure d’offrir un cadre général d’analyse critique des politiques sociales. Mots clés : Républicanisme ; non-recours aux droits sociaux ; philosophie sociale ; théorie de la justice Neo-republican reading of Non take-up of social rights Non take-up of social rights affects the effectiveness of social policies and the equity of socio-fiscal redistribution systems. While the forthcoming social policy reforms aim in France to solve the problem of non-recourse, this article highlights the political dimension of the phenomenon. Philip Pettit's neo- republican political theory serves as a guideline for a review of Philippe Warin's work on non take-up by non-demand. It provides a critical look at the socio-economic and socio-political theories that currently prevail on the subject. The contribution of this work is manifest on several levels. It allows, first, to redefine the categories of non take-up by disinterest and value conflict, and enriches the analytical framework by taking into account phenomena of take-up by strategic deference at the same level as the phenomena of non take-up. More fundamentally, this work places the analysis of non take- up in both the history of modern sociality and the republican conceptualization of freedom as non- domination. Moreover, this exercise in applying neo-republicanism to the question of non take-up directs the author towards a neo-republican theory of justice and law able to offer a general framework for critical analysis of social policies. Keywords : Republicanism ; non-take-up of social rights ; social philosophy ; theory of justice Lectura neo-republicana de la no utilización de los derechos sociales La no utilización de los derechos sociales afecta la efectividad de las políticas sociales y la equidad de los sistemas de redistribución socio-fiscal. En un momento en que se están preparando reformas de política social en Francia para reducir la no utilización de los derechos, este artículo considera la dimensión estrictamente política del fenómeno. La teoría política neo-republicana de Philip Pettit sirve aquí como un hilo conductor en una relectura del trabajo de Philippe Warin sobre la no utilización de los derechos por no demanda. Permite discutir las teorías socioeconómicas y sociopolíticas que prevalecen actualmente sobre el tema. La contribución de esta relectura es evidente en varios niveles. Invita, en primer lugar, a revisar las categorías de no utilización por desinterés y por conflicto de valores, y enriquece el marco de análisis considerando los fenómenos de recurso por deferencia estratégica. Más fundamentalmente, esta relectura considera la no utilización de derechos en conexión con la historia de 2 la socialidad moderna y la conceptualización republicana de la libertad como no dominación. Además, este ejercicio de aplicación del neo-republicanismo a la cuestión del no uso de los derechos sienta las bases para una teoría neo-republicana de la justicia y el derecho que ofrece un marco para el análisis crítico de las políticas sociales. Palabras claves : Republicanismo ; no utilización de los derechos sociales ; filosofia social ; teoría de la justicia Lecture néo-républicaine du non-recours aux droits sociaux 1 Le non-recours aux droits-sociaux est un phénomène massif et largement répandu à l’échelle internationale2. S’il reste encore difficile à appréhender précisément d’un point de vue quantitatif pour des raisons techniques et méthodologiques, nul ne doute plus qu’il affecte l’efficacité des politiques sociales et l’équité des systèmes socio-fiscaux de redistribution. L’enjeu est bien repéré et pris en charge : des explications du phénomène ont été apportées ces trente dernières années ; ses causes paraissent entendues ; des propositions ont été faites pour lutter contre le non-recours ; nombre de maîtres d’œuvre des politiques sociales sont aujourd’hui sensibilisés voire intègrent des mesures préventives ou correctives. Plus encore, le principe d’un versement automatique des prestations qui s’affirme en France à la faveur des débats autour du revenu universel ou de la réforme des minima sociaux, pourrait même laisser penser que le problème est en voie de résolution. Une note du conseil d’analyse économique préconise en ce sens, pour mettre fin au non-recours, de créer un formulaire de déclaration unique valant demande de droit auprès de tous les organismes sociaux, et de mettre en place un versement automatisé sur la base des données de la Déclaration Sociale Nominative (DSN) (Bargain & Ali, 2017). Et de fait, un examen des causes de non-recours indique que dans une large majorité de cas le non-recours est dû à une mauvaise information3 sur le dispositif (Bourguignon, 2011), ou bien que les personnes éligibles ne le connaissent pas, ou bien qu’elles le connaissent mal et croient à tort être inéligibles. A l’inverse il a été montré que les mesures entreprises pour apporter une information ciblée aux personnes potentiellement éligibles, réduisent significativement le non-recours (Castell, Perron-Bailly, 2018). Tout porte à croire donc que le versement automatique des prestations serait une solution efficace pour lutter contre le non-recours (Van Mechelen, Van Der Heyden, 2017). Cela permettrait en outre de traiter les cas où les personnes renoncent à faire valoir leur droit face à la complexité de la procédure, et d’autres cas de non-recours dus à un dysfonctionnement des organismes au moment d’orienter le demandeur, d’instruire la demande ou de délivrer la prestation. Dans ce contexte consensuel les travaux dissonants de Philippe Warin apparaissent particulièrement suggestifs. Voici plus de 10 ans que ce spécialiste du non-recours porte une attention particulière à une forme spécifique de non-recours : le non-recours par non-demande intentionnel. Cette catégorie de non-recours concerne ceux qui renoncent à une prestation ou à un service, en toute connaissance de cause. Certes, ils sont 1 Nous remercions Philippe Warin de ses commentaires bienveillants sur la première version de ce texte. 2 En Europe le taux moyen de non-recours aux prestations sociales est estimé à 40%* avec une grande variabilité par type de prestation et de pays, il oscille entre 20 et 40% dans les pays de l’OCDE**. Il a été estimé en France : à 50% pour le RSA en 2011 (toute composante confondue) touchant 1,3 millions de personnes ; entre 57 et 70% pour l’aide complémentaire à la santé ; entre 21 et 34% pour la couverture Universelle Complémentaire***. Le montant des non-versements auraient avoisinés quant à eux les 4 milliards d’euros par an pour le RSA (2011), et 4,7 milliards pour les prestations familiales et de logement (PFL) versées par les CAF (2002)****. Les données sur le non-recours sont des estimations à considérer avec prudence. Il n’existe pas de données longitudinales construites sur un périmètre exhaustif. Pour l’essentiel les données sont produites au gré de l’évaluation des différents dispositifs et selon des méthodologies adaptées aux données disponibles. Cette approche rend les exercices de synthèse difficiles et peut notamment gommer la variabilité du taux de non-recours dans le temps pour un dispositif donné, variabilité liée par exemple au temps d’information du public lors du lancement d’une mesure. *Eurofound, Access to social benefits : reducing non-take-up, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2015 **Virginia Hernanz, Franck Malherbet, Michel Pellizzari, Take-up of welfare benefits in OECD countries: A review of the evidence, Paris, OECD, 2004 *** Gisèle Biémouret, Jean-Louis Costes, Evaluation des politiques publiques en faveur de l’accès aux droits sociaux, Paris, rapport d’information n°4158 de l’Assemblée nationale, 2016 **** Philippe Warin, Le non-recours au RSA : des éléments de comparaison, Working paper, Odenore, 2011 3 L’évaluation du RSA a montré que 90 % des non-recourants déclarant connaître le RSA sans l’avoir jamais perçu, évaluent mal leur éligibilité. 3 minoritaires4 mais leur voie mérite d’être entendue à l’heure des grands projets de réforme sociale (Warin, 2011a). Pour le politiste les non-recourants par non-demande intentionnelle intentent un procès en illégitimité aux politiques sociales qui échouent à les reconnaitre pour ce qu’ils sont et cherchent au contraire à les installer dans une relation sociale stigmatisante qu’ils rejettent. En mettant l’accent sur cette forme de non-recours, Philippe uploads/Politique/ lecture-neo-republicaine-du-non-recours-aux-politiques-sociales.pdf

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