Astérion 6 (2009) L’ami et l’ennemi ...........................................
Astérion 6 (2009) L’ami et l’ennemi ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Servanne Jollivet Enjeux de la polémologie heideggerienne : entre Kriegsideologie et refondation politique ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Servanne Jollivet, « Enjeux de la polémologie heideggerienne : entre Kriegsideologie et refondation politique », Astérion [En ligne], 6 | 2009, mis en ligne le 03 avril 2009. URL : http://asterion.revues.org/1504 DOI : en cours d'attribution Éditeur : ENS Éditions http://asterion.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://asterion.revues.org/1504 Ce document PDF a été généré par la revue. © ENS Éditions http://asterion.revues.org Astérion, L’ami et l’ennemi, no 6, mars 2009 Enjeux de la polémologie heideggerienne : entre Kriegsideologie et refondation politique Servanne Jollivet Docteur en philosophie, Université Paris IV - Sorbonne et Université Humboldt de Berlin Résumé Face au double écueil qui consiste à ne voir en la pensée de Heidegger qu’une pure dégénérescence idéologique ou, à l’inverse, à nier son engagement et ses enjeux proprement politiques, nous désirons ici questionner frontalement son projet politique tel qu’il apparaît dès le début des années 1930. Plus que de céder à la polémique, nous nous proposons ici, partant des présupposés propres à la révolution conservatrice, de retracer l’usage, dès Être et Temps et surtout dans le discours de Rectorat (1933), des notions de confl it ou combat (Kampf), qui trouveront par la suite à s’approfondir à travers la notion héraclitéenne de polemos. L’enjeu est pour nous d’éclairer le projet de refondation politique qui sous-tend cette « polémologie » en nous appuyant sur l’interprétation que donne Heidegger de la théorie hégélienne de l’État (cours de 1933-1934) et de la polis grecque, principalement dans l’Introduction à la métaphysique. Mots clés Heidegger, Hegel, polemos, polis, politique Dans 1 Vers la pensée planétaire, Kostas Axelos écrivait, en 1964 : Heidegger fut national-socialiste pendant quelques mois, publia des textes et prononça des discours nazis. C’est un fait. Ne savait-il pas ce qu’il faisait ? Il ne s’agit pas de l’accabler, de lui pardonner ou de le justifi er, et on ne doit pas éluder la question. Il lui manquait et il lui manque une case : la case politique.1 Ce constat était alors partagé par la plupart des disciples et commentateurs 2 de Heidegger, jusqu’à la parution de l’ouvrage de Victor Farías – Heidegger et le nazisme (1987) qui reprend principalement les textes publiés par Guido Schneeberger en 1962 – puis, plus récemment, du tome 16 des Œuvres complètes consacré aux textes de circonstance et écrits politiques2. Certains ouvrages ont pu entre-temps faire état des liens de Heidegger avec la révolution conservatrice, tels que celui de Pierre de Bourdieu puis celui de Domenico Losurdo3, et 1 K. Axelos, « Heidegger et le problème de la philosophie », Vers la pensée planétaire, Paris, Minuit, 1964, p. 223-224. 2 V. Farías, Heidegger et le nazisme, Paris, Verdier, 1987 ; G. Schneeberger, Nachlese zu Heidegger : Dokumente zu seinem Leben und Denken, Berne, Selbstverlag, 1962 ; M. Heidegger, Reden und andere Zeugnisse eines Lebensweges (1910-1976) [GA 16], Francfort- sur-le-Main, Klostermann, 2000. Voir également B. Martin, Martin Heidegger und das « Dritte Reich » : ein Kompendium, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1989. 3 P. Bourdieu, L’ontologie politique de Martin Heidegger, Paris, Minuit, 1988 ; D. Losurdo, Heidegger et l’idéologie de la guerre, Paris, PUF, 1998. SERVANNE JOLLIVET Astérion, L’ami et l’ennemi, no 6, mars 2009 plus directement de sa compromission avec le national-socialisme4. Depuis trente ans, la polémique n’a pour ainsi dire pas cessé, alimentée par ceux qui considèrent que la pensée de Heidegger est irrecevable en raison même de son soubassement idéologique, jusqu’à prendre, plus récemment, des allures médiatiques incontrôlées sans que la question ne trouve à s’approfondir davantage5. Assurément la dimension politique est décisive chez Heidegger, non seulement 3 en 1933-1934 lorsqu’il pense encore infl échir le mouvement de renouveau national-socialiste dans le cadre de sa réforme universitaire, mais plus tardivement quant à sa conception de l’histoire, voire de la poésie à laquelle il reconnaîtra un véritable pouvoir de fondation historique. Plus que d’une erreur, il semble bien qu’il faille parler ici d’une véritable compromission, participation consciente et réfl échie au national-socialisme, tout du moins pendant les premiers mois de son engagement en tant que recteur de l’Université de Fribourg, tout en précisant qu’il n’assume cette charge qu’appelé par son ancien recteur et soutenu en cela par ses pairs, porté par l’espoir de pouvoir orienter, et en un certain sens infl échir, la politique universitaire. Il refuse par ailleurs le poste qui lui est off ert, en 1933, l’enjoignant à rejoindre Berlin et démissionne lui-même le 23 avril 1934, soit à peine un an après sa prise de fonction. Ce qui l’avait poussé à prendre en charge le Rectorat était l’espoir, comme il le précisera lui-même après la guerre, de « pouvoir faire front […] à la prépondérance menaçante de l’appareil du parti et de sa doctrine »6. Reconnaître cet engagement, et les espoirs qui y sont encore liés en 1933-1934, 4 ne signifi e donc en rien nier les résistances et la distance progressivement prise à l’égard d’un régime qu’il critique de plus en plus, comme en témoignent l’Introduction à la métaphysique (1935) qui fustige sa dérive bureaucratique ou encore les cours sur Nietzsche s’opposant dès 1936-19377 aux thèses biologiques et racistes – cours qu’il présentera par ailleurs rétrospectivement comme « une explication (Auseinandersetzung) avec le national-socialisme »8 – ou encore les manuscrits des Beiträge 9. Il ne manque pas par ailleurs de prendre la défense de certains étudiants et collègues juifs, empêche de fait certains débordements à l’Université (placardages d’affi ches antijuives, autodafés au sein de l’Université), ce qui lui vaudra d’être lui-même tenu relativement tôt à distance du parti en vertu de son « nazisme par trop personnel »10, voire des critiques explicites 4 Citons notamment ici les travaux de P. Lacoue-Labarthe, La fi ction de politique. Heidegger, l’art et la politique, Paris, Bourgois, 1987 ; T. Rockmore, On Heidegger’s Nazism and Philosophy, Berkeley, University of California Press, 1992 ; H. Sluga, Heidegger’s Krisis : Philosophy and Politics in Nazi Germany, Cambridge, Havard University Press, 1993 ; F. Fistetti, Heidegger und die Utopie der Polis, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1999 ; J. Fritsche, Historical Destiny and National Socialism in Heidegger’s Being and Time, Berkeley, University of California Press, 1999. 5 Elle semble en ce sens jamais n’avoir été aussi vivace – et confuse – que depuis la récente parution du livre d’E. Faye, Heidegger et l’introduction du nazisme en philosophie, Paris, Albin Michel, 2005, auquel l’ouvrage collectif récemment paru Heidegger à plus forte raison, Paris, Fayard, 2007, se donne pour tâche de répondre. 6 Écrits politiques (1933-1966), Paris, Gallimard, 1995, p. 219. 7 Nietzsche 1 (1936-1939) [Gesamtausgabe (GA), 6.1], Francfort, Klostermann, 1996, p. 465. 8 Lettre du 4 novembre 1945 au Rectorat académique, reprise dans Cahier de l’Herne Martin Heidegger, Paris, L’Herne, 1983, p. 102. 9 Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis) [GA 65], Francfort, Klostermann, 1989, p. 163. Voir également Besinnung [GA 66], manuscrit écrit entre 1938 et 1939, Die Geschichte des Seyns [GA 69] de 1938-1940, ou encore les écrits de 1941 récemment rassemblés sous le titre Über den Anfang [GA 70]. 10 Nous renvoyons ici notamment au rapport de Walter Gross, chef de l’Offi ce de politique raciale du NSDAP, cité par R. Safranski, Heidegger et son temps, Paris, Grasset, 1996, p. 382-383. ENJEUX DE LA POLÉMOLOGIE HEIDEGGERIENNE Astérion, L’ami et l’ennemi, no 6, mars 2009 émises lors de ses cours, comme certains étudiants ont pu l’attester11. Plus radicalement encore après la guerre, comme dans les Conférences de Brême (1948-1949), il ira jusqu’à repenser, cette fois à la lumière de l’holocauste, le mouvement national-socialiste comme le pur accomplissement d’une rationalisation parvenue à son faîte, « le Même dans le déploiement de son essence »12 que l’exploitation agro-industrielle et la mainmise généralisée des ressources disponibles sur cette terre. Il ne s’agit donc en rien de réduire la portée du politique chez Heidegger à 5 son incarnation nazie ou de voir en sa pensée, et ce dès Être et Temps (donc dès 1926 !), une appropriation existentiale et ontologisation d’une idéologie dominante, voire une pure et simple dégénération idéologique. Plutôt que de céder à la polémique, il nous semble à cet égard plus pertinent de nous pencher plus avant sur sa portée proprement politique telle qu’elle se déploie dans les années 1933-1935, uploads/Politique/ enjeux-de-la-polemologie-heideggerienne.pdf
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- Publié le Aoû 12, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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