Cahiers d’études africaines 167 (2002) Varia ..................................

Cahiers d’études africaines 167 (2002) Varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Catherine Coquery-Vidrovitch Mbembe, Achille. – De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. Paris, Karthala, 2000, 293 p., index (« Les Afriques »). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Catherine Coquery-Vidrovitch, « Mbembe, Achille. – De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. Paris, Karthala, 2000, 293 p., index (« Les Afriques »). », Cahiers d’études africaines [En ligne], 167 | 2002, mis en ligne le 22 juin 2005, consulté le 28 février 2016. URL : http:// etudesafricaines.revues.org/1504 Éditeur : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales http://etudesafricaines.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://etudesafricaines.revues.org/1504 Document généré automatiquement le 28 février 2016. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Cahiers d’Études africaines Mbembe, Achille. – De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique co (...) 2 Cahiers d’études africaines, 167 | 2002 Catherine Coquery-Vidrovitch Mbembe, Achille. – De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. Paris, Karthala, 2000, 293 p., index (« Les Afriques »). 1 Cet ouvrage, paru à peu près en même temps en anglais et en français, est un recueil de textes aussi séduisants qu’originaux situés à la frontière entre philosophie politique, histoire et littérature. 2 L’écriture est superbe. La langue devient instrument d’analyse, « à la fois descriptive, critique, analytique et poétique… La phrase se fait art, ou mieux, image et magie au point où le texte lui-même finit par participer d’un procès d’envoûtement » 1. Cette façon « de dire la laideur d’une manière finalement si belle » est à la fois « déroutante et inquiétante ». Car l’auteur s’implique à fond dans le courant postmoderniste pour lequel le texte devient significatif de lui-même autant que de la réalité. D’ailleurs le sous-titre le précise sans ambiguïté, même s’il s’agit davantage d’« imaginaire » que d’« imagination » politique. 3 L’ouvrage est en fait un recueil d’essais, au nombre de cinq dans la version française. L’idée- force qui relie les chapitres est celui de la postcolonie, c’est-à-dire de « sociétés récemment sorties de l’expérience que fut la colonisation, celle-ci devant être considérée comme une relation de violence par excellence », de servitude et de domination (pp. 139-140). 4 L’introduction, beau morceau de bravoure, repose sur une interrogation philosophique nourrie entre autres de F. Hegel, M. Heidegger, F. Nietzshe, G. Bataille, J. Habermas ou M. Foucault. Curieusement, l’auteur fait à peine référence, sinon dans une note rapide, à des philosophes africains modernes dégagés du courant ethnophilosophique de la stature de Paulin Hountondji ou Valentin Mudimbe, et moins encore à Béchir Souleïmane Diagne. Il ne s’inscrit pas non plus, sans vraiment en expliciter les raisons, dans les problématiques de la « postcolonialité » telle que débattue par les subaltern studies qu’il connaît néanmoins fort bien. Il annonce sa volonté d’aller à l’encontre du discours usuel, où l’Afrique n’est vue que comme antinomique de l’Occident, car en dépit des recherches les plus récentes les poncifs demeurent de la « pensée sauvage » : tout étant empreint de la pensée dominante, on sait mieux, aujourd’hui, ce que l’Afrique n’est pas que ce qu’elle est réellement. 5 Sur cette réalité, les jugements d’Achille Mbembe sont sévères et sans appel : dans le contexte contemporain de la pluralité des savoirs et de la multiplicité des mondes, l’Afrique demeure caractérisée par l’absence d’issue, sinon dans l’arbitraire du pouvoir absolu, arbitraire d’autant plus pesant qu’il relève de la longue durée – du passé au présent et sans doute au futur –, arbitraire qui « donne la mort n’importe quand, n’importe où, n’importe comment et sous n’importe quel prétexte » (p. 32). La question posée est donc désespérée : comment sortir de ce carcan par l’affranchissement de la servitude et l’éventualité d’un sujet africain autonome ? 6 Les deux premiers textes, sur « Le commandement », et sur le « Gouvernement privé indirect », relèvent de l’analyse en longue durée, puisque les réflexes des gouvernants postcoloniaux sont compris et expliqués à travers l’héritage historique, et en particulier par les séquelles de la violence coloniale : violence fondatrice par la conquête, violence de légitimation à travers un discours et un vocabulaire à volonté universalisante, violence de permanence par la sédimentation d’innombrables actes et rites dont les plus symptomatiques furent les régimes dits de l’« indigénat » (pp. 42-43). L’analyse est implacable. Les modalités de l’assujettissement colonial, dont l’objet fut de chosifier l’indigène, sont à la racine du mal. Le pouvoir d’État issu de cet assujettissement s’oppose à la « société civile » telle que définie en Occident. Pourtant, les sociétés africaines ne se réduisent pas à des structures extérieures et hostiles à l’État : la restructuration des intérêts autochtones (entrepreneurs, hommes politiques, nationalistes…) provoque l’interrelation du pouvoir oppressant et des réseaux participants. Le potentat postcolonial hérité de ce complexe possède une rationalité Mbembe, Achille. – De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique co (...) 3 Cahiers d’études africaines, 167 | 2002 propre reposant sur un triptyque imbriqué : la violence, l’allocation et le transfert. L’allocation- type (le salaire) légitime la sujétion, le salarié devenant un dépendant de l’État dominateur. Ce processus rend compte de tous les détournements : « corruption », encaissements parallèles, etc., qui convertissent les choses économiques en choses sociales et politiques par le biais des liens sociaux communautaires. Ainsi, une dette sociale multiforme lie tous les éléments du système, prisonniers les uns des autres. La thématique de Mbembe s’inscrit d’évidence dans la suite de la « politique du ventre » et de la « criminalisation de l’État » proposées par Jean-François Bayart 2. Il insiste néanmoins davantage que celui-ci sur le rôle de l’épisode colonial, qui n’aurait été aux yeux de Bayart « qu’un facteur contingent » du processus 3. La nouveauté de la démonstration réside dans le lien établi avec force entre l’arbitraire colonial et le pouvoir postcolonial, alors que la littérature historique, suivant en ceci le discours politique dominant, a plutôt eu naguère tendance à relier les potentats contemporains aux chefs précoloniaux. Cette tendance demeure aujourd’hui celle des spécialistes du présent, politologues ou journalistes peu informés de par leur formation et leur spécialité sur l’histoire du continent : pour beaucoup, la colonisation n’a que trop tendance à ne représenter désormais qu’une parenthèse. Or Mbembe a l’énergie de démontrer au contraire qu’elle est à la base des concepts politiques africains contemporains. Ceci dit, l’analyse, très novatrice dans la mesure où elle s’attaque à l’imaginaire des colonisés modelé et perverti par l’arbitraire colonial, n’est pas une découverte en soi concernant les mécanismes du pouvoir : il y a 20 ans, Benoit Verhaegen proposait déjà une analyse décapante du pouvoir despotique de Mobutu au Zaïre, où il distinguait une succession de cercles concentriques imbriqués, depuis la « clique présidentielle » des proches parents du despote jusqu’à la « confrérie régnante » des membres privilégiés de l’« ethnie » présidentielle et, au-delà, la « grande bourgeoisie potentielle » constituée de « toutes les personnes que leur compétence, leur popularité ou leur fonction désignent comme candidat possible à l’entrée dans la confrérie dont elle constitue la réserve de recrutement » (pp. 374-75) 4. 7 Ce qui est nouveau, néanmoins, c’est que Mbembe prolonge l’examen au fil des décennies de l’indépendance. Il ne sépare pas le constat politique de l’analyse économique. Ainsi l’équilibre relatif du despotisme postcolonial s’est trouvé ébranlé par la contraction économique des années 1980 et les exigences des programmes d’ajustement structurel. Les difficultés inextricables qui ont suivi font que les factions se délitent et s’opposent. Les guerres et le chaos qui en ont résulté imposent de trouver une issue. C’est le défi du XXI e siècle : désormais la compétitivité des économies à l’échelle mondiale exige de l’Afrique comme des autres un accroissement des productivités. Or celui-ci ne peut qu’intensifier les rapports de violence issus des contradictions entre l’accroissement des inégalités et l’exacerbation des distorsions accumulation du capital/exclusion sociale. 8 Cette analyse a le mérite d’une très grande cohérence intellectuelle, même si on peut lui reprocher de proposer un modèle d’évolution générale nécessairement un peu déconnecté des réalités et des variantes concrètes de terrain. 9 La version française de l’ouvrage comporte, intercalé de façon abrupte au milieu des autres, un texte d’une beauté fulgurante, qui a été publié séparément aux uploads/Politique/ etudesafricaines-de-la-postcolonie.pdf

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