Université Jean Moulin, Lyon III Département de Philosophie Israël Quezada Tosc

Université Jean Moulin, Lyon III Département de Philosophie Israël Quezada Toscano Mémoire de Master 1 Sciences Humaines mention Philosophie LE NEOLIBERALISME COMME TECHNOLOGIE GOUVERNEMENTALE PREMIERE PARTIE : LA « GOUVERNEMENTALITE » Directeur de Mémoire : Alain Marc Rieu 1 2 Présentation Le projet de recherche « Le néolibéralisme comme technologie gouvernementale » trouve son origine et sa thématique dans la lecture du cours de Michel Foucault au Collège de France de 1979 : La Naissance de la Biopolitique. Toutefois, et dans ce cours et dans notre travail il sera très peu question de biopolitique. Surveiller et Punir (1975) reposait sur une enquête historique des micropouvoirs, c'est-à-dire l’analyse des minuties sur lesquels le pouvoir venait s’inscrire jusque dans les corps des individus. Foucault repère ce phénomène à expressions multiples vers la fin du XVIIe siècle et dans le cours du XVIII, et le désigne sous le nom d’anatomo-politique. Dans son cours Il faut défendre la société de 1976 il formule la notion de « biopolitique ». Ce serait cette fois l’investissement du pouvoir non plus sur l’individu, mais sur l’homme en tant qu’espèce. C’est la prise en considération du pouvoir des dimensions collectives de vie et de mort, des maladies, ainsi que de la production des moyens de survie. Avec ce phénomène, qui se manifeste à la fin du XVIIIe, Foucault voit l’apparition de nouvelles données pour la pratique du pouvoir, ce sont la population et l’économie politique (étudiées en Sécurité, Territoire, Population de 1978 et en Naissance de la Biopolitique). Ces raisons expliquent, peut-être, pourquoi le projet annoncé de la biopolitique reste à un stade introductoire, et même pourquoi l’importance des problématiques et des notions qui le cadrent finiront pour le placer en arrière plan. Notre travail sera de comprendre et d’expliciter l’étude que Foucault fait des discours économiques de l’ordolibéralisme allemand et du néolibéralisme américain. L’intérêt qui nous amène à cette thématique tient à ce que dans l’ensemble des recherches de Foucault l’analyse n’avait jamais été si près du contexte contemporain, et de façon plus déterminante à ce que le néolibéralisme se présente encore à nous comme l’un des enjeux majeurs de nos sociétés. Pour Foucault l’intérêt d’étudier l’ordo et le néolibéralisme était cependant de « voir quel contenu concret on pouvait donner à l’analyse des relations de pouvoir »1. Ainsi, si pour Foucault la rationalité libérale est la condition d’intelligibilité de la biopolitique, pour nous la compréhension du néolibéralisme doit commencer par la compréhension des relations de pouvoir sous la forme spécifique de la « gouvernementalité ». C’est ce à quoi s’attache notre travail dans un premier temps. 1 Foucault, Naissance de la biopolitique (par la suite NB), p. 191. 3 PLAN Première partie : La « gouvernementalité » Introduction Définition Usages et Fonctions A. Prééminence du gouvernement 1. Pouvoir et micropouvoirs 2. Gouvernement politique : la « conduite » des hommes 3. Diagnostic de l’Etat B. Rationalités du gouvernement 1. La rationalité pastorale 2. La Raison d’Etat 3. L’Etat administratif C. « Gouvernementalité » et Rationalité libérale 1. Economie de la théorie de l’Etat – Théories économiques du gouvernement 2. Le moindre gouvernement 3. L’économie politique 4 Le néolibéralisme comme technologie gouvernementale I. LA GOUVERNEMENTALITE Introduction A quelles conditions surgit une notion qui viendra s’ajouter et puis modifier la conception traditionnelle du pouvoir ? Une question d’actualité : Le contexte historico-politique de la deuxième moitié du XXe siècle avait fait de l’interrogation sur le pouvoir l’un des sujets les plus pressantes et à laquelle on commença à revenir sans cesse, après un premier temps de silence et des scrupules à son égard à l’issue de la deuxième guerre mondiale. Appartenir à une civilisation qui en poussant au plus haut degré la science et la technique s’avère par là même être la plus meurtrière et raffinée dans ses moyens d’oppression, rendait urgente une pensée qui tiendrait en compte la relation réciproque entre la rationalité et les excès du pouvoir. C’est sur ce point que Foucault perçoit des ressemblances entre son travail et celui de l’école de Frankfort. On ne pouvait pas avoir accès à ce rapport par le seul moyen du terme « pouvoir ». Une question de parcours : très tôt l’enjeu des recherches de Foucault a été transformé en slogan, on lui a souvent prêté de manière hâtive la thèse selon laquelle « tout savoir implique un pouvoir ». A la fin des années soixante-dix Foucault revient sur l’ensemble de ses travaux et par souci de clarté il entreprend, plus qu’une reformulation, la mise en place d’un cadre conceptuel assurant la cohérence de l’ensemble de son parcours, tout en ne cessant d’insister sur le caractère irrégulier et indirect de celui-ci. Il n’empêche qu’au centre de son questionnement se trouvait, en effet, la question de la vérité et la question du pouvoir, et plus exactement le lien entre ces deux. C’est donc à cette période qu’on va trouver les premières analyses en termes de « véridiction » et de « gouvernementalité ». Une question de méthode : encore très tôt les travaux et les publications de Foucault ont été assimilés à une « analytique du pouvoir ». Une analytique, certes, tout à fait originale car elle commençait avec l’étude et la recherche des détails historiques (la fouille des archives, des décrets, des cartes ou des carnets de santé, etc.). Son travail veut faire surgir, ainsi, les évidences apparentes et les idées reçues des disciplines (la taxinomie, la grammaire, l’économie par exemple) et les institutions (l’hôpital, l’asile, la prison), qui de leur côté revendiquaient toute la rigueur d’une connaissance scientifique. Cet intérêt pour le 5 détail et pour le registre de circonstance comme moyen pour démonter l’évidence du savoir et des institutions avait de quoi dérouter le public. On a pu parler à ce propos d’une « microphysique du pouvoir », en référence à la « microhistoire » de l’école italienne. On a toujours eu des difficultés à classer le travail de Foucault, situé à la conjoncture du travail de l’historien, de l’anthropologue, de l’archiviste, du philosophe, sans se placer pour autant à l’intérieur d’aucun de ses domaines ; c’est ce qui a conduit au rapprochement avec les démarches de recherche du mouvement des Annales. Reformuler la question du pouvoir au moyen de la notion de « gouvernementalité » révèle un choix de méthode : le refus de suivre une méthode essentialiste qui consisterait à envisager non pas des phénomènes mais une universalité à laquelle ils devraient se conformer. La culture, la loi mais également la folie, la prison ou encore l’Etat et plus tard la société civile n’ont pas d’existence absolue, mais sont ce que Foucault saisi comme des « réalités de transaction» : le produit d’un ensemble de discours et de pratiques qui interagissent, « figures transactionnelles et transitoires qui, pour n’avoir pas existé de tout temps, n’en sont pas moins réelles »2. Foucault montre que l’intérêt serait de partir de pratiques précises et de situations historiques singulières, pour dégager la part de contingence dans la formation des discours à portée universaliste. Définition Le terme « gouvernementalité » apparaît pour la première fois dans la leçon du 1ère février 1978 qui a d’ailleurs été publiée six mois plus tard dans la revue italienne Aut-Aut. Ceci explique pour une part la rapide diffusion du concept, et montre aussi combien l’attention portée sur le travail en cours de certains penseurs français était parfois plus poussée au-delà de l’hexagone3. La « gouvernementalité » est une notion qu’on a vu s’appliquer sur des très vastes domaines et dans des nombreuses disciplines. Si Foucault voulait que sa pensée et son enseignement fût une boîte à outils, probablement la notion de « gouvernementalité » est-elle une des notions qui réalisent au mieux ce vœu. Dans sa postface du cours de 1978, Michel Senellart fait porter notre attention sur l’avènement des « gouvernmentality studies » dans des universités anglo-saxonnes ainsi qu’en Allemagne, un champ d’études dans les facultés de sociologie et des sciences politiques qui est proposé même comme une 2 Foucault, NB, p. 301. 3 Sur la réception et le retour de la philosophie française aux Etats-Unis à partir des années soixante on a consulté le livre French Theory de François Cusset. 6 division de leur discipline. C’est dans un entretien4 avec Jacques Donzelot, que Colin Gordon (co-auteur du livre The Foucault effet), rend plus claires les raisons pour lesquelles l’intérêt de Foucault sur les questions de la « gouvernementalité » et du libéralisme ont eu plus de résonance ailleurs qu’en France. Gordon nous parle d’au moins deux avantages de la réception en Angleterre : d’abord une circonstance éditoriale qui faisait que Foucault était plus flexible sur ce qui était publié de lui en langue étrangère ; mais de façon plus déterminante, la réception de ces questions était plus à même de trouver un public attentif, en raison de la conjoncture politique de l’époque : en Angleterre, comme en Allemagne, la question du gouvernement libéral pesait davantage dans la programmation politique, tandis qu’en France les efforts du milieu intellectuel avaient tendance à uploads/Politique/ foucault-et-le-neoliberalisme.pdf

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