Francophonies plurielles Dominique COMBE Partant des débats qui ont récemment e
Francophonies plurielles Dominique COMBE Partant des débats qui ont récemment entouré la notion polémique de francophonie, Dominique Combe revient sur les politiques plurielles qui en ont fait usage, pour souligner ses évolutions et les nouveaux enjeux qu’elle recouvre à l’heure de la mondialisation. Le projet de loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche, voté le 9 juillet 2013, n’a pas manqué de raviver la querelle des langues. Proposant d’assouplir la possibilité de dispenser des enseignements en langue étrangère (en anglais, notamment) afin de rendre les universités françaises plus attractives, ce projet a suscité, à droite comme à gauche, une réaction véhémente qui montre à quel point la question de la langue française et de la francophonie reste sensible. Selon le code de l’éducation, « la langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement est le français, sauf exceptions justifiées par les nécessités de l’enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères, ou lorsque les enseignants sont des professeurs associés ou invités étrangers » (article L. 121-3). Le gouvernement envisage d’élargir le champ des exceptions en y ajoutant la close : « ou lorsque les enseignements sont dispensés dans le cadre d’un accord avec une institution étrangère ou internationale tel que prévu à l’article L. 123-7 ou dans le cadre de programmes bénéficiant d’un financement européen ». Très vite, une pétition a circulé pour en appeler à la défense du français, qui serait plus que jamais menacé par l’anglais dans la concurrence universitaire. Des voix s’élèvent non seulement de l’opposition, mais de la gauche même, contre un projet jugé dangereux pour la francophonie et pour la République. Pourtant, le français se porte mieux qu’on ne croit. Selon les estimations fournies par l’Organisation internationale de la francophonie en 2010, il compte environ 220 millions de locuteurs, répartis entre 75 pays, sur 5 continents − Europe : 87,5 millions ; Afrique subsaharienne et Océan indien : 79,1 ; Afrique du Nord et Moyen-Orient : 33,6 ; Amérique et Caraïbe : 16,8 ; Asie et Océanie : 2,6. 29 États ont inscrit le français comme langue officielle dans leur constitution, 13 d’entre eux comme langue officielle unique. Outre la France et Monaco, tous ces États sont situés en Afrique subsaharienne (Bénin, Burkina Faso, Congo, Congo RD, Côte d’ivoire, Gabon, Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Togo). Selon les projections des démographes et des linguistes, en 2050, 90% des 700 millions de francophones vivront dans cette partie du monde. Si la mondialisation économique a bien évidemment été favorable à l’anglais, la croissance démographique en Afrique est, elle, favorable au développement du français qui, selon les mêmes estimations, pourrait représenter environ 8% de la population mondiale, au lieu de 3% en 2010. C’est donc en Afrique, où se joue l’avenir de la francophonie, que les enjeux diplomatiques, géopolitiques et économiques de la langue française et de la francophonie apparaissent au grand jour sur la scène internationale. Le 14e sommet de la Francophonie. Du 12 au 14 octobre 2012, à Kinshasa, en République démocratique du Congo, le 14e sommet de la Francophonie accueille chefs d’État, ministres et 2 représentants de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), dirigée par son Secrétaire général, Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal1. Des questions techniques, comme le rôle d’internet dans la diffusion de la langue et de la culture françaises, ou encore la coopération scientifique et universitaire, sont inscrites à l’ordre du jour ; mais l’essentiel est ailleurs. Reçu en France dans l’indifférence générale, en dehors du cercle restreint des acteurs et des défenseurs de la francophonie, le Sommet de Kinshasa continue à déchaîner les passions. Dans une République démocratique du Congo déchirée par la guerre civile, le Sommet prend une signification politique qui excède infiniment la question de la langue et de la culture françaises. Au-delà des discours et des conférences de presse, aucune décision politique d’importance n’est prise, mais les opposants au régime de Joseph Kabila organisent un peu partout en Europe, et en particulier à Bruxelles et à Paris, une « marche contre la francophonie ». La francophonie est dénoncée comme un alibi du régime et de ses rares alliés pour se donner une légitimité intérieure et internationale. Pour les opposants, le choix de Kinshasa – après Bucarest, Québec et Montreux, nettement plus consensuels – revient à cautionner un régime hautement controversé. Et pour la France, la participation au Sommet, qui n’a pas manqué de susciter également des polémiques, une telle réunion est l’occasion de réaffirmer sa présence sur un continent où les États-Unis et surtout la Chine jouent un rôle sans cesse grandissant. C’est Dakar qui, pour la deuxième fois, accueillera le Sommet en 2014. À travers la langue et de la culture françaises, il y va de la démocratie en Afrique, des relations politiques mais aussi commerciales entre l’Europe et l’Afrique, entre le Nord et le Sud. Francophone, Français Francophonie, francophonie, francophonies. Les sommets de la francophonie, vite oubliés par les médias, illustrent la place dans la vie publique d’une Francophonie officielle, incarnée dans ses institutions françaises et internationales. Les frontières de la Francophonie politique ne recoupent que partiellement celles de la francophonie linguistique. L’Algérie, restée largement francophone malgré une politique d’arabisation massive après 1962, commence à peine à se rapprocher des institutions de la Francophonie, qu’elle accuse de néo- colonialisme. L’Égypte, qui ne compte au contraire qu’une petite élite francophone, appartient depuis les années soixante aux instances de la Francophonie, que le Ministre des Affaires étrangères Boutros Ghali a contribué à fonder. L’emploi réputé neutre du mot francophonie, qui relève du registre linguistique, est en fin de compte peu répandu. Dans la presse et les médias, le mot se charge inévitablement de connotations politiques, qui rapprochent la francophonie de la Francophonie, avec une majuscule. Cette ambiguïté est à l’origine de malentendus et de polémiques qui, pour finir, contribuent à déprécier un mot dont la polysémie ajoute à la confusion. De manière somme toute assez vague, la francophonie est définie par le Trésor de la langue française comme l’« ensemble de ceux qui parlent français ; plus particulièrement l’ensemble des pays de langue française ». Étant donné la diversité des situations d’un pays ou d’une région à l’autre, mieux vaudrait parler de francophonies plurielles, de « polyfrancophonies » (S. Farandjis). Comment comparer le Gabon, Madagascar, Haïti avec la Suisse romande, la région Wallonie-Bruxelles, le Québec ? En France même, la situation de la métropole, même lorsqu’il reste des langues régionales, n’est guère comparable à celle des outre-mers, en particulier des Antilles et de la Réunion, où le créole est présent dans la vie quotidienne. Encore faudrait-il préciser que, bien souvent, la 1 La France, elle, est représentée par le Président François Hollande, Laurent Fabius − ministre des Affaires étrangères − et Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée de la Francophonie. 3 maîtrise du français reste très insuffisante et, de toute façon, socialement minoritaire. Il convient ainsi à tout le moins de distinguer les francophonies de l’aire européenne et nord- américaine, des francophonies postcoloniales. Les Français sont des usagers, certes privilégiés, mais non exclusifs de la langue française – des francophones, mais qui ne se reconnaissent pas volontiers comme tels. Du fait de leur domination numérique et surtout symbolique, les Français sont enclins à considérer le français, auquel ils s’identifient, comme leur langue propre. À la différence de l’anglais, de l’espagnol et, surtout, du portugais, le français n’a pas connu le déplacement de son centre européen vers les Amériques. Le Traité de Paris en 1763, par lequel la France a cédé notamment le Canada et la Louisiane, a mis un terme définitif à l’épopée coloniale de la France en Amérique. Oxford et Cambridge, Salamanque, Coimbra continuent à jouir, certes, d’un grand prestige symbolique. Mais l’avenir de l’anglais, de l’espagnol ou du portugais ne se joue plus tellement dans « l’Europe aux anciens parapets », mais outre-Atlantique, à New- York, Buenos-Aires, Mexico, Rio de Janeiro ou São Paulo. Quelle que soit la vitalité de Montréal et des métropoles francophones, le destin du français, lui, reste indéfectiblement lié à Paris. À l’inverse, c’est non à la langue anglaise, mais à la couronne britannique que les États membres du Commonwealth of Nations prêtent librement allégeance. L’indépendance des États-Unis a fait que, très tôt, il a bien fallu distinguer la langue anglaise de la nationalité britannique, quitte à dégager plus tard une spécificité « nationale » de l’anglais des États- Unis. Nul besoin, donc, de recourir à l’adjectif anglophone, et encore moins à l’idée d’une anglophonie. Les termes existent en anglais, mais ils ne sont guère utilisés que par analogie avec francophone et francophonie. Il n’existe pas à proprement parler une Anglophonie, mais plutôt une « Englishness », ou une « American way of life », à comparer avec ce qu’on appelle « francité » au Québec ou en Belgique, à la suite de Senghor. En vertu d’un « pacte ancestral avec la nation » (Rouaud/Le Bris), la conscience collective qui forme la « communauté imaginée » française (Anderson) uploads/Politique/ francophonies-plurielles-dominique-combe.pdf
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- Publié le Nov 27, 2022
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