1 Intervention d’Emmanuel MACRON Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du N
1 Intervention d’Emmanuel MACRON Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique « La mondialisation peut-elle être synonyme de progrès ? » Mardi 21 Juin 2016. Mesdames et Messieurs, Je veux d’abord remercier Philippe PEREZ, ainsi que les membres de la loge « Le Chantier des Egaux – Raphaël BLIARD » pour leur invitation, et remercier Laurent HUBERSON, Eric MONIOT et les membres des loges « La Lumière » et « Aletheïa »1 pour s’y être associés. Merci aussi à Daniel KELLER et aux membres du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France pour leur présence. Merci, enfin, à toutes et tous d’être venus si nombreux. Je veux vous dire la reconnaissance qui est la mienne d’être invité à m’exprimer dans ce temple Arthur GROUSSIER, cœur battant, vivant, du grand Orient de France. Le Grand Orient a aidé à construire notre République. C’est même, plus largement, l’une des continuités de l’Histoire de France depuis près de trois siècles. Au regard de la jeunesse relative des formations politiques de notre pays, dont les plus anciennes ont un peu plus de 100 ans et les plus récentes… quelques semaines seulement, votre institution offre une profondeur de champ impressionnante et indispensable. Une profondeur qui ne doit rien au hasard, qui doit beaucoup à vos méthodes ; à votre rigueur ; à votre goût de la liberté, et en particulier la liberté absolue de conscience ; à votre réflexion, aussi, qui vise à épurer le réel de tout préjugé ; qui cherche à poser le monde sur la table, à plat, afin de mieux en discerner les contours, les reliefs. Une méthode proche de la philosophie, en un sens, méthode dont vous savez qu’elle ne m’est pas totalement étrangère, et dont je tente chaque jour de me servir. 1 C'est à Heidegger que l'on doit le renouveau d'intérêt pour le concept d’alètheia : 1 - « vérité » (au sens de dévoilement), issu de lèthè « oubli » et a- (privatif) ; 2 - « réalité » par opposition à « apparence ». 2 Je sais donc pouvoir m’exprimer ici, ce soir, en toute confiance, et je le fais avec un immense plaisir. Un plaisir vivifié par le sujet essentiel que vous m’avez donné à traiter, qui est au cœur des tensions qui traversent notre société. Le sujet est essentiel, parce que nous sommes collectivement portés par la belle idée de progrès. Je le dis ici, devant vous, pour qui est tellement centrale la promesse d’un avenir meilleur, que les hommes, par leur travail, doivent s’attacher à construire. En effet, n’y a-t-il pas en chacun de nous l’espérance que la marche du monde, la vie des hommes, la puissance de leur esprit et les bienfaits de leurs entreprises nous conduiront à l’amélioration spontanée de la condition humaine ? L’idée de progrès comporte, on le sait bien, sa part de mythe : mais ce n’est pas une raison pour y renoncer, bien au contraire. C’est ce vers quoi, collectivement, nous devons tendre. Et puis il y a d’autres mythes, en particulier celui de la mondialisation heureuse. A suivre ce récit, auquel beaucoup ont cru, l’ouverture des frontières provoquerait l’enrichissement rapide des populations pauvres. La multiplication des échanges adoucirait les mœurs. La politique des droits de l’Homme s’universaliserait et se propagerait comme une tâche d’huile par-delà les frontières. Ce mythe, nous ne pouvons pas le rejeter en bloc : la mondialisation, notamment, a bien permis de diminuer l’inégalité des niveaux de vie entre les pays2 et a fait sortir de l’extrême pauvreté des centaines de millions d’êtres humains. Mais pour l’essentiel, et si l’on s’attache à considérer cette question depuis la France, force est de constater que ce mythe s’est largement fracassé sur le mur de la réalité. * * * I/ A mon sens, la mondialisation déstabilise la conception française du progrès. Et elle le fait en ébranlant quatre de ses piliers. 1/ En premier lieu, elle fragilise la philosophie sociale de la République. 2 La mondialisation de l’inégalité, par François Bourguignon Le Seuil-La République des idées, 2012, 112 p. 3 Au cœur de cette philosophie, il y a l’idée que le progrès social découle du progrès économique. Il y a l’idée que la mobilité sociale est indexée sur le mérite individuel, sur le travail, sur l’effort, sur la possibilité pour chacun d’échapper aux diktats de la naissance. Pour Jean JAURES, « l’esprit de progrès social s’éteint chez les peuples dont la force de production languit.3 » De la Libération au milieu des années 1970, des taux de croissance de 3, 4 ou 5% ont ainsi permis de réduire drastiquement les inégalités entre les générations ; de combattre, avec une efficacité inégalée, la grande pauvreté ; d’être soigné gratuitement et d’être soutenu face aux aléas de la vie ; de conduire la majorité d’une génération à devenir bacheliers ; de permettre à des enfants de vivre, génération après génération, mieux que leurs parents. Et donc de rendre réelle une part de l’idéal forgé par le Grand Orient de France des décennies auparavant. Or, la croissance atone que nous connaissons depuis plus de trente ans ne permet plus de faire vivre ce pacte républicain. Celui-ci est remis en cause par l’existence de deux France. Celle, d’abord, qui aime la mondialisation parce qu’elle en profite. Elle rassemble les Français les mieux dotés, ceux qui ont reçu une bonne formation, qui possèdent un capital économique et culturel important ; ceux qui voyagent, qui parcourent régulièrement le vaste monde et qui parlent anglais. Ces Français-là n’ont pas peur du monde qui s’ouvre. A l’inverse, une autre France vit la face sombre de la mondialisation. Celle-ci rassemble les personnes les plus modestes, les plus fragiles, c’est-à-dire ceux dont le destin est lié à la conjoncture économique ; ceux qui sont victimes de la dissémination des chaînes de production sur toute la planète, de la concurrence exacerbée, de la précarité, du chômage, de l’incertitude. Ces Français-là craignent que leurs diplômes se démonétisent. Ils ne croient plus dans la philosophie sociale de la République, parce qu’ils constatent que la société est bloquée et la mobilité réduite ; parce qu’ils ont peur que leurs enfants vivent encore moins bien qu’eux-mêmes ; parce que la mondialisation n’est pas pour eux synonyme de progrès ou d’opportunités nouvelles, mais de déclassement. Ainsi, beaucoup ne croient plus dans le discours républicain, parce qu’ils sont, depuis 30 ans, peu à peu, exclus du progrès économique et social. Ils sentent et 3 Le socialisme et la Vie, par Jean Jaurès (1901). 4 ressentent la force des inégalités de destin, de ces disparités qui frappent les plus modestes dès le berceau, et qui entrainent toutes les autres : les inégalités devant le revenu, l’emploi, la santé, la culture, le logement, de toutes ces inégalités qui enferment et rétrécissent l’avenir. 2/ La mondialisation affaiblit aussi la Nation comme cadre du progrès républicain. Les progrès initiés par la République se sont toujours matérialisés dans la Nation, entendue comme corps politique circonscrit par des frontières. Pourquoi ? Parce que la République se réalise dans un espace donné. La laïcité en est certainement l’exemple le plus flagrant. Dans un territoire défini et délimité, la France, la laïcité garantit la neutralité confessionnelle de l'Etat et de ses agents, ainsi que la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Elle est un équilibre fragile, précieux, un équilibre unique au monde ; qui procède d’un choix politique et collectif ; qui dit la manière avec laquelle les Français ont décidé de vivre ensemble ; qui affirme, là encore, que nul n’a le droit d’être assigné à résidence par son identité ou sa religion ; qui donne à chacun la même place, que l’on croit ou que l’on ne croit pas ; et qui rappelle, surtout, que ce qui unit les Français, leur humanité, est bien plus grand que ce qui les divise. La laïcité est, fondamentalement, un choix français, auquel nos concitoyens demeurent viscéralement attachés ; et qu’il nous revient de préserver. Or, la mondialisation vient interroger et défier nos choix les plus fondamentaux, parce qu’elle contraint la Nation à s’ouvrir. La France n’a jamais été un bloc étanche : elle a toujours été un projet ouvert, qui a su accueillir l’autre et les plus faibles et qui doit continuer de revendiquer, avec fierté, d’être le plus vieux pays d’immigration d’Europe. Mais pour beaucoup de nos concitoyens, la mondialisation fait craindre un pays sans porte ni fenêtre et, in fine, d’un multiculturalisme dans lequel la Nation se dissout. Prenons garde à cela : c’est au moment où les frontières s’effacent que les peuples ressentent le besoin d’ériger des murs. Dans le même temps, nous réalisons que beaucoup des défis auxquels nous sommes confrontés dépassent le cadre de la Nation : le réchauffement climatique, les déplacements de populations, les grandes questions sanitaires, autant de sujets qui imposent désormais une prise de conscience mondiale et un 5 autre cadre d’action politique, beaucoup plus large, qui dépasse celui de la Nation. 3/ Dans le même temps, la uploads/Politique/ intervention-macron-cadet.pdf
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- Publié le Jui 03, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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