60 A la question de savoir si les jeunes générations d’aujourd’hui sont plus ou
60 A la question de savoir si les jeunes générations d’aujourd’hui sont plus ou moins politisées, plus ou moins engagées, que celles qui les ont précédées, on ne peut répondre de façon simple et univoque. Car toute génération nouvelle reprend en partie les usages de la citoyenneté et les modes de participation politique de celles qui l’ont précédée, mais elle les recompose et les réinvente aussi. Continuités et ruptures s’ajustent en fonction des événements, des circonstances, ainsi que des évolutions des institutions et du système politique lui-même. L’engagement politique des jeunes se construit et prend forme à partir d’une double dynamique, celle l’héritage et celle de l’expérimentation. Il s’inscrit dans la négocia- tion que toute génération nouvelle doit faire, d’une part, avec la culture politique dont elle hérite et, d’autre part, avec les conditions d’expérience propres à la conjoncture historique et politique dans laquelle elle prend place. C’est dans cette tension que la politisation des jeunes prend son essor et qu’elle doit être interprétée. Mais cela étant rappelé, les conditions de transmission d’une culture politique commune aux différentes généra- tions méritent d’être examinées, alors que des transformations profondes du système politique comme des usages citoyens sont intervenues depuis trente ans. Les jeunes Français d’aujourd’hui entrent dans un contexte politique bien différent de celui de la jeunesse de leurs parents. Leurs premiers choix, leurs façons de se faire entendre et de s’exprimer portent ces changements. projet 316 – 2010, pp. 60-68, 4 rue de la Croix-Faron, 93217 La Plaine Saint-Denis Anne Muxel est directrice de recherche au Cnrs (Centre de Recherches Politiques de Sciences Po). Anne Muxel L’engagement politique dans la chaîne des générations Dossier - Une transformation des usages Nos démocraties se font de plus en plus expressives et elles sont aussi de plus en plus individualisées. Les allégeances politiques, les identifications partisanes se sont quelque peu relâchées, comme du reste les allégeances sociales. Les rouages de la représentation démocratique demeurent, mais une place de plus en plus décisive est reconnue à l’opinion et aux capaci- tés de mobilisation de celle-ci. Le vote reste considéré comme un moyen d’expression privilégié, y compris au sein des jeunes générations, mais la norme civique qui lui est attachée s’est nettement affaiblie. Près de six Français sur dix (59 %) considèrent que le vote est le moyen le plus effi- cace pour influencer les décisions politiques. Mais cette priorité n’a pas la même intensité aux deux bouts de l’échelle des âges. Elle est d’autant plus forte que la population est âgée et, bien que toujours majoritaire, nettement plus restreinte parmi les plus jeunes. 70 % des 65 ans et plus citent le vote en premier, seulement 53 % des 18-24 ans. Les jeunes font l’usage d’une citoyenneté de plus en plus intermittente, marquée par un lien plus ténu à l’obligation de voter et par des allers-retours entre le vote et l’abstention. Leur participation électorale est moins systématique. En 2007, lors de la séquence électorale constituée de la présidentielle et des législatives, une participation constante aux quatre tours de scru- tins a été d’autant plus assurée que l’électorat était âgé. Les 50 ans et plus ont représenté plus de la moitié des votants constants (54 %), les moins de 35 ans seulement 21%. Les jeunes générations, bien que plus parti- cipationnistes que d’habitude, se sont surtout mobilisées pour l’élection présidentielle mais ont nettement moins voté aux législatives. Le vote fait partie d’une palette d’outils démocratiques plus large et plus diversifiée. Une part de plus en plus importante de la jeunesse privilégie des modes d’action non conventionnels et directs, souvent protestataires, et légitime la démocratie participative. Ce n’est pas la majorité, mais c’est une évolu- tion qui, à terme, dans la dynamique générationnelle et dans le cours de la transmission des attitudes comme des comportements politiques adressée aux générations de demain, peut dessiner les contours d’un tout autre paysage démocratique. Démocratie participative, démocratie d’opinion et protestation, défi- nissent donc le contexte dans lequel les jeunes d’aujourd’hui entrent en . Baromètre politique français, Cevipof, 2006 . Bruno Cautrès et Anne Muxel (dir), Comment les électeurs font-ils leur choix ? Le Panel électoral français 2007, Presses de Sciences Po, 2009. 61 Dossier—Difficile solidarité entre générations 62 politique et peuvent s’y impliquer. Un malaise à l’égard de la représentation politique s’est assez largement diffusé. La confiance dans les institutions politiques et dans les gouvernants est au plus bas. En France aujourd’hui, les deux tiers des Français (67 %), quel que soit leur âge, et dans tous les milieux, ne font confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner. Le doute s’est emparé des urnes et l’abstention ne cesse de se rappeler d’élection en élection. Lors des élections régionales de 2010, c’est à peine un petit tiers des plus jeunes électeurs qui se sera rendu aux urnes. Mais leurs aînés n’ont guère mieux rempli leurs obligations civiques : à peine un Français sur deux seulement est allé voter. La classe politique et les partis font l’objet d’un rejet. Les syndicats ne comptent plus guère d’adhérents. Scepticisme et cynisme entament quelque peu le pacte démocratique. Les jeunes ne sont pas dépolitisés, mais ils sont politisés autrement. Ils sont moins dans le discours, moins dans l’idéologie, moins dans l’organisation. Ils sont sans doute davantage dans l’expressivité et dans l’émotion. Ils entrent en politique dans une disposition dans l’ensemble assez critique à l’égard de la classe politique, même si leurs attentes sont fortes. Certes, leurs aînés sont aussi concernés par ce triptyque – défiance, intermittence du vote, protestation –, mais ce changement des formes de politisation n’a pas la même portée pour les jeunes générations. Il s’inscrit dans le processus de leur socialisation politique et façonne des habitudes et des comportements qui orienteront durablement leurs trajectoires politiques, leurs choix comme leurs pratiques. C’est dans le climat d’une « politique désenchantée » qu’ils font leurs premiers pas en politique. C’est aussi dans un contexte social et économique taraudé par une crise endé- mique qu’ils se préparent à l’avenir. Les plus grandes difficultés d’insertion sociale et professionnelle touchent toutes les catégories de la jeunesse. Un sentiment de fragilisation, une peur du déclassement atteignent même les couches jusqu’alors les plus protégées. Et aujourd’hui, les trois quarts des Français, quels que soient les milieux sociaux, considèrent que leurs enfants réussiront moins bien qu’eux. Toutefois, les fractures sociales en fonction du niveau de diplôme restent décisives. Elles ne sont pas sans répercussion sur les fractures politiques observées dans les dispositions comme dans les réponses des jeunes. Les formes de politisation ne sont pas les mêmes selon les catégories de la jeunesse. . Baromètre de confiance politique du Cevipof, décembre 2009. . Se reporter à Anne Muxel, Avoir 20 ans en politique. Les enfants du désenchantement, Seuil, 2010. 63 Les nouvelles générations les plus instruites, bien que critiques à l’égard de la politique, restent fondamentalement attachées à la démocratie représentative. L’intériorisation des valeurs universalistes, au travers des- quelles ils construisent des enjeux de nature politique, vient compenser leur défiance et garantit un attachement durable au système représentatif. La jeunesse scolarisée est la plus politisée. Porteuse dans sa large majorité d’une culture politique de gauche, elle utilise une palette élargie d’expres- sions politiques : le vote, même si les jeunes restent dans l’ensemble plus abstentionnistes que leurs aînés, mais aussi la protestation et la manifes- tation. Du côté des jeunes peu diplômés, si les valeurs universalistes apparais- sent plus enracinées que parmi leurs aînés de même niveau de diplôme, elles restent néanmoins moins affirmées, et ne jouent pas le même rôle de compensation du déni de la politique. Leur confiance dans la démocratie représentative apparaît plus ébranlée, et l’on observe non seulement un déficit de leur lien au politique, mais aussi des risques de relâchement de leur lien démocratique. Ils sont plus en retrait de toute forme de parti- cipation citoyenne, qu’il s’agisse du vote mais aussi de la manifestation, et sont plus favorables à des régimes politiques autoritaires, basés sur un leadership personnel et sur une réduction des pouvoirs issus de la déci- sion électorale comme de ceux du Parlement. C’est de leur côté que se manifeste et que peut se creuser un déficit démocratique. Si plus des trois- quarts des plus diplômés (79 %) se déclarent hostiles à ce type de régime, ils ne sont plus qu’une petite moitié parmi ceux qui ne disposent pas du bac (49 %). C’est aussi de leur côté que peut s’exprimer un soutien élec- toral pour le Front national qui résiste au fil du temps, car profondément animé par une protestation diffuse à l’encontre des élites gouvernantes jugées impuissantes. En 2007, au premier tour de l’élection présidentielle, 22 % des 18-30 ans non diplômés ont voté pour Jean-Marie Le Pen, seu- lement 3 % des étudiants. C’est de leur côté aussi que peut se manifester de façon plus violente, comme lors des révoltes urbaines de l’automne 2005, une contestation radicale de la société et un rejet du système poli- tique dans son ensemble. Si l’on peut observer un approfondissement uploads/Politique/ l-x27-engagement-politique-dans-la-chaine-des-generations 1 .pdf
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- Publié le Aoû 12, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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