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1libertaire.free.fr L’ordre'du'discours'Michel Foucault'(1971) original.(http://1libertaire.free.fr/Foucault64.html) Origine : http://foucault.50webs.com/books/1971_OD.htm (http://foucault.50webs.com/books/1971_OD.htm) http://www.scribd.com/doc/32347244/Michel-Foucault- L-Ordre-Du-Discours (http://www.scribd.com/doc/32347244/Michel-Foucault-L-Ordre-Du-Discours) Dans le discours qu'aujourd'hui je dois tenir, et dans ceux qu'il me faudra tenir ici, pendant des années peut-être, j’aurais voulu pouvoir me glisser subrepticement. Plutôt que de prendre la parole, j'aurais voulu être enveloppé par elle, et porté bien au-delà de tout commencement possible. J'aurais aimé m'apercevoir qu'au moment de parler une voix sans nom me précédait depuis longtemps: il m'aurait suffi alors d'enchaîner, de poursuivre la phrase, de me loger, sans qu'on y prenne bien garde, dans ses interstices, comme si elle m'avait fait signe en se tenant, un instant, en suspens. De commencement, il n'y en aurait donc pas; et au lieu d'être celui dont vient le discours, je serais plutôt au hasard de son déroulement, une mince lacune, le point de sa disparition possible. L’ordre du discours Michel Foucault (1971) — 1libertaire.free.... http://www.readability.com/articles/vhiytywo 1 de 47 26/08/13 21:57 J'aurais aimé qu'il y ait derrière moi (ayant pris depuis bien longtemps la parole, doublant à l'avance tout ce que je vais dire) une voix qui parlerait ainsi: «Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, il faut dire des mots tant qu'il y en a, il faut les dire jusqu'à ce qu'ils me trouvent, jusqu'à ce qu'ils me disent -étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c'est peut-être déjà fait, ils m'ont peut-être déjà dit, ils m'ont peut-être porté jusqu'au seuil de mon histoire, devant la porte qui s'ouvre sur mon histoire, ça m'étonnerait si elle s'ouvre.» Il y a chez beaucoup, je pense, un pareil désir de n'avoir pas à commencer, un pareil désir de se retrouver, d'entrée de jeu, de l'autre côté du discours, sans avoir eu à considérer de l'extérieur ce qu'il pouvait avoir de singulier, de redoutable, de maléfique peut-être. A ce voeu si commun, l'institution répond sur le mode ironique, puisqu'elle rend les commencements solennels, puisqu'elle les entoure d'un cercle d'attention et de silence, et qu'elle leur impose, comme pour les signaler de plus loin, des formes ritualisées. Le désir dit: «Je ne voudrais pas avoir à entrer moi-même dans cet ordre hasardeux du discours; je ne voudrais pas avoir affaire à lui dans ce qu'il a de tranchant et de décisif; je voudrais qu'il soit tout autour de moi comme une transparence calme, profonde, indéfiniment ouverte, où les autres répondraient à mon attente, et d'où les vérités, une à une, se lèveraient; je n'aurais qu'à me laisser porter, en lui et par lui, comme une épave heureuse.» Et l'institution répond: «Tu n'as pas à craindre de commencer; nous sommes tous là pour te montrer que le discours est dans l'ordre des lois; qu'on veille depuis longtemps sur son apparition; qu'une L’ordre du discours Michel Foucault (1971) — 1libertaire.free.... http://www.readability.com/articles/vhiytywo 2 de 47 26/08/13 21:57 place lui a été faite, qui l'honore mais le désarme; et que, s'il lui arrive d'avoir quelque pouvoir, c'est bien de nous, et de nous seulement, qu'il le tient.» Mais peut-être cette institution et ce désir ne sont-ils pas autre chose que deux répliques opposées à une même inquiétude: inquiétude à l'égard de ce qu'est le discours dans sa réalité matérielle de chose prononcée ou écrite; inquiétude à l'égard de cette existence transitoire vouée à s'effacer sans doute, mais selon une durée qui ne nous appartient pas; inquiétude à sentir sous cette activité, pourtant quotidienne et grise, des pouvoirs et des dangers qu'on imagine mal; inquiétude à soupçonner des luttes, des victoires, des blessures, des dominations, des servitudes, à travers tant de mots dont l'usage depuis si longtemps a réduit les aspérités. Mais qu'y a-t-il donc de si périlleux dans le fait que les gens parlent, et que leurs discours indéfiniment prolifèrent? Où donc est le danger? Voici l'hypothèse que je voudrais avancer, ce soir, pour fixer le lieu -ou peut-être le très provisoire théâtre -du travail que je fais: je suppose que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d'en conjurer les pouvoirs et les dangers, d'en maîtriser l'événement aléatoire, d'en esquiver la lourde, la redoutable matérialité. Dans une société comme la nôtre, on connaît, bien sûr, les procédures d’exclusion. La plus évidente, la plus familière L’ordre du discours Michel Foucault (1971) — 1libertaire.free.... http://www.readability.com/articles/vhiytywo 3 de 47 26/08/13 21:57 aussi, c'est l'interdit. On sait bien qu'on n'a pas le droit de tout dire, qu'on ne peut pas parler de tout dans n'importe quelle circonstance, que n'importe qui, enfin, ne peut pas parler de n'importe quoi. Tabou de l'objet, rituel de la circonstance, droit privilégié ou exclusif du sujet qui parle: on a là le jeu de trois types d'interdits qui se croisent, se renforcent ou se compensent, formant une grille complexe qui ne cesse de se modifier. Je noterai seulement que, de nos jours, les régions où la grille est la plus resserrée, où les cases noires se multiplient, ce sont les régions de la sexualité et celles de la politique: comme si le discours, loin d'être cet élément transparent ou neutre dans lequel la sexualité se désarme et la politique se pacifie, était un des lieux où elles exercent, de manière privilégiée, quelques-unes de leurs plus redoutables puissances. Le discours, en apparence, a beau être bien peu de chose, les interdits qui le frappent révèlent très tôt, très vite, son lien avec le désir et avec le pouvoir. Et à cela quoi d’étonnant : puisque le discours -la psychanalyse nous l'a montré -, ce n'est pas simplement ce qui manifeste (ou cache) le désir; c'est aussi ce qui est l'objet du désir; et puisque -cela, l'histoire ne cesse de nous l'enseigner - le discours n'est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s'emparer. Il existe dans notre société un autre principe d'exclusion: non plus un interdit, mais un partage et un rejet. Je pense à l'opposition raison et folie. Depuis le fond du Moyen Age le fou est celui dont le discours ne peut pas circuler comme celui des autres: il arrive que sa parole soit tenue pour nulle et non avenue, n'ayant ni vérité ni importance, ne pouvant pas faire foi en justice, ne pouvant pas authentifier un acte ou un L’ordre du discours Michel Foucault (1971) — 1libertaire.free.... http://www.readability.com/articles/vhiytywo 4 de 47 26/08/13 21:57 contrat, ne pouvant pas même, dans le sacrifice de la messe, permettre la transsubstantiation et faire du pain un corps; il arrive aussi en revanche qu'on lui prête, par opposition à toute autre, d'étranges pouvoirs, celui de dire une vérité cachée, celui de prononcer l'avenir, celui de voir en toute naïveté ce que la sagesse des autres ne peut pas percevoir. Il est curieux de constater que pendant des siècles en Europe la parole du fou ou bien n'était pas entendue, ou bien, si elle l'était, était écoutée comme une parole de vérité. Ou bien elle tombait dans le néant - rejetée aussitôt que proférée; ou bien on y déchiffrait une raison naïve ou rusée, une raison plus raisonnable que celle des gens raisonnables. De toute façon, exclue ou secrètement investie par la raison, au sens strict, elle n'existait pas. C'était à travers ses paroles qu'on reconnaissait la folie du fou; elles étaient bien le lieu où s'exerçait le partage; mais elles n'étaient jamais recueillies ni écoutées. Jamais, avant la fin du XVIIIe siècle, un médecin n'avait eu l'idée de savoir ce qui était dit (comment c'était dit, pourquoi c'était dit) dans cette parole qui pourtant faisait la différence. Tout cet immense discours du fou retournait au bruit; et on ne lui donnait la parole que symboliquement, sur le théâtre où il s'avançait, désarmé et réconcilié, puisqu'il y jouait le rôle de la vérité au masque. On me dira que tout ceci est fini aujourd'hui ou en train de s'achever; que la parole du fou n'est plus de l'autre côté du partage; qu'elle n'est plus nulle et non avenue; qu'elle nous met aux aguets au contraire; que nous y cherchons un sens, ou l'esquisse ou les ruines d'une oeuvre; et que nous sommes parvenus à la surprendre, cette parole du fou, dans ce que nous articulons nous-mêmes, dans cet accroc minuscule par où ce que nous disons nous échappe. Mais tant d'attention ne L’ordre du discours Michel Foucault (1971) — 1libertaire.free.... http://www.readability.com/articles/vhiytywo 5 de 47 26/08/13 21:57 prouve pas que le vieux partage ne joue plus; il suffit de songer à toute l'armature de savoir à travers laquelle nous déchiffrons cette parole; il suffit de songer à tout le réseau d'institutions qui permet à quelqu'un -médecin, psychanalyste -d'écouter cette parole et qui permet en même temps au patient de venir apporter, ou désespérément retenir, ses pauvres mots; il suffit de songer à tout cela pour soupçonner que le partage, loin d'être effacé, joue autrement, selon des lignes différentes, à travers des institutions nouvelles et avec uploads/Politique/ l-x27-ordre-du-discours-michel-foucault-1971.pdf