LES MÉDIAS EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE : UNE APPROCHE EN TERMES D’USAGES Usages de

LES MÉDIAS EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE : UNE APPROCHE EN TERMES D’USAGES Usages des radios dans la citoyenneté au Burkina Faso Sylvie Capitant1 Les médias africains ne sont pas à proprement parler les parents pauvres de la sociologie africaniste. Dès les années 50, une littérature conséquente commence de paraître mais c’est véritablement dans les années 90 avec la « démocratisation » que connaît la région, que cette littérature prendra toute son ampleur. Les angles d’approche possibles sont nombreux : impact, rôle ou fonction des médias ? Médias africains comme partenaires de développement, de démocratie, de guerre ou de paix ? Pour développer son travail, un chercheur, tel un alpiniste esca- ladant une paroi rocheuse, doit évaluer et choisir un « couloir d’esca- lade » menant à son sujet. Née d’une réfl exion sur la place des médias dans la citoyenneté en Afrique susbsaharienne, la recherche, dont cet article rend compte, a du se plier à ce travail de repérage et choisir un 1 IEDES- La Sorbonne Paris I Recherches en communication, n° 26 (2006). 64 SYLVIE CAPITANT « couloir ». Cependant, une revue des approches de la manière dont les médias africains ont été étudiés jusque là laisse entrevoir deux parti- cularités majeures. Tout d’abord, la proposition théorique a été faible. Contrairement à la sociologie des médias générale qui a produit de nombreuses théories, celle des effets limités, celle du lecteur-récep- teur, celle des médias comme outils de domination, la sociologie des médias en Afrique s’est laissée enfermée dans la recherche empirique, envisageant, selon les modifi cations socio-politiques de la sous-région, les médias comme des multiplicateurs de développement, des outils de domination du Nord, des outils de démocratie et plus récemment comme des outils de guerre ou de paix. L’autre faiblesse de ce domaine de recherche est sa tendance à vouloir se construire en marge de la sociologie des médias centrale, pour reprendre le terme de P. Quantin. Ce dernier, réfl échissant sur l’étude du vote en Afrique, constate que les processus électoraux africains ne semblent pas dignes d’intégrer la « science politique centrale ». Au nom d’une appartenance à une certaine aire culturelle, les études sur la question ont développé une « science politique périphérique » qui répond à d’autres principes que ceux développés dans la science politique générale. Quantin propose ainsi de « banaliser l’approche du politique africain ». (QUANTIN PATRICK 2005) Il semble que cette dichotomie existe aussi dans l’étude des médias en Afrique. Faisant cas de ces deux particularités soulignées, cet article entend proposer de réintégrer l’étude des médias en Afrique à la sociologie des médias générale. Il s’agit d’interpeller les concepts théoriques proposés par cette dernière afi n de construire des études plus problématisées et moins empiriques des médias africains. Ce choix scientifi que, dont on envisagera les enjeux, permet d’établir une nouvelle approche des médias en Afrique. Nourrie de la théorie des usages et des gratifi cations de Katz et de la sociologie des publics qui occupe une place centrale aujourd’hui dans les problèmes de communication, une approche des médias africains en termes d’usages sera ainsi proposée. Cette approche a été développée dans le cadre d’un travail de doctorat portant sur les usages des radios au Burkina Faso dans la citoyenneté dont il sera rapi- dement rendu compte ici. 65 L’USAGE DES MÉDIAS EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE L’étude des médias en Afrique : un domaine de recherche périphérique ? Revues des approches Même si des médias de masse existent en Afrique depuis la fi n du XIXème siècle1, les premières études les concernant datent des années 40. Mais c’est au moment des indépendances qu’un premier paradigme apparaît. Considérant à l’époque le Tiers Monde comme des sociétés traditionnelles « en retard économiquement », Rostow envisage pour lui les différentes « étapes de la croissance économique » qui débute par la phase du « décollage économique ». Dans cette perspective, les médias africains vont apparaître comme des outils de modernisation et comme des « multiplicateurs de développement ». Pour Lerner qui envisage la modernisation comme « le processus séculaire de changement vers un système social de participation » (LERNER DAVID 1958), les médias constituent une des variables de modernisation par leur infl uence sur le taux d’alphabétisation et sur la participation politique. Ces idées seront reconnues offi ciellement par l’Unesco qui chargera William Shramm de réfl échir sur le lien entre médias et développement dont il rendre compte dans Mass Media and National Developpement (SCHRAMM WILLIAM 1964). De même, les dirigeants africains appuieront cette idée et, souvent pour des raisons politiques, imposeront un monopole étatique sur les médias de masse afi n que ces derniers remplissent leur mission de développement et de construction d’un sentiment national. Dans les années 70 le discours se modifi e, sous l’infl uence de la pensée critique d’inspiration marxiste qui infl ue les sciences sociales dans leur ensemble. Le Tiers Monde n’est plus vu sous le prisme tradi- tion/modernité mais sous celui de la domination. L’Occident est au centre d’une aire de domination à profi l concentrique dans laquelle le Tiers Monde n’est qu’une périphérie exploitée par le centre. Les pays non alignés en appellent à une nouvel ordre mondial plus équilibré. Au fur et à mesure, les questions de communication vont prendre une 1 Le premier journal d’Afrique date de 1800 année où est lancé « Cap Town Gazette » destiné aux Européens du Cap en Afrique du Sud. Le premier journal africain date de 1826 au Liberia, voir TUDESQ André-Jean. Journaux et radios en Afrique aux XIXe et XXe siècles, Paris : Groupe de recherche et d’échanges technologiques (1998). 66 SYLVIE CAPITANT place de plus en plus importante. Lors de la conférence de Nairobi en 1974, organisée par l’Unesco, les pays non alignés exigent un NOMIC, un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication. Les pays du Nord aliènent les pays du Sud par une production excessive vue comme une volonté de colonisation culturelle. Ce nouveau paradigme va entraîner les premières recherches sur la réception en Afrique : quels sont les effets socio-culturels des programmes occidentaux sur les cultures du Sud ? Quelle la compréhension au Sud de ces programmes ? Cependant, les recherches empiriques seront peu nombreuses, et le paradigme critique sera plus virulent sous la forme de déclaration que d’enquête empirique. Cette vision sera cependant adoubée par l’Unesco qui publie en 1980 le rapport Mac Bride, donnant un grand écho à ces idées. Mais c’est au cours des années 1990 que la littérature sur les médias en Afrique connaît son véritable foisonnement. Une étude bibliogra- phique laisse voir que 80% des ouvrages portant sur le thème Médias et Afrique sont postérieurs à 1990. L’Afrique subsaharienne connaît à cette période de profonds changements politiques : avènement du multipartisme, libéralisation politique, libéralisation médiatique, rédac- tion de constitution reconnaissant le vote pluraliste comme mode de désignation des dirigeants. En quelques années, voire parfois en quel- ques mois, l’Afrique se construit un arsenal juridique et constitutionnel conforme au système institutionnel démocratique. Les années passant prouveront que les changements institutionnels n’ont pas toujours entraîné un changement de pratiques politiques. Toujours est-il que dans ces années là, on assiste à une « éclosion médiatique » sous le coup d’une « fi èvre démocratique » (FRERE M-S 2000). Entre 1990 et 1993, plus de 50 journaux sont créés au Mali. A partir de 1995, c’est au tour des radios privées de s’ouvrir. Comme le rappelle Tudesq, dans les années 80, dans la sous-région, « il n’y avait que 5 radios indépen- dants des gouvernements, il y en a actuellement un millier » (TUDESQ ANDRÉ-JEAN 2000). Cette évolution majeure va susciter une profusion de publications qui vont s’articuler autour de trois thèmes. Le premier révèle les médias comme les nouveaux acteurs de la nouvelle société civile africaine. Ils permettent de « publiciser les maux », de « sortir les gouvernements de leur clandestinité et de créer un espace public de discussion » (HYDEN G.; LESLIE, M. 2002). Les médias ont occupé rapidement une place importante dans les recherches sur la société civile africaine car pour beaucoup ils ont rempli « un vide dans l’arène 67 L’USAGE DES MÉDIAS EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE politique » (HYDEN GÖRAN; OKIGBO, C. 2002). Contrairement à l’Europe de l’Est et à l’Amérique du sud, ces auteurs considèrent que la société civile en Afrique était faible : peu de syndicats, peu d’as- sociations, des Églises peu engagées etc... Ainsi les médias ont été investis d’une lourde charge : « nourrir le débat démocratique, contri- buer à fi xer l’agenda de l’évolution du projet démocratique. Ils doivent prévenir les dérapages que ce soit une décrépitude institutionnelle ou une corruption individuelle. Dans le cas où d’autres partis politiques d’opposition manqueraient à constituer une véritable opposition, une telle opposition devrait venir des médias. » (RANDALL VICKY 1993) Le deuxième thème qui structure cette littérature porte sur le pluralisme et l’indépendance des médias. Consacré par la déclaration de Windohek qui appelle au « Développement d’une presse indépendante et plura- liste » (UNESCO 1991) , ce thème uploads/Politique/ 45043-texte-de-l-x27-article-69233-1-10-20191122 1 .pdf

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