Terra Nova – Note - 1/12 www.tnova.fr LA DIPLOMATIE CULTURELLE FACE AUX DEFIS C
Terra Nova – Note - 1/12 www.tnova.fr LA DIPLOMATIE CULTURELLE FACE AUX DEFIS CONTEMPORAINS Par Sophie Claudel, Alain Fohr et Alexis Tadié1 Le 27 mars 2017 La diplomatie culturelle a un rôle important pour faire contrepoids aux forces qui menacent aujourd’hui les démocraties. La France, dans ce domaine, dispose de réels atouts, dont sa longue histoire et la couverture de son réseau. Mais, pour jouer ce rôle, cinq pistes de travail sont à investir : 1. La diplomatie culturelle française n’a pas pour but d’exporter une image prestigieuse de la France mais de fonder son mode opératoire sur la création de nouvelles façons de collaborer qui prennent en compte les spécificités de chacun. 2. L’adaptation aux contextes locaux – à l’opposé d’une approche centralisée – est essentielle. La diplomatie culturelle ne peut faire l’objet d’une vision lissée ou centralisée des relations internationales. Il faut remettre au centre des méthodes de travail la diversité des points de vue de nos interlocuteurs étrangers : la vision doit donc émerger du terrain. 3. Si les moyens du réseau ne peuvent être dissociés du Quai d’Orsay, alors il faut que le Ministère des Affaires Etrangères définisse sa vision à long terme de la politique culturelle étrangère, sans dilution des responsabilités avec d’autres ministères. Il ne s’agit pas d’exclure les expertises qui peuvent la nourrir mais il faut un capitaine à bord, qui invente une « politique culturelle étrangère » fondée sur des contenus précis et ambitieux par zone géographique. 4. Une répartition réfléchie et structurée entre action bilatérale et interventions multilatérales permettrait à la France de faire entendre sa voix tout en jouant une 1 Sophie Claudel est médiatrice agréée du programme Nouveaux commanditaires de la Fondation de France pour l’Amérique du Nord ; directrice de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Dijon ; a été attachée culturelle à New York et Londres ; Alain Fohr est ancien conseiller Culturel au Mexique, en Argentine, Grèce et Espagne et en charge de plusieurs fonctions liées à la diplomatie culturelle à Paris au sein du Ministère des Affaires Etrangères et Européennes ; Alexis Tadié est professeur de littérature anglaise à l’Université de Paris Sorbonne ; a été attaché culturel en Syrie et directeur de la Maison Française d’Oxford. Terra Nova – Note - 2/12 www.tnova.fr carte collective. La création de maisons de l’Europe aux côtés d’établissements français présents dans les pays prescripteurs permettrait à la France de se faire entendre plus sûrement tout en mêlant sa voix à d’autres que la sienne. Imbriquer le bilatéral et le multilatéral permettrait aussi de mutualiser les moyens par une politique de cofinancements. 5. Le réseau culturel français à l’étranger repose principalement sur les personnes qui le composent. La question des profils, mais aussi des moyens financiers et immobiliers, doit être en accord avec deux objectifs : une vision qui émerge du terrain, et la définition d’une politique culturelle étrangère claire. Les postes culturels sont trop souvent considérés comme des variables d’ajustement, comme si leur portée ne devait jamais avoir grande incidence. Terra Nova – Note - 3/12 www.tnova.fr Historiquement, la France fut un pays précurseur en matière d’affaires culturelles extérieures. Son engagement politique dans ce domaine remonte en effet à 1883, date de la création de l’Alliance Française de Paris, puis au début du XXe siècle avec le « Service des Œuvres à l’étranger ». De la fin du XIXe siècle à la seconde moitié du XXe siècle, elle a créé une multitude de centres culturels et de postes partout dans le monde. On peut dire qu’à cette époque et sur ce sujet notre pays a su être visionnaire. Cette initiative fut suivie par de nombreuses actions similaires de la part d’autres pays, européens en particulier. Similaires en apparence seulement, car, contrairement à notre pays, leur objet n’était pas de défendre leur langue ni d’affirmer l’excellence de leur culture. De fil en aiguille, plus de 130 ans plus tard, le réseau culturel français à l’étranger est toujours un des plus étendus, que ce soit en personnel ou, dans une moindre mesure, en nombre de services culturels et de structures dans le monde. La spécificité de ce réseau réside toujours dans sa diplomatie de terrain (malgré des moyens en baisse) et dans sa dimension de politique publique. On peut dire que ce réseau connaît aujourd’hui un essoufflement lié à la fois à son âge, à sa taille et à sa diversité. Les dernières crises financières n’ayant pas aidé, les financements s’appauvrissent et les personnels sur place le vivent, suivant les zones géographiques, assez mal. Un certain nombre d’alertes se font entendre ces dernières années, aussi bien en interne, dans les nombreux rapports commandités régulièrement par les pouvoirs publics 2, que dans la presse parfois peu tendre avec ce réseau. Cependant, avant de fustiger la seule contraction régulière des budgets 3, on est en droit de s’interroger sur un certain nombre de décisions prises ces dernières décennies, qui ont pour certaines généré des tensions. La diplomatie culturelle est un moyen d’action politique qui dispose d’une liberté d’expression que les autres outils diplomatiques ne peuvent adopter sans prendre de risques. Les querelles de chapelle en interne voient régulièrement s’opposer, d’un côté, les « cultureux » purs et durs, qui revendiquent un rattachement complet ou partiel au ministère de la culture, jugeant que cette tutelle serait plus en phase avec leur périmètre d’action, et de l’autre, les diplomates dits « de carrière » pour qui la diplomatie culturelle n’est par moment qu’une variable d’ajustement. Certains y font un saut de puce au cours de leur carrière quand le poste est prestigieux, d’autres y prennent goût sans pour autant prendre le risque de se « spécialiser » malgré eux dans cette voie qui n’est pas leur cœur de métier. La centralisation de plus en plus souhaitée et mise en place par l’avènement de l’Institut Français à Paris (précédemment Afaa, puis Culturesfrance) accentue les tensions, sur certains sujets en particulier. Il prend volontiers exemple sur le British Council ou le Goethe Institut, mais il n’en a ni les marges de manœuvre (ces deux derniers sont des agences juridiquement autonomes qui assurent le 2 Un des derniers rapports en date, « Le réseau culturel de la France à l’étranger », a été commandité par la Cour des Comptes en octobre 2013. Il pointe une « érosion de ses moyens de financement », ainsi que des difficultés liées à ses ressources humaines et aux « insuffisances de son pilotage et de ses opérateurs ». 3 Pour citer les chiffres les plus récents selon le site du Sénat (www.senat.fr) : - 4% au titre de la « diplomatie culturelle et d’influence » entre 2016 et 2015. Terra Nova – Note - 4/12 www.tnova.fr pilotage de leurs structures ou de leurs représentations à l’étranger en toute indépendance, ce qui n’est pas le cas du réseau culturel français), ni les objectifs (les Britanniques et les Allemands ne sont pas centrés sur la défense de leur langue ou de leur culture à l’étranger : ils n’adoptent ni attitude offensive ni attitude défensive). Les nuances sont parfois subtiles mais le diable est dans les détails : il y a une erreur d’aiguillage qui se ressent à plusieurs niveaux. En outre, la centralisation de la politique culturelle extérieure dans les mains d’un opérateur unique avec plusieurs tutelles lui fait courir un risque d’uniformisation, exacerbant à la fois sa tendance à postuler la supériorité d’un supposé « modèle culturel français », et un ethnocentrisme qui nous ferait oublier que nos interlocuteurs, et les publics à qui on s’adresse sur place, sont extrêmement variés et n’expriment pas tous la même attente. En aucun cas nous ne pouvons répondre de la même manière, ni sur la forme ni sur le fond, sur les territoires africains, asiatiques, occidentaux… sans risquer de nous perdre. La France contemporaine a un étrange rapport à l’international, étant très facilement une terre d’accueil de toutes les cultures du monde tout en ayant des difficultés à exporter la sienne sur d’autres territoires. Un article récent 4 s’inquiétait de la recrudescence des recrutements de commissaires d’exposition de l’Hexagone dans des musées américains. Ce que l’article oubliait de dire, c’est que les commissaires d’exposition non américains - Britanniques, Allemands, Suisses, Espagnols, Australiens… - sont depuis longtemps nombreux dans les musées aux Etats-Unis. Il ne s’agit pas tant d’une supposée « fuite des cerveaux français » mais à l’évidence d’un retard dans notre capacité à exporter certains de nos savoir-faire, comparativement à d’autres pays. Comment la diplomatie culturelle peut-elle naviguer entre finalité politique et finalité culturelle ? Comment gérer la dichotomie entre devoir de réserve, contraintes diplomatiques et liberté d’expression ? Comment rectifier le tir de la centralisation réductrice générée ces dernières années par des opérateurs uniques à Paris face à la diversité toujours grandissante de nos interlocuteurs étrangers sur le terrain ? Comment trouver l’équilibre entre bilatéral et multilatéral ? Comment intégrer la perspective européenne sans craindre de s’oublier un peu ? Comment intensifier notre présence sur le terrain, principale force de notre réseau, en développant uploads/Politique/ la-diplomatie-culturelle-face-aux-d-fis-contemporains-copie.pdf
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- Publié le Sep 05, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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