LA POLITIQUE AFRICAINE DE LA FRANCE par Roland ADJOVI (*) Les relations entre l

LA POLITIQUE AFRICAINE DE LA FRANCE par Roland ADJOVI (*) Les relations entre la France et l’Afrique ont fait l’objet de nombreuses études qui ont ceci de commun, qu’elles mettent l’accent sur une tendance bilatérale (France-Afrique) historique qui se maintient plutôt bien. Ce bila- téralisme s’explique par l’histoire coloniale et par des indépendances octroyées qui n’ont pas modifié les liens particuliers entre la métropole et les colonies. De sorte que la France a gardé un œil de gendarme, de père, de grand frère... sur la scène politique africaine, ce qui a fait dire à Anatole Ayissi, qu’il s’agit de relations familiales ou sentimentales où la rationalité est difficile à percevoir (1). C’est en ce sens que Jacques Godfrain disait à l’Université Senghor, qu’« il est impossible à quiconque de servir l’Afrique s’il n’existe aucun lien qui dépasse la rationalité » (2). Aujourd’hui la société internationale est caractérisée par une mondialisa- tion qui n’est pas qu’économique. Elle apparaît évidemment dans les rela- tions économiques avec l’extension du libre marché et la fin de la bipolarité. Mais elle s’applique aussi aux relations juridiques (3). Elle est également sociale avec les migrations, notamment vers les pays du Nord qui peaufi- nent chaque jour le contrôle à leurs frontières et leur législation relative aux émigrés (4). Cette mondialisation n’épargne pas les relations entre la France (*) Doctorant en droit public et ATER à l’Université Panthéon-Assas (Paris II). (1) Anatole Ayissi, « Une perception africaine de la politique étrangère de la France », Annuaire Français de Relations Internationales, volume I, 2000, pp. 373-389. (2) Propos tenus au Caire le 13 avril 1999, durant une conférence sur les relations franco-africaines, cf. <http://www.refer.org.eg/usenghor/textintegral/conferences/godfrain/godfrain.htm >. (3) Les transactions transnationales ayant énormément augmenté, les différends transnationaux ont pris aussi de l’ampleur. Voir par exemple Eric Loquin et Catherine Kessedjan (dir.), La Mondialisation du droit, Paris, Litec, 2000, Université de Bourgogne, CNRS, Travaux du Centre de recherche sur le droit des marchés et des investissements internationales (CREDIMI), volume 19, 612 p.; Robert Charvin, Relations internatio- nales, Droit et Mondialisation. Un monde à sens unique, Paris, L’Harmattan, 2000, collection Logiques Juridi- ques, 344 p. Voir aussi la dernière parution (année 2000) de la collection Cours et Travaux de l’Institut des Hautes Etudes Internationales (Université Panthéon-Assas, Paris II), chez Pedone, Droit International 4, où les deux cours (David Kennedy, « Les clichés revisités, le droit international et la politique », et Philippe Sands, « Vers une transformation du droit international? Institutionnaliser le doute ») traitent aussi partiel- lement de mondialisation. (4) C’est le cas entre les Etats européens parties aux accords de Schengen qui créent un système informa- tique unique de gestion des aller et venir des étrangers. et l’Afrique, puisque le caractère bilatéral que nous relevions ne permet plus à lui seul d’appréhender ces relations (5). En effet, la politique africaine de la France connaît quelques évolutions qui se sont accentuées durant les années 1999 et 2000, à deux égards. D’abord la France s’intéresse à plus de pays hors du champ classique (stric- tement francophone) avec l’établissement d’une nouvelle catégorisation (6). Ensuite la France affiche une réelle volonté d’inscrire ses relations dans un cadre multilatéral, et ce développement constitue aussi une nouveauté, sans que la logique traditionnelle n’en pâtisse fondamentalement. Une logique traditionnelle de relation bilatérale Les relations France-Afrique s’inscrivent ordinairement dans un cadre bilatéral (7), c’est-à-dire entre la France et un pays africain à la fois. Après les indépendances, cette coopération bilatérale s’inscrivait dans un contexte exclusivement francophone et sur des bases intuitu personae. Aujourd’hui cette exclusivité francophone n’est plus, et des pays non francophones entrent dans la politique africaine de la France, notamment le Nigeria et l’Afrique du Sud (8) parmi les anglophones, et Sao Tomé et Principe parmi la politique africaine de la france 427 (5) D’ailleurs la présentation faite par le ministère des Affaires étrangères fait aussi état de cette évolu- tion. Voir <http://www.diplomatie.fr/acutal/dossiers/polafricaine.index.html >. On peut y lire que la France, qui entend rester fidèle à ses partenaires traditionnels, notamment francophones, s’ouvre plus que jamais sur l’ensemble de l’Afrique. Le ministre des Affaires étrangères rapporte aussi cette mutation d’abord dans son article « Droit d’ingérence, démocratie, sanctions. Refonder la politique étrangère française », Le Monde diplo- matique, décembre 2000, p. 3; puis dans son dialogue avec Dominique Moïsi, Les Cartes de la France à l’heure de la mondialisation, Paris, Fayard, 2000, pp. 120-124. (6) Depuis février 1998, il y a dans la politique française de coopération des zones de solidarité prioritaire définies comme l’ensemble des pays avec lesquels la France « entend nouer une relation forte de partenariat dans une perspective de solidarité et de développement durable », cf. définition inscrite sur le site du ministère des Affaires étrangères <http://www.france.diplomatie.fr/cooperation/ressourc–htm/zsp/zsp00.html >. Pour une carte des pays faisant partie de cette nouvelle catégorie, voir : <http :// www. france. diploma- tie.fr /cooperation/ressourc–htm/zsp/zsp03.html>. L’inscription d’un Etat (ou sa désinscription) dans cette catégorie résulte d’une décision prise en comité interministériel pour la coopération internationale et le déve- loppement créé en 1999 (cf. Albert Bourgi, « Afrique. Le grand tournant de la politique française », Ramsès 2001, p. 210). Voir pour la liste des pays fixée le 29 janvier 1999, Politique étrangère de la France, janvier- février 1999, p. 261. (7) L’actualité de ce bilatéralisme transparaît dans la survivance de différents accords entre la France et des pays africains, comme Djibouti avec lequel des conventions d’assistance technique et financière ont été signée en janvier 1999, cf. Politique étrangère de la France, janvier-février 1999, pp. 108-110. Voir aussi entre la France et le Maroc <http://www.diplomatie.fr/actual/evenements/maroc2/ maroc3.html> ou la Tunisie <http://www.diplomatie.fr/actual/evenements/tunisie/presentation.html >. La survivance de ce bilatéralisme apparaît aussi dans l’activité de différentes commissions mixtes entre la France et certains pays africains comme le Burkina-Faso (voir Politique étrangère de la France, mars-avril 1999, 42-43) et Madagascar. (8) Ainsi Jacques Chirac, durant sa récente visite à Conakry, disait que la politique africaine de la France était caractérisée par « la fidélité à ses amitiés anciennes, mais également par une ouverture nouvelle à des pays avec lesquels elle n’avait que peu de relations, et c’est le sens qu’il faut donner, par exemple, à ma visite au Nige- ria. », Politique étrangère de la France, 1999, juillet-août, p. 65. En ce qui concerne le Nigeria en particulier, voir la déclaration du porte-parole du Quai d’Orsay du 10 février 2000, relative à la visite du président Oba- sanjo à Paris, sur le site du ministère à la rubrique Actualités <http://www.diplomatie.fr/actualite/>. les lusophones (9). Cette approche d’une logique traditionnelle de bilatéra- lisme prend en compte cette évolution, et s’articule autour de trois volets qui sont interdépendants mais qui, pour les causes de l’analyse, seront appréciés distinctement. Il s’agit de la sécurité, des questions politiques et économiques. Les questions de sécurité La coopération française en Afrique pour la sécurité des Etats africains se fonde sur deux éléments : la défense des Etats et la résolution des conflits (10). En matière de défense des Etats, il y a, à la base, les accords de défense et les accords de coopération militaire technique (11). L’évolution réside dans la désuétude de ces deux types d’accord. Car, d’une part, les références aux premiers se font de plus en plus rares même si certains sont encore vigueur (12). Tandis que, d’autre part, l’importance des seconds diminue depuis quelques années avec la réduction du nombre des coopérants, des forces prépositionnées – dans le cadre de la professionnalisation de l’armée française –, et des stagiaires militaires africains en France. Cette situation nouvelle permet de faire place à des concepts innovants dont le Recamp (13). Désormais la politique française en matière de sécurité en Afrique s’at- tache fortement au maintien de la paix et de la sécurité régionale. La France a choisi de renforcer les capacités africaines de maintien de la paix : il s’agit de former des unités au sein des armées africaines au maintien de la paix et de la sécurité essentiellement régionales, pour un déploiement en cas de conflit. Cette évolution, après une rivalité avec différents autres projets, a trouvé aujourd’hui un terrain d’entente qui ne l’enferme plus dans un cadre strictement francophone puisque des pays anglophones et lusophones y par- roland adjovi 428 (9) Le président de Sao Tome a même effectué une visite officielle en France en mai 2000. Voir sur le site du ministère des Affaires étrangères à la rubrique Actualités <http://www.diplomatie.fr/actualite/>. De plus Sao Tome et Principe fait partie de l’Organisation Internationale de la Francophonie depuis le sommet de Hanoi. (10) Pour une autre analyse récente de ces questions de coopération militaire, voir Jacques Norlain, « Politique militaire de la France en Afrique », Défense nationale, juin 2000, 118-125. (11) Sur ces questions, voir par exemple la thèse de Dominique Bangoura, Le facteur militaire et la sécu- rité en Afrique : un problème national, régional et international, Université de Strasbourg III, octobre 1987, 3 tomes. Voir aussi l’ouvrage du Secrétariat général de la Défense nationale sur Sécurité collective et crises internationales, actes des journées d’études de Toulon, Paris, La uploads/Politique/ la-politique-africainede-la-france.pdf

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