Politique d’Hernani, ou libéralisme, romantisme et révolution en 1830 Hernani e
Politique d’Hernani, ou libéralisme, romantisme et révolution en 1830 Hernani en Juillet Dans la mémoire collective la bataille d’Hernani est associée à la révolution de Juillet. Mais cela résulte d’une erreur : la pièce a été écrite presque un an avant, du 29 août au 24 septembre 1829, et représentée du 25 février au 22 juin 1830. Sans doute certains développements de la préface peuvent-ils avoir quelque chose de prémonitoire, en particulier l’identification du romantisme au libéralisme et surtout l’hymne à « cette élite de jeunes hommes, intelligente, logique, conséquente, vraiment libérale en littérature comme en politique, noble génération qui ne se refuse pas à ouvrir les deux yeux à la vérité et à recevoir la lumière des deux côtés »1 : ce sont ces jeunes gens qui bientôt monteront sur les barricades et à qui Hugo dédiera le 19 août 1830 dans le Globe son ode « À la jeune France »2. En réalité, c’est une illusion rétrospective : Hernani est une pièce de la Restauration, quel que soit le point de vue que l’on adopte, génétique ou sociocritique. Ce rappel est indispensable à nos yeux pour éviter contresens et équivoques. Contresens sur la signification et la portée de la pièce, équivoques sur ses enjeux et ses implications. Rien n’interdit assurément de lire le drame de Hugo en le déshistorisant, si ce n’est que ce n’est pas alors le drame de Hugo ayant pour titre Hernani qu’on lit, mais une espèce de fantasme textuel et littéraire sans rapport avec la réalité, c’est-à-dire sans rapport avec l’historicité de l’œuvre. C’est dans le domaine idéologique et politique que les risques de telles lectures sont les plus importants. Ils consistent principalement, à la suite de l’association entre Hernani et Juillet, à projeter une interprétation révolutionnaire sur la pièce, par exemple, en faisant du héros un représentant du peuple. C’est ce que fait, de manière exemplaire, si l’on peut dire, Antoine Vitez, dans une préface à Hernani qu’il donne deux ans après une extraordinaire mise en scène du drame de Hugo, qui renouvelait de fond en comble la pièce. On y lit à la dernière page les deux paragraphes suivants : 1Hugo, Œuvres complètes, édition chronologique publiée sous la direction de Jean Massin, Club français du livre, 1967-1971, t. III, p. 924. (Nos références à cette édition seront désormais désignées par le sigle M, suivi de la tomaison et de la pagination.) 2Cette ode sera reprise en 1835 pour constituer le poème liminaire des Chants du Crépuscule, sous le titre de « Dicté après Juillet 1830 ». En cette occasion Hugo fera disparaître la note qui accompagnait l’ode en dans la préoriginale de1830 (M, III, 391, n. 1). Cette note était elle-même précédée d’une note dont Sainte-Beuve revendique la paternité (M, IV, 1190-1191). Sans que le texte de l’ode ait été sensiblement modifié de 1830 à 1835, sa signification s’est cependant infléchie. Le triomphalisme de l’ode « À la jeune France » est pour le moins estompé dans Les Chants du Crépuscule. « Je suis une force qui va » […]. Mais qui est-il, ce personnage, qui sous des noms changeants revient dans l’œuvre du poète ? Hernani, Gennaro, Jean Valjean, Didier, Gavroche ou Ruy Blas, toujours son origine est inconnue, ou cachée, toujours il se bat contre les Grands de la terre ; et, ne sachant d’où il vient, il ne sait où il va. Il est le Peuple, et le mystère du Peuple. Hugo a fait entrer là, pour la première fois, une nouvelle figure dans la famille qui comptait déjà les rois et les princes, les reines adultères et les esclaves rebelles. Le Peuple est maintenant sur le théâtre, il faut compter avec lui, il est imprévisible et furieux, on le croit méchant alors qu’il est blessé dès sa naissance ; sa bâtardise est sa noblesse3. Pour brillante qu’elle soit, cette interprétation est totalement intenable. Rapprocher Hernani de Gavroche et de Jean Valjean comme figure du peuple va à l’encontre du texte de Hugo, indépendamment de l’anachronisme impossible que suppose ce rapprochement lui-même. Néanmoins elle a l’immense mérite de désigner l’un des éléments essentiels du drame, son caractère constitutivement politique. Même si la question du peuple, d’un point de vue dramatique, ne se pose aucunement dans Hernani, elle participe cependant, à la marge, au moins comme expression métonymique de la révolution dans la préface, d’une interrogation problématique sur le pouvoir et sur sa représentation dramatique. Nous nous proposons donc d’étudier comment dans Hernani le pouvoir est l’objet d’une problématisation critique de la part de Hugo, et pour cela nous nous placerons délibérément au tournant de 1829-1830, lorsque la pièce est écrite, puis portée à la scène. Notre orientation sera de nature sociocritique, en ce sens que nous nous efforcerons, non pas de mettre au jour l’idéologie dont procède la pièce de Hugo, mais de montrer de quelle manière, par le biais de la métaphore et de la fiction, Hugo formule une interrogation politique sur la France et la royauté en cette fin de restauration. * Socialité du pouvoir Nous dresserons tout d’abord un état des lieux du politique dans Hernani, et nous commencerons par lever l’hypothèque populaire. Le peuple ? Il n’existe pas, du moins comme sujet. C’est uniquement la bande de montagnards du bandit Hernani, 3Antoine Vitez, Préface à Hernani, Le Livre de Poche, 1987, p. 8. significativement massacrée à la fin de l’acte II. Ils ne sont que des figurants ; dans la liste des personnages, ils sont mentionnés à la dernière ligne dans un complet pêle-mêle social : « Montagnards, Seigneurs, Soldats, Pages, Peuple, etc. » Il en restera quelques- uns en vie parmi les conjurés de l’acte IV, mais ce n’est qu’une force d’appoint, destinée surtout à être graciée par le nouvel empereur, menu fretin que l’on épargne et qui ne mérite pas l’honneur de la décapitation. Hernani est apparemment l’un d’entre eux, il est vrai, mais il s’en sépare avec panache et orgueil, lorsqu’il revendique son identité aristocratique de Jean d’Aragon et réclame de partager le sort des conjurés nobles : – Silva ! Haro ! Lara ! gens de titre et de race, Place à Jean d’Aragon ! ducs et comtes, ma place ! (IV, 4) Cette intervention héroïque n’est pas qu’un coup d’éclat ; elle s’inscrit très précisément dans un contexte politique qui est celui du monde d’Hernani, où le peuple n’a aucune place. Ce monde est politiquement partagé entre deux pouvoirs, celui du roi et celui des seigneurs féodaux. On en est au moment de l’histoire européenne où celui- là est en train de s’imposer contre ceux-ci. Un siècle plus tard l’autorité royale l’aura définitivement emporté sur l’ancien ordre féodal, ainsi que le consignera Hugo lui- même dans la préface de Ruy Blas : « […] dans Hernani, comme la royauté absolue n’est pas faite, la noblesse lutte encore contre le roi, ici avec l’orgueil, là avec l’épée ; à demi féodale, à demi rebelle »4. Représentant exemplaire dans Hernani de cette noblesse féodale, don Ruy Gomez. Il est reclus dans son château fort, ce qui le fait soupçonner au roi de contester son pouvoir. Lorsqu’il trouve la porte verrouillée à l’acte III, il a ces mots significatifs : Ah ! vous réveillez donc les rébellions mortes ! Pardieu ! si vous prenez de ces airs avec moi, Messieurs les ducs, le roi prendra des airs de roi ! Et j’irai par les monts, de mes mains aguerries, Dans leurs nids crénelés tuer les seigneuries ! (III, 6) C’est la réaction typique d’un monarque absolu contre un frondeur ou un ligueur, un féodal qui jadis encore devait contester son pouvoir, et qui le conteste encore d’ailleurs en s’affiliant à une conspiration nobiliaire. Toute une bonne partie d’Hernani peut se 4M, V, 674. lire dans une telle perspective, et tout spécialement, bien entendu, cet épisode de la conspiration qui occupe la seconde moitié de l’acte III et l’essentiel de l’acte IV. C’est un « ramas » (IV, 1), pour reprendre le mot de don Carlos, d’aigris et d’envieux, obéissant à des motivations personnelles. Dans le meilleur des cas, celui de don Ruy, on supposera, indépendamment de son animosité contre un roi qui lui a enlevé sa fiancée, que c’est par fidélité à un ordre de valeurs qui lui sont chères, comme le respect de la parole donnée, le culte des ancêtres, la fidélité au nom et à l’honneur, etc. qu’il agit. En cela il est le premier de ces très nombreux vieillards héroïques (Barberousse et Job, Elciis, Fabrice, Onfroy, par exemple) qui symbolisent chez Hugo un temps historique aujourd’hui disparu, dont ils ne sont plus que les survivants ou les débris. À cette attitude morale est liée très profondément toute une conception de la féodalité, du moins dans l’imaginaire de Hugo. Il ne faut pourtant pas continuer sur cette voie, parce que la féodalité n’est pas exclusivement une attitude morale de vieillard, et que don Ruy Gomez n’est pas le seul à être un féodal dans la pièce. Il y en a un uploads/Politique/ laforgue-politique-de-hernani 1 .pdf
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- Publié le Dec 16, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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