LE THÉÂTRE FACE AUX DICTATURES : LUTTES, TRACES, MÉMOIRES (Argentine, Brésil, C
LE THÉÂTRE FACE AUX DICTATURES : LUTTES, TRACES, MÉMOIRES (Argentine, Brésil, Chili, Uruguay) 1 SOMMAIRE Introduction par Florencia Dansilio, Bérénice Hamidi et Alexandra Moreira da Silva Première partie LUTTES Corentin Rostollan-Sinet, « Teatros desaparecidos : réécrire l’histoire du théâtre chilien et ses itinéraires en dictature » Luciana Scaraffuni, « Liminalité, radicalité et subversion du théâtre indépendant en Uruguay de 1968 à 1984 » Thiago Arrais, « Identité, modernité et critique dans le théâtre brésilien pré-dictature » Tommy Vidal, « Tensions et transformations. Le théâtre au Brésil aux prises avec la dictature militaire » Sandra Ferreyra, « Le théâtre argentin au temps de la dictature. Ricardo Monti et les fantasmagories de l’histoire » Andres Grumann Sölter, « Violence et pratiques du corps : la « mise en scène » des acciones de arte sous la dictature civico-militaire chilienne ». Deuxième partie TRACES Florencia Dansilio, « Le théâtre post-dictature en Argentine : rupture, hétérodoxie et émancipation » Baptiste Mongis, « Le théâtre communautaire argentin : un monde en mouvement » José da Costa, “Le sens en débat : théâtre brésilien - années 1980”. Clara de Andrade, « Le Théâtre de l’Opprimé d’Augusto Boal : de l’exil aux réseaux transnationaux » Célia Jesupret, « Institutions théâtrales de la post-dictature et nouveau projet démocratique au Chili (1990-2003) » Lorena Saavedra, « Le début d’un tournant politique ? Le théâtre de la transition démocratique chilienne, du texte à la scène » 2 Inès Stranger, « Les premières années de la Compagnie Teatro del Silencio et l’imaginaire de la transition politique chilienne » Troisième partie MÉMOIRES Joana Sanchez, « Des dramaturgies de la crypte : traumatisme et postmémoire dans le théâtre argentin de post-dictature » Gonzalo Toledo, « Théâtre mapuche, théâtres de l’immigration : les sujets et dramaturgies marginalisés du théâtre chilien post-dictature » Gustavo Guenzburger, « Néolibéralisme et modes de production théâtrale au Brésil : de la post-dictature au néofascisme » Denise Cobello, « De l’utopie réaliste à l’action performative: notes sur l’esthétique comme pensée politique dans le théâtre de Lola Arias » Maximiliano de la Puente, « Campo de mayo. Une conférence performative. Affections et spatialités en friche dans le théâtre argentin » Entretiens « Un lieu où l’utopie se faisait présente » : entretien avec Óscar Castro Ramírez, réalisé par Corentin Rostollan-Sinet et Bérénice Hamidi « Pour rendre à la scène sa fragilité » : entretien avec Vivi Tellas, réalisé par Florencia Dansilio. “XXX” Entretien croisé Alexandre dal Farra et Santiago Sanguinetti, par Célia Jésupret, Alexandra Moreira da Silva et Corentin Rostollan-Sinet 3 INTRODUCTION L’histoire socio-politique des pays du Sud de l’Amérique latine s’est caractérisée, depuis le milieu du XXe siècle, par une série de cycles de révolutions et de contre-révolutions. S’il existe une pluralité de définitions du « Cône Sud » et si ses contours géographiques varient selon les angles d’analyse, cette dénomination permet de caractériser les trajectoires politiques proches qu’ont connu, au-delà des spécificités propres à chaque configuration nationale, quatre pays. L’Argentine, le Brésil, le Chili et l’Uruguay ont en commun d’avoir été successivement marqués par les effervescences révolutionnaires des années 1960 dans un contexte international structuré par la guerre froide, puis par leur répression par une série de coups d’État soutenus par les États-Unis1, aboutissant dans les années 1970 à la mise en place de dictatures militaires qui, après une décennie de pleine force se sont étiolées la décennie suivante2, jusqu’à une phase dite de transition (1983-1990), elle-même suivie, depuis le retour à des régimes jugés démocratiques3, d’un nouveau mouvement de va-et-vient, entre le retour de la gauche dans les années 2000 et celui de la droite autoritaire dans les années 20104. Ce contexte politique a eu une influence décisive sur l’activité artistique et en particulier théâtrale dans ces pays. D’abord, pendant les dictatures, par la manière dont certaines libertés fondamentales comme l’usage de l’espace public et la liberté d’expression ont été entravées. Après les dictatures, ensuite, du fait de leurs traces persistantes dans l’espace politique, institutionnel, social et donc aussi artistique, qu’il s’agisse par exemple du rapport à l’État et donc aux politiques culturelles ou à la frontalité de la parole politique. Dans ces quatre pays, après un coup d’État militaire (1964 au Brésil, 1973 au Chili et 1973 en Uruguay, 1976 en Argentine), les artistes ont de fait dû composer avec des régimes autoritaires, dont la volonté claire était l’imposition brutale d’une politique anti-communiste de « retour à l’ordre » de la société. Pour certain·e·s, ce fut l’exil, pour d’autres, l’arrestation, la détention et la torture ; d’autres purent continuer à créer, constituant ainsi des espaces de clandestinité et de résistance. Près de quarante ans plus tard, nombreux sont les fantômes de ces régimes, et le présent politique des pays concernés ne cesse de convoquer les questions que les politiques transitionnelles ont laissées irrésolues. Preuves en sont, aussi, les élections récentes dans nombre de ces pays de leaders de la droite à la Présidence - Mauricio Macri en Argentine, Sebastián Piñera au Chili, Jair Bolsonaro au Brésil et Luis Lacalle Pou en Uruguay -dont les projets politiques entrent en conflit ouvert avec les politiques de la mémoire entamées après la transition, au moment du retour de la gauche au pouvoir. Aucune recherche d’ensemble n’avait été jusqu’ici menée pour investiguer cet espace- temps singulier dans une approche d’une part attentive tout à la fois aux logiques d’ensemble du Cône Sud et aux différences internes du fait de spécificités propres à chaque pays qui le constitue, et d’autre part soucieuse d’articuler les enjeux esthétiques, institutionnels et 1 Je remercie Rafaella Uhiara pour son aide linguistique dans la rédaction de cet article en français. 2 Franck Gaudichaud, Operación Cóndor. Notas sobre terrorismo de Estado en el Cono Sur, Madrid, Sepha,, 2005. 3 Jean-Marc Coicaud, L’introuvable démocratie autoritaire. Les dictatures du Cône Sud: Uruguay, Chii, Argentine (1973-1982), Paris, L’Harmattan, 1996. 4 Alain Rouquié, A l’ombre des dictatures. La démocratie en Amérique Latine, Paris, Albin Michel, 2010. 4 économiques. C’est l’enjeu de cette publication qui entend penser à la fois le temps des dictatures, ceux qui ont précédé et les contextes post-dictature. Ce parti pris implique de s’attacher d’abord à investiguer les formes et les conditions d’existence des espaces critiques qui ont pu être maintenus ou s’ouvrir durant ces années. Quelles pratiques du théâtre ont été possibles sous les dictatures ? Selon quelles stratégies esthétiques mais aussi économiques vis-à-vis des régimes en place ont-elles pu rester en vie ? “L’après-dictature” inclut pour sa part deux temps distincts. La transition, d’abord, moment de libération de la parole dans certains pays, mais aussi, dans d’autres, d’installation d’une omertásociale, d’une politique du silence, de l’oubli, du pardon5. Quelles reconfigurations ou réinventions des pratiques artistiques se sont opérées durant ces années, dans des contextes économiques et politiques autant marqués par des éléments de rupture que par des « restes » des régimes autoritaires ? La période plus récente est souvent associée à l’idée d’un tournant démocratique de la région, même si la situation immédiatement contemporaine invite à nuancer cette idée. Les traces de ce passé politique, institutionnel, social, économique et culturel dans les pratiques théâtrales qui se sont développées à partir des années 2000 sont manifestes, mais elles restent à décrire et à analyser dans une perspective comparatiste. Depuis les débats sur la transmission des mémoires des dictatures et leur restitution jusqu’aux discours critiques dénonçant les continuités économiques entre les régimes autoritaires et les démocraties néolibérales actuelles, la question de l’héritage des dictatures du Cône sud est centrale dans nombre de créations récentes des théâtres de cet espace. Les textes réunis dans la première partie du livre, intitulée « Luttes », montrent à quel point le théâtre, et en particulier le théâtre militant, a joué un rôle majeur non seulement dans la lutte sociale contre la répression exercée par les dictatures militaires du Cône Sud mais aussi dans le déploiement d’un certain nombre de pratiques théâtrales que les différents régimes autoritaires auraient essayé d’effacer, et que l’histoire du théâtre aurait eu parfois tendance à minorer. Corentin Rostollan-Sinet retrace ainsi quatre itinéraires parallèles du théâtre national chilien post-73 : celui des théâtres indépendants et des théâtres universitaires en dictature d’une part, et celui des théâtres populaires, d’autre part. Il montre comment ces théâtres disparus non-professionnels de la dictature chilienne se sont souvent reconfigurés en espaces « clandestins » d’action et de lutte, développés dans les camps de concentration et recomposés, à partir de 1976, en exil. L’article évoque, entre autres, le parcours singulier de l’artiste chilien Oscar Castro (Teatro Aleph, 1974) – parcours qu’il a eu l’occasion de reprendre dans l’entretien que l’artiste chilien lui a accordé et que nous publions à la fin de ce volume. Si cette continuité, qui de toute évidence vient combattre le paradigme d’un « blackout » culturel entre 1973 et 1976, renforce les liens entre théâtre et politique, elle témoigne aussi d’une puissante force inventive et subversive qui nous permet, comme le fait l’auteur, de remettre en question l’acceptation d’une discontinuité de l’histoire du théâtre chilien pendant la dictature. Cette persistance de uploads/Politique/ le-the-a-tre-face-aux-dictatures 1 .pdf
Documents similaires
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 17, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
- Taille du fichier 0.8068MB