Les politiques linguistiques européennes et la gestion de la diversité des lang

Les politiques linguistiques européennes et la gestion de la diversité des langues en France Jean-Claude Beacco et Kenza Cherkaoui Messin EA 2288 : Didactique des langues, des textes et des cultures (DILTEC), Université Paris III La gestion des relations entre les langues d’un territoire, entre elles et avec les espaces linguistiques contigus ainsi qu’avec les langues nouvellement apportées, est de nature foncièrement politique dans les états-nations modernes : elle relève largement de l’autorité de l’Etat (politique au sens de policy ) mais aussi des entités en compétition pour l’accès aux responsabilités collectives (politique au sens de politics) : partis politiques, associations et groupements de citoyens, familles (où sont prises des décisions relatives au choix des langues à utiliser dans le cercle intime ou à apprendre)… sont les principaux acteurs de ces débats (Spolsky, 2004 : 39-56). Dans les formes étatiques démocratiques, on ne peut légiférer en matière de langue qu’en ce qui concerne la communication entre les citoyens et les administrations publiques (par ex. les contrats de travail, cf. loi nº 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite loi Toubon1) et non relativement à la communication entre les personnes. Mais l’institution scolaire (y compris les établissements d’enseignement supérieur) est un puissant instrument politique dans la mesure où elle assure (en parallèle ou en concurrence avec des entreprises privées) des enseignements langagiers de masse. Les choix qui y sont opérés sont déterminants pour la légitimation des variétés linguistiques, selon par exemple qu’elles sont enseignées ou non, et selon les formes d’enseignement adoptées (première langue vivante étrangère enseignée dans le cycle pré- primaire vs langue vivante 3 optionnelle, commencée dans le second cycle du secondaire). Pour examiner les « contacts » entre les langues en France, nous adopterons exclusivement la perspective du status planning2 (telle que spécifiée, en particulier, par S. Haugen dans sa formulation de 1983 (Haugen 1983 : 283), c’est-à-dire les actions explicites destinées à 1 La loi nº 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, plus connue sous le nom de Loi Toubon , du nom du ministre de la Culture à l’époque, portait tant sur le statut de la langue française (pour en renforcer l’usage face à la montée en puissance de l’anglais) que sur le code. C’est ce dernier aspect qui a le plus mobilisé l’opinion à l’époque : la réforme de l’orthographe a suscité des débats importants et été l’occasion d’une levée de boucliers de la part de puristes peu enclins à accepter l’orthographe réformée. 2 Et non dans celle du corpus planning, perspective technique relative à la « matérialité » des langues (par exemple : la graphisation, la grammatisation ou la néologie /création terminologie). 1 modifier ou à maintenir la hiérarchie des langues et leur prestige (ou absence de prestige) tels qu’ils sont construits par les représentations sociales dominantes correspondantes (Castellotti & Moore, 2002). On cherchera plus particulièrement à caractériser les incidences que peuvent sur avoir eu en France les politiques correspondantes des instances européennes (essentiellement l’Union européenne et le Conseil de l’Europe), tout en soulignant que ces matières relèvent complètement des états membres (principe de subsidiarité dans l’Union européenne) ou sont fondées sur des bases juridiques « faibles ». 1. La gestion de la diversité des langues dans une perspective nationale La gestion des langues par l’Etat, quelle qu’en soit la forme, a pour finalité essentielle de prendre en charge la diversité linguistique. Aucun espace politique n’est sociolinguistiquement homogène puisque, par exemple, les langues autochtones présentes sont multiples (Cerquiglini, 1999) et que les aires linguistiques et culturelles ne coïncident pas nécessairement avec les frontières politiques. Cette pluralité de langues, rapportée au locuteur, conduit à considérer celui-ci comme doté de la capacité d’utiliser, dans la communication sociale, une ou plusieurs variétés linguistiques (« maternelle » ou étrangère, variétés diatopiques ou diastratiques des langues officielles/standard, dialectes…). Ce faisceau de compétences forme le répertoire linguistique de chacun : « [celui-ci] est constitué par des langues différentes qu’il s’est approprié selon des modalités diverses (langue apprise dès l’enfance, acquise par suite d’un enseignement, de manière autonome3…) et pour lesquelles il a acquis des compétences différentes (conversation, lecture, écoute) à des niveaux de maîtrise eux-mêmes différents » (Beacco, 2005 : 20). Ces langues du répertoire peuvent être utilisées ensemble (alternances codiques) ou « se voir assigner des fonctions différentes plus ou moins spécialisées, comme communiquer en famille, socialiser avec les voisins, travailler, apprendre ou exprimer son appartenance à un groupe (langue identitaire)4. On sait que, dans la constitution des groupes humains, la langue constitue, avec les croyances religieuses, l’un des matériaux les plus sollicités pour l’identification différentielle. Cette appartenance à un groupe dit « ethnique » (« langue des origines ») ou à un Etat nation (« langue nationale ») a une fonction d’affichage, dans la mesure où une langue du répertoire a été sélectionnée comme symbole ou marqueur 3 Voir Boughnim., 2010. 4 Une langue peut être identitaire même si le locuteur ne la maîtrise pas. Elle peut aussi cesser de l’être et se trouver remplacée dans cette fonction par une autre langue du répertoire individuel. 2 d’identification et que celui-ci se donne se donne sur un mode unitaire, excluant toute mixité. Il reviendrait à l'Etat d'assurer démocratiquement les équilibres entre les répertoires plurilingues des groupes et entre la/les langue/s que la macro collectivité (régionale, nationale, fédérale...) utilise pour sa communication interne et ses truchements avec l’extérieur (relations avec les régions frontalières, insertion dans l'espace régional, dans l'espace européen, dans les échanges internationaux…). L’Ecole, par exemple, pourrait se voir assigner le rôle fonctionnel d’accompagner la transmission familiale intergénérationnelle des langues mais elle doit répondre en même temps au besoin de reconnaissance des locuteurs : « […] l’axe dominant n’est pas tant la redistribution [des ressources matérielles] que la reconnaissance, mais si les luttes sont toujours menées au nom d’un groupe particulier, d’une « communauté », il apparaît de plus en plus que c’est aussi en tant qu’individus singuliers et pas seulement comme membres de tel ou tel groupe que nous souffrons d’un manque de reconnaissance […] Généralisons : nous éprouvons tous le sentiment d’être stigmatisés à un titre ou à un autre, de vivre dans une société du mépris ou de la stigmatisation, d’être victimes d’un manque de respect, d’un déni et d’un déficit de visibilité » (Caillé, 2007 : 7-8). La reconnaissance officielle d’une langue étant affaire de degrés, les groupes concernés peuvent militer pour en obtenir la forme la plus élevée possible : inscription dans la Constitution, enseignement obligatoire comme matière et comme vecteur des connaissances… Dans les espaces nationaux, la gestion de la diversité des langues est souvent « protectionniste» et conservatoire : la mondialisation et les circulations migratoires5 du XXI°siècle y ont rendu plus crucial le rôle de toute politique linguistique nationale qui recherche des équilibres acceptables entre des groupes de citoyens, égaux en droits et en devoirs, donc non appréhendés dans leurs identités culturelles mais cependant culturellement divers, ceci dans le cadre d’une « identité nationale » perçue comme menacée. Par exemple, l’opinion publique souhaite dans sa majorité que les immigrants adultes ou les migrants résidents « parlent bien » la/les langue/s officielle/s ou qu’ils la parlent « comme eux ». « Ils s’attendent à ce que l’on exige des migrants adultes, quels que soient leurs besoins langagiers effectifs ou leur projet de migration, un haut niveau de compétences pour la résidence ou pour l’accès à la citoyenneté. […] La« bonne connaissance » attendue de la/des langue/s officielle/s par les adultes migrants n’est pas d’ordre fonctionnel ou pratique mais de nature idéologique, car la communication finit toujours par s’établir avec des migrants adultes, non refermés sur leur identité d’origine. Elle est plus spécifiquement de nature identitaire : on attend des 5 Dans l’espace Schengen les déplacements permanents ou temporaires des ressortissants de l’Union ne sont pas considérés juridiquement comme des migrations 3 nouveaux arrivants ou de ceux qui sont installés qu’ils « parlent bien », parce que cela est un signe de respect pour la/une langue/s de la société d’accueil et aussi une manifestation de leur assimilation, c’est-à-dire, dans ce cas présent, de leur nouvelle identité culturelle conforme à celle des nationaux » (Beacco, 2008 : 25). Ces requis identitaires ne sont pertinents que pour les adultes migrants qui souhaitent la naturalisation et non pour tous, puisque les projets migratoires sont divers. De plus tous les citoyens ne concordent pas dans la « définition » d’une identité nationale partagée ou l’appréhendent comme une réalité donnée sans la situer dans son historicité (Thiesse, 1999). Cette tendance à l’enfermement identitaire monolingue est encore active à des degrés différents en Europe, malgré les dynamiques de convergences. Et les politiques de États Nations sont souvent concurrentielles entre elles quand il s’agit de la diffusion et de la promotion de leur langue nationale comme étrangère 2. Les politiques linguistiques européennes en faveur de la diversité linguistique Les organisations intergouvernementales et internationales ne sont pas contraintes directement par les opinions publiques. Elles agissent au nom d’un mandat et uploads/Politique/ les-politiques-linguistiques-europeennes.pdf

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