CAHIERS PEDAGOGIQUES Les trois conceptions actuelles de l’autorité Par Bruno Ro
CAHIERS PEDAGOGIQUES Les trois conceptions actuelles de l’autorité Par Bruno Robbes 28 mars 2006 "Il ne s’agit pas tant d’entreprendre une restauration impossible que de chercher à savoir quelles formes d’autorité pourraient convenir à des individus, adolescents ou adultes, épris de liberté et peu soucieux de rétrograder vers des formes archaïques d’exercice du pouvoir" (Ferry (L.) (2003), Lettre à tous ceux qui aiment l’école, Paris, Odile Jacob-Scérén-C.N.D.P., p. 51). Depuis maintenant cinq années [1], le propos sur le concept d’autorité envahit tous les secteurs de la vie sociale. Il produit d’une part des discours politiques et médiatiques présentés comme des relais de l’opinion publique ; d’autre part des discours et des débats contradictoires entre les différentes disciplines des sciences humaines. Ainsi, certains philosophes, sociologues, psychologues, psychanalystes ou encore chercheurs en sciences de l’Education ébauchent une pensée alternative encore peu diffusée. À l’examen de ces différents discours, trois conceptions de l’autorité se dégagent que nous nommons « autorité autoritariste », « autorité évacuée » et « autorité éducative ». Bien que l’on puisse dater approximativement chacune d’elle, ces trois manières de penser l’autorité coexistent actuellement, s’imbriquent même très souvent dans les propos de tel responsable ou acteur social. Le parti pris autoritariste fait consensus social jusqu’à la date symbolique de 1968, même si la remise en question du principe de transcendance sur lequel il appuie sa légitimité date de la Révolution française. Les tenants de l’autorité évacuée produisent leurs discours et certaines de leurs pratiques dans les années soixante, au moment même de la crise du modèle patriarcal. Cette conception trouve aujourd’hui des prolongements dans la remise en question des normes sociales, la revendication individualiste de nombreux adultes, un certain déficit d’éducation des enfants et des jeunes dans la famille ou à l’école. Quant à l’autorité éducative, elle commence juste à émerger actuellement comme une réponse complexe mais indispensable à la transmission et à la pérennisation des idéaux démocratiques. I - L’autorité autoritariste Un certain nombre de faits politiques et de société (présence au second tour de l’élection présidentielle de mai 2002 du candidat du Front National, crimes, délits, faits divers, violences urbaines ou en milieu scolaire...) semblent donner du crédit au discours consistant à prôner la restauration de l’autorité, comme s’il s’agissait en quelque sorte de « soigner le mal par le mal ». C’est à l’autorité autoritariste que les hommes politiques, les médias et l’opinion publique font majoritairement référence lorsqu’ils emploient communément le terme « autorité ». Autrement dit, la conception autoritariste est l’autorité dans son sens commun. Le détenteur d’une fonction statutaire, d’une position institutionnelle exercice une domination sur l’autre afin d’obtenir de lui une obéissance inconditionnelle, sous la forme d’une soumission. Cette volonté de domination est volonté de détenir un pouvoir indiscuté, d’avoir une emprise totale sur l’autre dans une forme de toute puissance. Car la volonté s’impose unilatéralement, sans discussion ni explication, dans un « rapport » de force et non dans une « relation ». En l’absence d’échange et encore moins de consentement, l’autre n’est pas pris en compte comme sujet. L’autorité autoritariste a recours à différents moyens : usage de la force physique, pressions psychologiques diverses exercées sur l’individu qui jouent sur la séduction (autorité dite « charismatique »), sur la culpabilisation et le chantage à l’amour en réactivant l’angoisse d’abandon du sujet (« phénomène autorité » si bien analysé par Gérard Mendel (1971) ), manipulations exercées sur le groupe en utilisant la double injonction (tantôt le sentiment d’appartenance et de loyauté entre pairs, tantôt la défiance, la division, les rivalités et la compétition (Brunel, 1991) ). L’autorité dite « naturelle » est à ranger dans cette catégorie. Représentation encore vivace dans la profession que l’enseignant construit à partir d’une perception nostalgique de son vécu d’élève, notre recherche montre qu’elle est paradoxalement une autorité qui ne s’exerce pas. Plus précisément, elle survient à partir du moment où disparaît tout exercice visible d’autoritarisme. L’autorité naturelle apparaît donc davantage comme l’interface du modèle autoritariste que comme un ensemble de pratiques observables et codifiables. Le terme de « climat » semble le plus approprié pour la représenter [2]. Une telle conception - qui se retrouve dans les propos de différents acteurs politiques - n’épargne pas l’Education nationale. Rappelons quelques propos ministériels depuis 2002. Luc Ferry et Xavier Darcos réaffirment l’impératif d’une restauration de l’autorité à l’école. Dans sa Lettre à tous ceux qui aiment l’école , le premier estime que l’indispensable restauration de l’autorité des enseignants (2003, p. 15, 90) doit s’appuyer sur deux idées : premièrement sur leur mission première de transmetteurs de savoirs (p. 16, 93) [3], non sur la reconnaissance des élèves - voire sur l’esprit critique (p. 45) - au détriment de l’autorité de l’institution [4] ; deuxièmement sur des sanctions efficaces (p. 90, 91). Le second évoque l’instauration d’ « une nouvelle donne fondée sur une pédagogie de l’autorité » en marquant « une rupture avec le laxisme et la dispersion » [5]. Entre mai et octobre 2004 [6], le nouveau ministre François Fillon multiplie les signes et déclarations relatives à une restauration de l’autorité envisagée dans le sens d’une réaffirmation des valeurs morales et des fonctions statutaires adultes. Reprenant la définition - discutable en éducation - d’Hannah Arendt (1972) qui considère que l’autorité ne devrait pas relever de la persuasion par argument, le ministre déclare dans Le Monde de l’éducation de septembre 2004 qu’ « à partir du moment où le professeur doit de se justifier, son autorité est déjà entamée » [7]. En nous situant du point de vue du pédagogue visant l’accès de l’élève à une position d’auteur de lui-même, nous affirmons au contraire que l’argumentation participe de l’accord, du consentement, de l’acceptation de l’autorité [8]. Mais c’est la nouvelle circulaire « actualisant » certaines procédures disciplinaires dans les collèges et les lycées qui fait surtout réagir. Outre les modifications dans la composition du conseil de discipline sensées réaffirmer l’autorité des professionnels sur les élèves et les parents [9], les mesures les plus significatives concernent les moyens suggérés ou donnés au professeur pour qu’il exerce en classe une autorité, exclusivement synonyme de punition (Robbes, 2004b). C’est enfin Gilles de Robien qui suite à l’agression d’une enseignante dans un lycée professionnel d’Etampes, revient sur le débat déjà ouvert par Nicolas Sarkozy en janvier 2004 [10], relatif à la présence de policiers dans les établissements scolaires. Tout en parlant d’ « autorité naturelle » [11], le ministre évoque la nécessité d’une formation des enseignants à l’autorité, sur laquelle nous allons revenir. Ainsi, le discours prônant la restauration d’un modèle d’autorité autoritariste semble relever d’un affichage politico-médiatique destiné à une opinion publique en demande de réponses simples et immédiates. A l’image de la société dans son ensemble, il cache mal les contradictions (désarroi ou pragmatisme ?) qui s’emparent des responsables lorsqu’il s’agit d’indiquer « comment » l’autorité peut et doit s’exercer aujourd’hui. Néanmoins, certains propos ministériels - à l’exception de ceux de François Fillon - démontrent la prise en compte d’une nouvelle donne, conséquence des évolutions de nos sociétés démocratiques. Ainsi par exemple, le recadrage par le renforcement de la dimension uniquement statutaire de l’autorité ne suffit plus. Xavier Darcos en est conscient lorsqu’il affirme qu’une « refondation de l’autorité ne procède pas d’une volonté de restauration mais d’un mécanisme de recherche d’adhésion » [12]. Luc Ferry s’interroge quant à lui sur l’inadéquation des « formes traditionnelles » (2003, p. 16) de l’autorité et l’insuffisance de l’ « autorité naturelle » (p. 34). L’autorité légitime ne peut que s’appuyer que sur les « principes généraux du droit » confortant « les pratiques démocratiques » (p. 52). Gilles de Robien enfin, lorsqu’il évoque la nécessité d’une formation des enseignants à l’autorité, déclare ce qui constitue l’essentiel de notre thèse : « l’autorité, ce n’est pas inné, cela s’acquiert. Tous les enseignants que j’ai rencontrés m’ont dit qu’ils n’ont pas été préparés à faire face aux situations de tension, ni à l’exercice de l’autorité dans la classe » [13], et le ministre de souhaiter « renforcer l’apprentissage de « l’autorité » dans les IUFM » [14]. Mais bien que sérieusement questionné, le modèle autoritariste n’en continue pas moins de fasciner, la référence à un mythique « âge d’or » nous étant inlassablement présentée comme unique recours possible. Confondant à dessein passée et autorité, nos médias et nos responsables peinent à indiquer les voies d’un modèle actuel. L’amalgame entre une représentation passéiste de l’autorité figurant des sentiments de bien-être fantasmés tient lieu d’écran, évitant d’avoir à penser la réalité d’une autorité du présent et du bien-être effectif de ceux sur lesquels elle s’exerce. Dans les médias télévisuels par exemple, diverses émissions se font l’écho d’une telle représentation [15]. De même au cinéma, des films tels qu’ « Être et avoir » triomphent alors que d’autres, pourtant porteurs d’un message diamétralement opposé (« Les Choristes » [16], « Les fautes d’orthographe »), connaissent également le succès. En témoignent aussi différents propos relayés par le ministre en exercice et son prédécesseur quant au rapport entre autorité et uploads/Politique/ les-trois-conceptions-actuelles-de-l-autorite.pdf
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- Publié le Apv 02, 2022
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