Thierry Ménissier Machiavel – Ombres et lumières du politique Lu par Éric Delas

Thierry Ménissier Machiavel – Ombres et lumières du politique Lu par Éric Delassus Présentation Si cet ouvrage de T. Ménissier peut apparaître comme une introduction à la lecture de Machiavel, il ne s’y réduit pas. Composé d’une analyse et d’une présentation des principales idées qui traversent cette œuvre, ainsi que d’un corpus de textes auxquels l’auteur renvoie régulièrement, puis d’un glossaire, son objectif principal, son titre l’indique, est d’interroger le paradoxe qui traverse l’œuvre de Machiavel et qui tient en ce que tout en éclairant les relations entre les hommes, elle les assombrit au point que leur intelligibilité semble parfois nous échapper. Contexte En présentant le contexte historique dans lequel Machiavel a exercé ses fonctions et rédigé son œuvre, T. Ménissier souligne le paradoxe lié à l’apparition dès le XVIe siècle de l’adjectif machiavélique pour désigner une pensée aux fondements de la politique moderne. Patriote florentin, Machiavel exercera d’importantes fonctions politiques et diplomatiques dans la République jusqu’au retour des Médicis, jouant un rôle majeur dans les prises de décision et leur application acquérant ainsi une expérience politique lui permettant d’appréhender les relations humaines en termes de rapport de force. Couplant toujours action et réflexion, nourri précocement auprès des historiens latins et de Lucrèce, il usera de son intelligence pour expliquer histoire et politique selon des processus matériels et le jeu des passions. Tombé en disgrâce à la chute de la république en 1512, il se retire pour rédiger son œuvre et relire les anciens. Cette retraite donnera Le Prince, destiné à Laurent de Médicis et consacré aux principautés, et Les discours sur la première décade de Tite-Live qui consistent en une réflexion sur les républiques anciennes et modernes. Son art d’écrire, qui fait cohabiter ombre et lumière, lui permet d’exprimer de façon dissimulée ses convictions républicaines. Aussi, T. Ménissier nous conseille-t-il de ne pas croire que Machiavel adhère à tout ce qu’il écrit. Il s’inscrit, comme Dante, dans la tradition de l’humanisme civique. Contemporain de Savonarole, il portera sur lui un jugement ambigu dans Le Prince. La fin de sa vie est marquée par la déception, car son retour en grâce n’a pas lieu et l’Italie n’est pas libérée de la domination étrangère. Toujours entre ombre et lumière, Machiavel meurt en 1527 affirmant qu’il préfère suivre les damnés en enfer que les vertueux au paradis. Parcours en pensée Chapitre I La rationalité du conseil Bien que considéré comme le fondateur de la science politique moderne, T. Ménissier souligne en quoi Machiavel s’y oppose par l’inversion qu’il fait subir au rapport entre théorie et pratique. Loin de la méthode géométrique qu’utilisera Hobbes, il fait essentiellement reposer ses réflexions sur son expérience inaugurant ainsi une « épistémologie du conseil » ouverte sur l’altérité et la confrontation à l’imprévisible. En conséquence, ses jugements, bien que relatifs, ne sont pas sans portée universelle et se caractérise par le réalisme et l’amoralisme. Machiavel met tout son art d’écrire au service de sa méthode. Le recours à ce que T. Ménissier nomme des « tours logiques » permet ainsi de procéder à une mise en forme synthétique de la diversité des réalités politiques. Ainsi en va-t-il de la redéfinition du vocabulaire politique et du recours à la disjonction qui permet d’envisager toutes les situations possibles : une principauté peut être héritée ou nouvelle, si elle est nouvelle, elle l’est entièrement ou ajoutée à un état constitué, et ainsi de suite. Sont ainsi décrites de nombreuses possibilités tirées de l’expérience et prêtes à être examinées et élucidée, donnant lieu à certaines prescriptions. Dans une perspective utilitariste, Machiavel s’efforce d’aboutir à une connaissance efficace. Il s’agit toujours de tirer des règles de l’expérience et non de produire une axiologie a priori. T. Ménissier montre donc comment émerge de ce travail une rationalité du politique, y est qualifié de raisonnable ce qui se trouve confirmé par la tradition politique et l’expérience vécue. La règle se dégage donc d’une connaissance de la nature humaine et des passions provenant de deux sources empiriques : la lecture des anciens et l’action. Se constitue ainsi, non une science, mais ce que T. Ménissier qualifie d’« art du conseil politique » évoquant la phronesis des anciens et la prudence des modernes. Art infléchi par un souci d’efficacité qui s’éloigne de l’idéal moral et s’oriente vers la sophistique et par une pratique visant la prise et la conservation du pouvoir en usant d’une prudence tenant compte des singularités et s’inspirant des procédés de la médecine antique. Chapitre 2 À la recherche de la vertu pour réinventer l’autorité La question de l’autorité et de sa réinvention apparaît à T. Ménissier comme se situant au cœur de sa pensée. T. Ménissier n’hésite d’ailleurs pas à faire entrer en résonnance la réflexion machiavélienne et la pensée d’H. Arendt pour qui l’autorité a disparu du monde moderne pour donner naissance au totalitarisme, ou pour être remplacée, dans les sociétés démocratiques qui se sont construite contre elle, par une légitimité qui ne peut s’obtenir que sur fond de contestation. T. Ménissier perçoit dans la pensée de Machiavel une anticipation du diagnostic d’H. Arendt à propos de la question de la vertu qui doit compenser une structure politique n’assurant plus la stabilité. La vertu dont parle Machiavel consistant en une disposition personnelle et un comportement interindividuel susceptible de faire naître chez ses concitoyens le goût de défendre sa patrie. En ce sens Machiavel serait plus républicain que libéral dans la mesure où la vertu, plus que les règles et les contrats, est posée comme base des relations politiques. Néanmoins, la pensée politique de Machiavel est moderne en tant qu’elle revendique l’égalité entre humains et considère les distinctions sociales comme des constructions sociales. Il ne s’agit cependant pas de supprimer ces inégalités, mais d’équilibrer les tensions qu’elles engendrent, ce qui est le propre du bon souverain. L’autorité du leader s’évalue donc à sa capacité à assumer les rapports de force et, comme le montre l’exemple de César Borgia. L’art politique consiste ici en ce que T. Ménissier qualifie d’économie de la violence mise au service des intérêts de l’État. Le rapport entre vice et vertu s’en trouve d’autant plus complexe que l’utilisation de moyens que la morale réprouve peut servir une morale politique supérieure. L’homme politique doit donc savoir jouer avec les affects et les apparences et si le prince ne peut faire preuve de certaines qualités morales, il doit en produire les signes, non par pure hypocrisie, mais parce que le courage politique consiste à savoir employer des moyens éthiquement condamnables, car le prince a le devoir de donner au peuple l’image que ce dernier attend de lui. Savoir gouverner, c’est aussi savoir prendre en considération les affects primaires, afin de bâtir une communauté affective fondatrice de bonnes relations politiques. L’exercice du pouvoir met donc en tension le courage politique et les vertus de la morale commune, le meilleur gouvernement et les affects primaires ainsi que la réalité du pouvoir et le jeu des apparences. Ces tensions, bien qu’historiquement situées entre la fin de la féodalité et les débuts de la dynamique qui aboutira à la démocratie, n’en sont pas moins perçues par T. Ménissier comme intemporelles dans la mesure où l’autorité, produite socialement et historiquement, n’est jamais dépassée par la construction d’un État rationnel. La relation du leader politique et de ceux qui le reconnaissent, en tant qu’elle repose sur les affects qu’il suscite en eux, constitue la chair même du politique. Chapitre 3 Les tumultes de la République Machiavel manifeste un grand attachement à la république qui est pour lui le régime à l’intérieur duquel il y a plus de vie et qui peut créer les conditions d’un gouvernement libre. Ce régime qu’il a personnellement expérimenté et qui fut effectif à Rome consiste en la participation d’une partie importante de la population à un ordre collectif favorisant la liberté publique, c’est-à-dire la capacité d’une cité à engendrer sa loi fondamentale. Vue sous cet angle la pensée de Machiavel apparaît donc comme une réflexion sur la compétence du peuple à agir comme sujet politique. La conception de la liberté qui s’en dégage est donc non-individualiste, mais concerne la participation civique et les deux principaux ouvrages de Machiavel constituent un examen de la citoyenneté et de ses différentes significations. Cette enquête sur les modes concrets de la citoyenneté influencera aussi bien Montesquieu que les pères de la constitution américaine et s’inscrira dans une tradition républicaine qui, loin de s’appuyer sur le droit naturel et le contrat, se fonde sur l’attachement des individus à leur communauté civique. Cet attachement est au cœur de la conception machiavélienne de l’égalité qui n’a rien à voir avec l’égalitarisme, mais réside dans le devoir de chacun de défendre sa patrie. C’est pourquoi la réflexion de Machiavel sur la question du rapport entre les hommes et les instituions s’attachent à définir les moyens d’enrayer la corruption qui consiste dans la captation de l’État au profit d’une volonté particulière. Dans la mesure où le peuple fait preuve de discernement dans le choix de ses chefs, la république est uploads/Politique/ thierry-menissier-machiavel-ombres-et-lu 1 .pdf

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