1 Lettre ouverte à Monsieur Jovenel Moise, Président de la République d’Haïti N
1 Lettre ouverte à Monsieur Jovenel Moise, Président de la République d’Haïti Non, la corruption n’est pas la base du « grand fossé » entre deux groupes d’Haïtiens Monsieur le Président, Cette réflexion est pour réagir à votre déclaration concernant « le grand fossé entre les plus riches et les plus pauvres » de notre pays. Ma démarche, Monsieur le Président, ne vise pas à donner une réponse négative à votre déclaration, comme le ferait un opposant politique. Vous avez peut-être raison, dans une certaine mesure, compte tenu de vos expériences pendant votre mandat comme Président de la Première République noire libre et indépendante du monde. Toutefois, je veux vous exprimer démocratiquement mon désaccord par le fait que vous avez qualifié la corruption qui gangrène la société haïtienne comme étant la base du fossé entre les plus riches et les pauvres de notre pays. Ma réflexion se décline en sept points. 1. Rappel des faits et désaccord par rapport votre déclaration En effet, j’ai lu, dans Le Nouvelliste du 27 octobre 2020, votre déclaration selon laquelle « (…) c’est la corruption qui est à la base d’un si grand fossé entre les plus pauvres et les plus riches ». J’ai également écouté votre déclaration, en visionnant la séquence de la vidéo en question. Monsieur le Président, vous avez fait cette déclaration à l’occasion d’un symposium organisé par la Primature le 27 octobre 2020 autour du thème « " Les institutions de contrôle au cœur de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption ". Il me semble que vous avez voulu faire passer un message qui vous tient à cœur, celui de répondre à vos détracteurs. Permettez-moi de vous dire que « NON » la corruption n’est pas la base du « grand fossé entre les plus riches et les pauvres » dans le cas d’Haïti. Cette déclaration peut avoir sa place dans d’autres pays où le fléau qu’est la corruption fait des dégâts, mais pas dans le même contexte que celui d’Haïti. De la corruption, il y en a toujours eu, il y en a aujourd’hui et il y en aura probablement demain, dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud. C’est vrai, chacun essaie de trouver les vraies raisons de la mauvaise gouvernance d’Haïti ou le blocage de son développement. C’est même ordre d’idées que, certains acteurs considèrent le problème d’Haïti est lieu à la Constitution en vigueur. Pour ces personnes La constitution est responsable de tout le mal qui s’abat sur Haïti. D’autres, par contre, affirment que c’est l’impunité généralisée, l’instabilité politique, la misère, la division etc. qui retient le pays dans une situation du sous- développement et d’inégalité sociale. Autant de points de vue et d’observations qui tentent d’expliquer les différents maux qui rongent la société haïtienne dans toutes ses états. Monsieur le Président, toutes critiques, toutes ces considérations ont un fondement vu qu’elles reflètent une certaine réalité d’Haïti. C’est pourquoi, je ne veux pas ignorer aucune d’entre 2 elles. Néanmoins, le fossé entre les deux catégories sociales faisant l’objet de votre intervention au symposium, est plus large et plus profond que ça. Pour moi et comme pour beaucoup de nos concitoyens qui le pensent mais n’osent pas le dire, la façon dont vous résumez ce « grand fossé », est une façon de déresponsabiliser l’État et toutes les élites haïtiennes qui ont volontairement œuvré pour en arriver là. Monsieur le Président, le fossé entre les plus pauvres et les plus riches en Haïti est un fait historique, un produit idéologique. 2. L’assassinat de Dessalines et l’exclusion d’une catégorie d’Haïtiens : première cause du fossé haïtien Pour bien appréhender cette problématique, il serait conseillé de remonter au 17 octobre 1806, aux causes de l’assassinat de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines. Depuis lors, deux groupes d’Haïtiens se sont tournés le dos, d’une part, les anciens libres et les nouveaux libres, d’autre part, les masses d’esclaves et les Affranchis (Noirs et Mulâtres). D’ailleurs dans vos récentes déclarations, vous avez pointé du doigt certains auteurs de l’assassinat du Premier Chef d’État haïtien. Cet acte est un péché originel qui continue d’ensorceler la vie du Peuple haïtien. Aussi, le fossé entre les plus riches et les plus pauvres, repose sur l’exclusion d’une catégorie d’Haïtiens dans la gestion de la chose publique. Mais cette trahison a pour objectif d’isoler les couches populaires. Elle a également pour but d’exclure des décisions politiques les masses populaires qui étaient réfugiées dans les mornes, lors du mouvement du Marronnage, afin qu’elles y restent en marge de l’État haïtien, en devenant un « pays en dehors » pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre (Gérard Barthélémy, L’univers rural haïtien. Le pays en dehors). Et de fait, ces anciens esclaves devenus libres, sont contraints de rester dans les mornes, dans la paysannerie parce qu’ils ont toujours été exclus. D’ailleurs, l’occupation de l’espace rural haïtien vous en donne une idée aujourd’hui encore. Maintenant, depuis des décennies ces populations se subdivisent en masses rurales et masses urbaines en raison de l’exorde rural des années 1980. Elles vivent toutes les deux dans des conditions infrahumaines, sous les regards blasés des classes dirigeantes. C’est pourquoi, je considère que l’assassinat de l’Empereur et l’exclusion des masses populaires comme la première cause du fossé entre les plus riches et les plus pauvres d’Haïti. Nos masses connaissent une existence de fait, mais pas de droit en termes de politiques publiques. Ainsi, l’État a échoué dans l’accomplissent de sa mission, car il n’a pas répondu à ses obligations envers tous ceux qui ont lutté pour son avènement. C’est peut-être dans cette idée que Mérion (1998) parle de « l’État inachevé » pour qualifier l’État haïtien dans ses travaux intitulés « Le défi haïtien : re-fonder l’Etat à partir de la décentralisation ? » Dans un article publié par le journal en ligne Ayibopost, l’écrivaine haïtienne, Yannick Lahens, récemment championne du Prix Carbet de la Caraïbes 2020, relate que « Depuis longtemps, tout est mis en place pour que les petits bourgeois, les urbanisés et même les paysans dès le début des années 1970 ne puissent pas habiter ce pays » (Ayibopost du 30 octobre, 2020). Cette approche vient confirmer un certain piège dans lequel végète l’Haïtien d’en bas. Dans la poursuite de ses idées, l’auteure stipule que, « On n’a jamais laissé à l’Haïtien le temps d’habiter ce pays. Malgré l’effort de ces gens du pays “en dehors” pour organiser la vie en communauté, sans l’aide de l’état, ils se retrouvent à un moment face à la nécessité de se 3 déplacer. Se dépayser. ». Cette marginalisation que subit l’Haïtien depuis pratiquement l’indépendance, semble faire partie d’un plan qui ne dit pas son nom, mais qui est parfaitement compris dans l’imaginaire collectif haïtien. 3. L’appropriation de l’État par les élites : deuxième cause du fossé haïtien Depuis la mort de Dessalines en 1806, une minorité s’est appropriée de l’État haïtien et tout ce qu’il en reste comme richesses. Cette action peut être considérée comme la deuxième cause du grand fossé entre les plus riches et les plus pauvres d’Haïti. Cette minorité féodale maintient la grande masse des nouveaux libres dans l’ignorance et se tourne vers l’extérieur pour commercer sans pour autant développer l’agriculture nationale ni mettre en place des dispositifs de redistribution sociale au bénéfice de tous. Les élites haïtiennes construisent, au contraire, un appareil de domination (Weber, 1914) maintenant les couches défavorisées dans un alphabétisme arriéré. Pour se conforter, ces dominants néo-coloniaux installent un processus de sélection de nouveaux Affranchis. Les nouvelles recrues, notamment dans l’appareil d’État, sont conditionnées pour ne pas retourner vivre avec leurs semblables du Pays en dehors. Ces nouveaux Affranchis découvrent dans l’appareil d’État un certain nombre de privilèges auxquels ils n’avaient pas droit avant. Ainsi, ils font partie désormais du cercle des dominants. Pendant tout le XIXe et le XXe siècle, Haïti et la majorité de ses fils exclus ont vécu toutes sortes de troubles dont les conséquences sont pluridimensionnelles. 4. La période de 1986-1987, une occasion ratée au profit du renouvellement du fossé En 1987 qui marque l’adoption de nouvelle Constitution après la chute de la dictature des Duvalier e 1986, une occasion s’est présentée pour refonder la Nation haïtienne et moderniser l’État haïtien en incluant les masses dépossédées, mais les dominants en ont profité pour se renouveler en recrutant de nouveaux acteurs qui étaient frustrés « peut-être » parce qu’ils étaient dehors. Ainsi, une fois recrutés et assimilés, ils assurent pour le meilleur et pour le pire l’exclusion continue des masses défavorisées. Au lieu de soulager le sort des dépossédés de longue date, l’ensemble de ces acteurs contribuent à l’émergence d’une nouvelle forme de paupérisme avec pour conséquence la destruction du modèle économique des masses paysannes. L’agriculture et l'élevage sont, entre autres, les secteurs les plus touchés. En revanche, en abandonnant les terres et les campagnes pour se rendre en ville à la recherche d’un mieux-être, les laissés-pour-compte sont une nouvelle fois perdus, trahis et exploités d’une nouvelle manière. Autrement, ils sont encastrés dans leurs uploads/Politique/ lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-d-x27-haiti-jovenel-moise.pdf
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- Publié le Apv 17, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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