Article du journal « le monde » Mercredi 24 juin 2020 Lundi soir, le président
Article du journal « le monde » Mercredi 24 juin 2020 Lundi soir, le président français reprochait à la Turquie de jouer « un jeu dangereux » en Libye, où Ankara soutient le gouvernement d’union nationale reconnu par l’Organisation des Nations unies. Le lendemain, le ministère des affaires étrangères turc lui retournait le compliment, l’accusant de soutenir le « putschiste et baron de guerre [Khalifa] Haftar ». « À bien des égards, écrivait Hicham Alaoui en mars dernier, la Libye est peut-être la principale victime de la redéfinition en cours des rivalités géopolitiques en Afrique du Nord et au Proche-Orient ». Le double jeu de Paris y passe de moins en moins inaperçu. Limites du « dégagisme », mutations de l’autoritarisme De l’Algérie au Soudan, les répliques du « printemps arabe » En 2019, les mouvements contestateurs dans le monde arabe s’inscrivent dans la droite ligne des révoltes de 2011-2012. Près d’une décennie plus tard, l’opposition exige toujours le démantèlement des pouvoirs en place, mais peine à y parvenir, faute de se structurer sur le plan politique. Dans le Golfe comme au Maghreb et au Proche-Orient, le confessionnalisme ne détermine plus les rivalités géopolitiques Les sismologues connaissent bien le phénomène : les répliques occasionnent souvent plus de dégâts que les tremblements de terre qui les précèdent. Le « printemps arabe » de 2011-2012 a causé de profondes fissures dans les systèmes autoritaires qui régissent la région, démontrant la puissance des mouvements populaires quand ils brisent le mur de la peur. En 2019 a eu lieu sa plus grande réplique, avec une vague de protestations qui a ébranlé plusieurs pouvoirs en place. L’agitation actuelle en Algérie, en Égypte, en Irak, en Jordanie, au Liban et au Soudan apparaît comme l’amplification logique du « printemps arabe ». Elle prouve une nouvelle fois que les sociétés concernées, toujours confrontées à l’injustice économique et politique, refusent de capituler. Bien sûr, leurs adversaires — les régimes autoritaires — demeurent également déterminés à garder le pouvoir ; ils tentent de s’adapter à la contestation pour survivre. Les données structurelles n’ont pas changé depuis les soulèvements de 2011-2012, et c’est ce qui engendre les répliques. Première de ces données : la jeunesse. Un tiers de la population a moins de 15 ans, un autre tiers entre 15 et 29 ans. Au cours de la dernière décennie, le monde arabe a vu sa génération la plus jeune, la plus importante sur le plan démographique et la plus instruite devenir adulte. Cette classe d’âge se caractérise également par sa profonde immersion dans les médias sociaux et par sa maîtrise des technologies en ligne. La deuxième constante est économique. Le développement de la région reste anémique. En dehors des riches monarchies du Golfe, les taux de chômage et de pauvreté se sont aggravés dans la plupart des États. Selon la Banque mondiale, 27 % des jeunes Arabes sont au chômage, plus que dans toute autre région du monde (1). Le désir d’émigrer, principalement pour des raisons économiques, a atteint des niveaux historiquement élevés. Dans le dernier rapport d’Arab Barometer (2), un tiers ou plus des personnes interrogées en Algérie, en Irak, en Jordanie, au Maroc, au Soudan et en Tunisie ont déclaré vouloir quitter leur pays. Au Maroc, 70 % des 18-29 ans rêvent de départ. Cyniques, les gouvernements ne font pas grand- chose pour endiguer cette hémorragie et se débarrassent de la sorte de jeunes voués à protester contre leur situation matérielle. Des régimes qui iront jusqu’au bout Troisième cause structurelle qui alimente le ressentiment général : le manque de progrès dans la manière de gouverner. L’absence de politiques et de pratiques démocratiques — sauf en Tunisie — s’est traduite par une marginalisation croissante de la population. De nombreux citoyens considèrent que la corruption est endémique et que les possibilités de trouver un emploi ou de bénéficier de services efficaces passent par des faveurs et par l’appartenance à des réseaux clientélistes, au détriment de l’excellence méritocratique. Si les structures demeurent figées, le paysage actuel de la contestation inclut de nouvelles tendances. D’abord, les mouvements populaires ont compris que renverser le dirigeant en place ne garantissait pas un changement de régime, en particulier si les appareils militaires et sécuritaires gardent la main sur des domaines réservés et si les règles du jeu politique ne changent pas. Ainsi, les protestataires ne sont pas demandeurs d’élections convoquées à la hâte. Les activistes algériens et soudanais tiennent à éviter les erreurs de la révolution égyptienne de 2011 (3) et réclament que toutes les composantes du système autoritaire soient démantelées. Par ailleurs, les manifestants sont davantage conscients des avantages et des inconvénients des technologies de l’information. Par le passé, les réseaux sociaux permettaient de contourner la censure et d’échapper à la répression étatique. Aujourd’hui, ils permettent aussi d’exprimer un engagement et de mener des combats, certes virtuels mais permanents, contre l’État par le biais de créations artistiques, de l’humour ou de critiques féroces visant à délégitimer les dirigeants et les institutions. Ce type de dissidence se développe particulièrement en Algérie et au Liban — où les mouvements protestataires n’ont toutefois pas oublié d’investir la rue —, mais il touche aussi des pays perçus par l’Occident comme plus calmes, par exemple le Maroc ou la Jordanie. Les médias sociaux dans le monde arabe sont passés du statut de moyen d’évasion à celui de terrain d’affrontement entre l’État et une partie de la société. Inconvénient majeur pour les protestataires : le pouvoir utilise aussi Internet et ses réseaux pour diffuser sa propagande et pour repérer, puis réprimer, les opposants les plus actifs. Enfin, les militants se sont davantage éloignés des grandes idéologies. Le « printemps arabe » s’était déjà distingué par un désenchantement à l’égard des grands « ismes » : panarabisme, islamisme, socialisme, nationalisme. Désormais, les mouvements de masse ne sont plus guère sensibles aux promesses utopiques ; ils préfèrent les combats quotidiens destinés à améliorer le gouvernement de leur État. La réplique du séisme de 2011-2012 a renforcé cette évolution en mettant fin à l’idylle philosophique avec la démocratie. Ce que demandent d’abord les forces d’opposition, c’est le démantèlement de toutes les structures de l’ancienne économie politique qui engendrent les inégalités et les injustices. Les femmes jouent également un rôle plus central dans ces nouveaux mouvements populaires, d’où il découle que la critique radicale contre l’ordre ancien vise également le patriarcat. Les régimes autoritaires ont, eux aussi, tiré les leçons des événements de la décennie. Les destins de l’ancien président Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie et de son homologue Ali Abdallah Saleh au Yémen leur ont montré que louvoyer autour de manœuvres démocratiques était dangereux. Quand les mouvements populaires s’attaquent au système, la stratégie gagnante pour les pouvoirs en place n’est plus de tolérer la dissidence dans l’espoir que ce gage de bonne volonté leur fasse gagner du temps. La réponse rationnelle des gouvernements est dorénavant de continuer à réprimer. Le sort des dissidents saoudiens exilés est emblématique des procédés extrêmes employés face à tout ce qui représente une menace. Et l’usage de cette violence a été conforté par un constat des plus cyniques : les régimes sont assurés de l’impunité. La « communauté internationale » peut bien fustiger les violations des droits humains : les puissances étrangères s’accommodent de la manière dont les États arabes traitent l’opposition démocratique. Allié précieux de l’Occident, le régime du maréchal et président égyptien Abdel Fatah Al-Sissi n’a dû rendre de comptes ni sur le renversement d’un gouvernement élu et le meurtre de plusieurs centaines de personnes lors de manifestations sur la place Rabia-El-Adaouïa au Caire, en 2013 (4), ni sur la mort dans des conditions suspectes de l’ancien président Mohamed Morsi durant son procès, en juin 2019. L’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à l’intérieur du consulat de son pays à Istanbul (5), le 2 octobre 2018, n’a pas non plus perturbé les relations entre Riyad et le reste du monde. En Syrie, malgré le carnage de la guerre civile, M. Bachar Al-Assad gouverne toujours. En janvier 2011, l’offre de la ministre des affaires étrangères française Michèle Alliot-Marie d’aider le régime tunisien de Ben Ali avait fait scandale ; en revanche, lorsque la France soutient en Libye la médiation de l’Organisation des Nations unies (ONU) tout en armant les troupes du maréchal Khalifa Haftar, la chose passe presque inaperçue. Le Soudan constitue un cas particulier de réplique au « printemps arabe ». Il y existe une possibilité que des négociations pacifiques ouvrent la voie à la démocratie, alors que ce n’est pas le cas dans d’autres États en ébullition. L’importance de la mobilisation permet aux dirigeants de l’opposition de rallier l’opinion populaire quand, dans le même temps, les hommes au pouvoir n’ont pas de parrain international. Mais cela demeure une exception. Le Soudan se distingue d’autres pays arabes par la vitalité de sa société civile, par l’existence d’associations professionnelles très actives et par la volonté des militants d’amener les dirigeants militaires à la table des négociations. Car, depuis des décennies, syndicats, organisations non gouvernementales, etc., ne uploads/Politique/ de-l-x27-algerie-au-soudan-les-repliques-du-printemps-arabe.pdf
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- Publié le Dec 12, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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